Qualité de l’eau : le décret Sdage court à la révision

Répondant à une question préjudicielle du Conseil d’État, la Cour de justice de l’Union européenne estime qu’un programme ou projet susceptible de provoquer une détérioration de l’état des eaux, même temporaire et de courte durée, et sans conséquences de long terme, ne saurait être approuvé hors de tout contrôle. Le décret relatif aux schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage) de 2018 devra donc être révisé.

La directive-cadre sur l’eau "ne permet pas aux États membres, lorsqu’ils apprécient la compatibilité d’un programme ou d’un projet particulier avec l’objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux, de ne pas tenir compte d’impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme sur celles-ci, à moins qu’il ne soit manifeste que de tels impacts n’ont, par nature, que peu d’incidence sur l’état des masses d’eau concernées et qu’ils ne peuvent entraîner de ‘détérioration’ de celui-ci". En conséquence, "lorsque, dans le cadre de la procédure d’autorisation d’un programme ou d’un projet, les autorités nationales compétentes déterminent que celui-ci est susceptible de provoquer une telle détérioration, ce programme ou ce projet ne peut, même si cette détérioration est de caractère temporaire, être autorisé que si les conditions prévues à l’article 4, paragraphe 7, de ladite directive sont remplies". 

Recours FNE contre le décret Sdage

Telle est l’interprétation que vient de donner la Cour de justice de l’Union européenne (Cjue) de l’article 4 de cette directive 2000/60/CE du 23 octobre 2000, en réponse à la question du Conseil d’État français formulée dans une décision du 14 octobre 2020. Cette demande s’inscrit le cadre d’une requête de l’association France Nature Environnement (FNE) visant la légalité du décret du 4 octobre 2018 relatif aux schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage) et schémas d’aménagement et de gestion des eaux (Sage) -  voir notre article du 8 octobre 2018 -, et plus particulièrement de son article 7. Cet article dispose notamment que pour apprécier la compatibilité des programmes et décisions administratives avec l’objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux, "il n’est pas tenu compte des impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme". Or, la FNE estime que cette dérogation méconnaît l’article 4 de la directive, puisque ne satisfaisant pas aux critères de son paragraphe 6 qui ne permet une détérioration temporaire de l’état des masses d’eau que lorsqu’elle est due à des causes naturelles ou de force majeure, exceptionnelles ou qui n’auraient raisonnablement pas pu être prévues, ou à des accidents qui n’auraient raisonnablement pas pu être prévus, et ce lorsque cinq conditions cumulatives sont par ailleurs réunies. Pour Benjamin Hogommat, juriste à FNE, le décret de 2018 est "dangereux pour la qualité des masses d'eau car il ne fixe aucun garde-fou pour garantir l'absence de détérioration des eaux suite à des impacts présentés comme 'temporaires'". "Certains projets dont la phase chantier génère de forts impacts sur les eaux pourraient être autorisés de façon bien plus permissive à cause d'un tel décret, sans aucune mesure de compensation plus précoce, par exemple," estime-t-il.

Front uni des États membres et des services de la Commission

Le gouvernement, lui, justifiait sa position en arguant que la disposition litigieuse était fondée sur l’autre possibilité de dérogation prévue par la directive, à son article 4 paragraphe 7. Ce dernier dispose notamment que l’État ne commet pas d’infraction lorsque l’échec des mesures visant à prévenir la détérioration de l’eau de surface résulte de nouvelles activités de développement humain durable, moyennant le respect de quatre conditions cumulatives : l’édiction de mesures d’atténuation ; la motivation des altérations ; la présence d’un intérêt général majeur ou des bénéfices pour l’environnement et la société inférieurs aux bénéfices pour la santé humaine, la sécurité des personnes ou le développement durable ; l’absence de solutions alternatives.
Se prévalant d’un guide des services de la Commission et des administrations des États membres, le ministère considère que lorsque de telles activités n’ont sur l’état d’une masse d’eau qu’un impact temporaire et sans conséquence de long terme, elles peuvent faire l’objet d’une autorisation sans avoir à respecter les quatre conditions mentionnées.

Pas de détérioration = pas de détérioration

Une lecture qui n’a pas convaincu la cour, qui la juge "contredite par l’économie générale" de la directive. Elle rappelle que si les États ne sont pas tenus de prendre en compte des impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme, c’est uniquement lorsqu’il est établi que ces impacts n’ont, par nature, que peu d’incidences sur l’état des masses d’eau, et qu’ils ne sont, par conséquent, pas à même d’entraîner des détériorations de celles-ci. La Cour juge qu’accepter une interprétation selon laquelle une détérioration d’une durée prévisible n’est pas contraire à l’obligation de prévenir la détérioration – ce qui permettrait d’autoriser un projet susceptible de provoquer une telle détérioration "hors de tout contrôle" – serait manifestement incompatible avec les objectifs de la directive visant à éviter toute détérioration, même temporaire et de courte durée.

Révision prochaine, mais certaine, du décret

L’affaire est renvoyée devant le Conseil d’État, qui ne manquera pas de retenir l’interprétation de la Cour, et donc d’annuler la disposition du décret attaqué. On relèvera d’ailleurs que le rapporteur public du Conseil d’État, quand bien même avait-il préconisé cette question préjudicielle, semblait incliner pour cette solution. Seul le fait que les responsables de l’eau de chaque État membre et les services de la Commission aient retenu une autre interprétation l’avait conduit à conclure à la sollicitation de la Cour, en faisant prévaloir l’idée d’une application uniforme du droit communautaire.

Référence : CJUE, 5 mai 2022, affaire C-525/20, Association FNE c/ Premier ministre, Ministre de la transition écologique