Protection de l’enfance : vers une refondation ?

A travers le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale et d’autres initiatives, les parlementaires et de nombreux acteurs ont exprimé ces derniers mois l’urgence d’agir pour une réforme en profondeur de la protection de l’enfance. La ministre des Solidarités et des Familles affirme que le chantier de refondation est en cours, avec des mesures telles que l’adoption de nouvelles normes pour les pouponnières, de procédures de contrôles renforcées pour l’ensemble des établissements et un plan de soutien à la parentalité promis pour la rentrée. Catherine Vautrin portera à l’automne un projet de loi avec l’ambition de lever des freins au virage préventif et à l’accueil familial qu’elle entend promouvoir. 

Rendu public le 8 avril 2025, le rapport de la commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance décrit, sur plus de 500 pages, les limites d’un "système qui craque de toutes parts", le "coût humain et économique majeur" imputé à "une politique publique en situation d’échec" (voir notre article). Ce constat sans concession est intervenu après de nombreuses mobilisations et interpellations, dont celle d’une vaste coalition d’acteurs qui alertaient en 2023 sur la dégradation rapide de la protection de l’enfance et qui réclamait un "plan Marshall" pour tout remettre à plat (voir notre article). Du fait notamment d’une forte hausse des mineurs non accompagnés (MNA) pris en charge, le nombre d’enfants confiés a en effet bondi de 6% en 2023, a récemment confirmé la Drees (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, ministères sociaux, voir notre article). 

De multiples rapports et initiatives parlementaires 

En octobre 2024, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) avait appelé l’État à assumer son rôle de pilotage interministériel de la protection de l’enfance, considérant que cette dernière était "un cas d’école de la non-effectivité des politiques sociales" (voir notre article). Fin 2024, la Délégation aux droits des enfants de l’Assemblée nationale rendait publiques ses propositions pour améliorer la protection de l’enfance. Ce rapport a été suivi du dépôt, par la présidente de la délégation Perrine Goulet (Les Démocrates) en mars 2025, d’une proposition de loi relative à l’intérêt des enfants. 

Début 2025, le directeur général de la Caisse des Dépôts, Olivier Sichel, remettait à l’État et aux départements ses propositions (voir notre article), appelant en particulier à se préoccuper des défis immobiliers de l’aide sociale à l’enfance (ASE) pour mieux sortir de la spirale d’un dispositif saturé qui ne permet pas de s’adapter à la situation particulière de chaque enfant. En mars, la Défenseure des droits mettait l’accent sur la vulnérabilité des MNA et sur les disparités territoriales dans la prise en charge de ces enfants (voir notre article), tandis que la Cour des comptes appelait à "garantir un socle de base" dans l’accompagnement des jeunes majeurs sortant de l’ASE (voir notre article). 

Et les travaux se poursuivent. Au Sénat, les commissions des lois et des affaires sociales ont mis en place début juin 2025 une mission conjointe de contrôle sur la protection de l’enfance "qui s'attachera à proposer des recommandations opérationnelles visant à améliorer concrètement le fonctionnement de cette politique publique". 

Y aura-t-il un avant et un après rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale ? C’est ce que veut croire sa rapporteure la députée Isabelle Santiago qui, dès le lendemain de la publication, a acté avec Départements de France la création d’un comité de suivi des suites données à ce rapport (voir notre article). En juin, la députée a déposé une proposition de loi (PPL) visant à réformer l’article 375 du code civil et à créer un référentiel national opposable pour la protection de l’enfance. Présenté comme le "premier pilier d’un projet plus large de refondation de la politique de l’enfance en France", ce texte vise notamment à garantir "une égalité devant la loi entre territoires" et "une plus grande transparence dans les décisions". Et à instaurer "une approche centrée sur la prévention primaire", en réaffirmant le caractère exceptionnel de la protection judiciaire (qui "ne peut se substituer aux politiques publiques de soutien à la parentalité, de santé mentale périnatale, d’aide éducative précoce") et en renforçant "l’obligation de réévaluation régulière des situations, l’interdiction de placement prolongé en institution sans projet individualisé, et le droit de chaque enfant à un projet de vie stable". 

