Aide sociale à l’enfance : le nombre d’enfants confiés a bondi de 6% en 2023
Après un ralentissement lié à la chute des flux migratoires au moment de la crise sanitaire, l’accueil d’enfants et jeunes par l’aide sociale à l’enfance (ASE) a fortement augmenté en 2023, du fait notamment d’une hausse importante du nombre de mineurs non accompagnés (MNA) pris en charge. Les derniers chiffres de la Drees objectivent l’ampleur de la crise vécue depuis 2023 par le secteur de la protection de l’enfance, avec des tendances – dont la baisse de l’accueil familial - qui sont à l’inverse de ce que le gouvernement entend privilégier.
"La protection de l’enfance traverse une crise grave, inédite, multifactorielle", avait prévenu en 2023 Anne Devreese, présidente du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), qui appelait avec d’autres acteurs à la mise en œuvre d’un "plan Marshall" pour redresser la barre (voir notre article).
La forte hausse des dépenses départementales de protection de l’enfance en 2023 avait été mise en évidence par l’Observatoire national de l’action sociale (Odas) il y a un an déjà (voir notre article). Les chiffres dévoilés par la Drees ce 26 juin 2025 (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, ministères sociaux) confirment le caractère inédit de la crise alors traversée : fin 2023, 221.000 mineurs et jeunes majeurs étaient accueillis à l’aide sociale à l’enfance (ASE), soit une hausse de 6% en un an, contre une hausse annuelle moyenne de 2% entre fin 2019 et fin 2022.
Jeunes accueillis et MNA
En 2023, l’augmentation du nombre d’enfants et jeunes placés a donc été multipliée par trois par rapport à celle des années précédentes. Sans atteindre le niveau de 2023, la hausse annuelle s’était déjà élevée à près de 5% entre fin 2015 et fin 2019.
"L’ampleur de cette progression tient notamment à l’importante augmentation des accueils de mineurs non accompagnés (MNA), d’abord entre fin 2015 et fin 2019, puis à nouveau entre fin 2021 et fin 2023", explique la Drees. "Entre fin 2015 et fin 2019, leur nombre a augmenté de 29% par an en moyenne, contribuant à 81% de la hausse totale du nombre d’enfants accueillis à l’ASE pendant cette période", est-il détaillé. La crise sanitaire a ensuite fait chuter les flux migratoires, provoquant une baisse du nombre de MNA et anciens MNA accueillis par l’ASE en 2020 (-1%) et en 2021 (-6,5%). Avec la reprise des flux migratoires, ce nombre est reparti à la hausse, d’abord de façon contenue en 2022 (+2,4%) puis fortement en 2023 (+17%), "atteignant 46.200 jeunes en fin d’année" - soit 21% du total des enfants et jeunes accueillis.
Fin 2023, les 221.000 enfants et jeunes placés représentaient 57% des mineurs et jeunes majeurs bénéficiant d’une mesure de l’ASE. Au total, 384.900 enfants et jeunes étaient suivis dans le cadre d’une mesure de protection de l’enfance - 396.900 mesures dont 175.800 (46%) mesures d’action éducative, certains enfants accueillis bénéficiant en même temps d’une mesure d’action éducative.
Enfants placés : 36% en accueil familial, contre 56% en 2006
"Entre fin 1998 et fin 2023, le nombre de mesures d’ASE a été multiplié par 1,5", souligne la Drees. 2,4% des moins de 21 ans étaient concernés fin 2023, contre 1,7% fin 1998. Alors que la loi de 2007 sur la protection de l’enfance visait à enclencher un mouvement de déjudiciarisation, les mesures relèvent encore fin 2023 "majoritairement de décisions judiciaires", à 71% pour les actions éducatives et à 89% pour les placements, selon la Drees.
Parmi les enfants confiés à l’ASE fin 2023, une majorité sont placés dans des établissements habilités (41%). L’accueil familial (assistants familiaux) ne concerne que 36% des enfants confiés, "contre 56% à son maximum en 2006", précise la Drees, alors que le gouvernement souhaite prioritairement développer ce mode d’accueil (voir notre article). "Les 23% restants sont accueillis différemment (hébergement autonome, placement à domicile, accueil par un tiers bénévole, attente de lieu d’accueil, accueil chez la future famille adoptante)", est-il détaillé.
Une dépense par bénéficiaire variant du simple au triple selon les départements
Ces données sont issues de l’édition 2025 de la compilation par la Drees de ses données sur les bénéficiaires de l’ASE, les mesures et les dépenses départementales associées. "En 2023, les départements ont consacré 11 milliards d’euros à la protection de l’enfance", dont 80% pour les mesures d’accueil, indique la Drees. Cette dépense totale a été augmentée de 70%, en euros constants, entre 1998 et 2023 – dont une multiplication par deux des dépenses d’accueil.
La Drees fournit des données sur les importantes disparités départementales, qui concernent tant le nombre d’enfants pris en charge par l’ASE que le type de prise en charge. Sur le taux des moins de 21 ans suivis par l’ASE, certains départements "se distinguent par une part particulièrement élevée" (c’est le cas de la Meuse, la Creuse et la Nièvre) et d’autres par une part plus faible (notamment en Île-de-France, dans le quart sud-est de la France et dans les Pays de la Loire).
Sur les coûts, la dépense annuelle moyenne d’accueil par bénéficiaire s’est élevée à 41.000 euros en 2023. Cette dépense moyenne varie fortement selon les territoires : d’une tranche à 21.400-31.200 euros (10 départements) à une tranche à 60.300-75.700 (trois départements : Paris, les Hauts-de-Seine et la Haute-Savoie), les trois quarts des départements ayant une dépense annuelle entre 31.200 et 47.100 euros.
Outre les coûts de structure, ces différences sont liées à des modalités d’accueil très variables, "la proportion d’enfants accueillis chez une assistante familiale [variant] de 28% à 45%" dans une petite moitié des départements. Cette part est inférieure à 28% dans 24 départements et supérieure à 45% dans 29 départements (et même supérieure à 56% dans 11 départements, notamment en outre-mer).
Concernant les actions éducatives, la répartition entre mesures administratives (aides éducatives à domicile, AED) et mesures judiciaires (actions éducatives en milieu ouverte, AEMO) présente des différences marquées, la part d’AED – qui est de 29% en moyenne nationale - variant de 8% à 58% selon les départements.