D’ici la fin de l’année, un nouveau projet de loi… et les derniers décrets de la précédente loi 

Cette approche est celle qu’entend promouvoir la ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles Catherine Vautrin, qui a livré, en février dernier devant les députés de la commission d’enquête, la feuille de route de son projet de "refondation" (voir notre article), avant de préciser ses "priorités" en avril la veille de la remise du rapport Santiago (voir notre article) et le lendemain (voir notre article). En juin, la ministre a annoncé qu’elle déposerait un projet de loi à l’automne (voir notre article), tout en déclarant lancer deux expérimentations sur "la transition de l'accueil collectif vers l'accueil familial" en Gironde  – département qui porte une stratégie de transformation de sa politique de protection de l’enfance (voir notre article) – et dans le Var. 

Le 12 juin 2025, lors d’un débat à l’Assemblée nationale, Catherine Vautrin a rappelé les "deux piliers" de son plan de refondation : "prévenir et éviter le placement chaque fois que cela est possible en accompagnant les familles au plus près pour leur permettre de faire face aux difficultés ; faire évoluer notre modèle vers un recours renforcé à l'accueil familial, mieux accompagné et mieux soutenu". Le projet de loi de cet automne comprendra des mesures visant à "élargir le vivier des assistants familiaux" - possibilité d’avoir une autre activité professionnelle (voir notre article) et "droit au répit" -, des évolutions du statut de tiers digne de confiance – encadrement de l’indemnisation et du dispositif d’honorabilité – et des dispositions sur le délaissement parental, les enfants de moins de deux ans et l’adoption. Des mesures visant à renforcer les contrôles figureront également dans le texte, dont "l'information systématique du président du conseil départemental en cas de placement d'un enfant hors de son département d'origine". La ministre entend enfin "aller plus loin en matière de versement du pécule" aux jeunes majeurs issus de l’ASE, en mobilisant éventuellement les allocations familiales et le complément du revenu de solidarité active (RSA) pour motif familial. 

La ministre a aussi détaillé un point d’étape sur la mise en œuvre des engagements du gouvernement :  

  • A l’issue d’une concertation avec les départements et les associations, le décret révisant la réglementation encadrant les pouponnières – qui date de 1974 – devrait bientôt paraître.

Pour Catherine Vautrin, "l'objectif est clair : faire à terme des pouponnières des lieux de placement temporaire, recentrés sur leur mission d'accueil d'urgence". Le projet de décret a fait l’objet, le 17 juillet, d’un avis favorable du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN), les élus se satisfaisant notamment de la compensation financière de 34,6 millions d’euros prévue par l’État. Sur son site, Départements de France détaille les principales évolutions, parmi lesquelles une capacité d’accueil maximale qui passe de 50 à 30 places (les établissements autorisés ayant jusqu’à 2030 pour s’y conformer) et un taux d’encadrement renforcé (1 auxiliaire de puériculture pour 5 enfants en journée, contre 6 actuellement, et 1 pour 15 enfants la nuit, contre 30 actuellement, et "pas moins de 2 personnes la nuit").   

  • La ministre promet également la publication prochaine des derniers décrets d’application de la loi Taquet de 2022.  

L’un porte sur la création de la base de données nationale des agréments en vue d’adoption (il a reçu un avis favorable du CNEN du 3 juillet 2025), un autre sur la base de données des agréments des assistants maternels et familiaux ("les développements informatiques sont en cours et la publication du décret est prévue avant la fin de l'année"). Sur les "décrets relatifs à l'organisation des activités de PMI [protection maternelle et infantile], des concertations vont s'engager dans les prochaines semaines avec Départements de France", a indiqué la ministre, qui rappelle par ailleurs que le décret relatif à la délivrance d'un nouvel agrément pour l'exercice de la profession d'assistant maternel ou familial après un retrait pour faits de violences a été publié en mars (voir notre article). 

  • "Le placement en hôtel est interdit et doit donc cesser", affirme Catherine Vautrin, qui a plus globalement affiché sa volonté de réduire les inégalités territoriales.

Depuis, le Conseil d’État a prononcé l’annulation du décret du 16 février 2024 fixant le régime dérogatoire à cette interdiction - permettant de mettre à l’abri, pour une durée limitée, des mineurs d’au moins 16 ans et des jeunes majeurs relevant de l’ASE (voir notre article). Ce décret est "annulé en tant qu'il ne fixe pas le niveau minimal d'encadrement et de suivi requis", peut-on lire dans la décision du Conseil d’État du 1er juillet 2025. 

  • Confié à la Haut-commissaire à l'enfance Sarah El Haïry, "un plan ambitieux de soutien à la parentalité" doit être "opérationnel à la rentrée 2025". 

Ce plan "repose sur trois principes : mieux prévenir les ruptures, accompagner les vulnérabilités et valoriser les compétences parentales", selon Catherine Vautrin, qui s’engage également à une publication prochaine de la nouvelle feuille de route des "1.000 premiers jours".   

  • La ministre des Solidarités déclare par ailleurs mobiliser les politiques de droit commun pour soutenir les enfants protégés dans leur parcours : 

La santé ("généralisation des enseignements tirés des expérimentations Pégase et Santé protégée" à partir de 2026), le déploiement de solutions médico-sociales nouvelles (400 millions d’euros mobilisés pour les enfants dont 50 millions pour les enfants de l’ASE dans le cadre du plan "50.000 nouvelles solutions") pour les enfants ayant une "double vulnérabilité" (un quart des enfants protégés sont en situation de handicap), l’insertion et la mobilisation du réseau pour l’emploi et des dispositifs de mentorat, ou encore l’expérimentation à venir d’un centre d’appui (médical, scolaire, culturel…) dédié à la protection de l’enfance porté par Céline Gréco et l’association Im’pactes. 

  • Les contrôles des établissements d’accueil sont renforcés, avec une instruction diffusée en juillet 2024 qui sera complétée, "d'ici la fin de l'année", de mesures visant "renforcer la fréquence et la qualité des inspections, la traçabilité des signalements et la transparence des conditions d'accueil", selon la ministre. 

Cette dernière mentionne également la mobilisation de la Justice, avec la circulaire d’avril dernier publiée par le garde des Sceaux (voir notre article). "Nous devons effectivement avancer sur la question du contrôle. Il faut probablement qu'il soit effectué de manière indépendante, comme n'importe quel contrôle", a répondu Catherine Vautrin à l’interpellation de la députée socialiste Ayda Hadizadeh qui l’enjoignait à créer "un organisme de contrôle autonome et indépendant" comme proposé dans le rapport Santiago. 

"Plus que de contrôles, les départements ont besoin que l’État s’investisse dans ses missions régaliennes", avait réagi Départements de France à la circulaire de Gérald Darmanin dans un communiqué du 30 avril, citant la santé, l’éducation et la sécurité. L’association déplorait en particulier que les établissements de l’ASE aient à prendre en charge "pas que des enfants en danger, mais également des enfants qui sont une cause de danger pour eux-mêmes ou pour les autres", du fait des carences de la pédopsychiatrie et de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). 

Autre épineux sujet sur lequel le gouvernement a peu de réponses, au-delà des mesures visant les assistants familiaux : celui du manque d’attractivité des métiers du travail social et, en l’occurrence pour la protection de l’enfance, d’éducateur. Actée début juillet après avoir fait débat (voir notre article), la réforme des diplômes de niveau VI devrait se déployer à partir de la rentrée. Catherine Vautrin déclare miser également sur la plateforme Prendresoin.fr, sur une meilleure orientation des étudiants pour diminuer les taux d’abandon, sur le développement de l’apprentissage et de la validation des acquis de l'expérience (VAE) pour "former davantage" et enfin sur l’amélioration des conditions de travail. 

 

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