Un engouement pour les caisses communes de l'alimentation
Montpellier, Cadenet, Bordeaux, Gironde... Depuis deux ans, le nombre de caisses alimentaires communes se multiplient sur le territoire, préfigurant ce qui pourrait être une sécurité sociale de l'alimentation. La 5e édition des Rencontres de l’alimentation durable, organisée le 16 septembre à Paris, a été l'occasion de dresser un état des lieux.

© Capture vidéo Fondation Daniel et Nina Carasso/Alexia Gros, Lorana Vincent, Boris Tavernier et Laura Faucher
En février 2023 naissait la première expérimentation de "caisse alimentaire commune" en France, à Montpellier. En deux ans, l’idée a fait tache d’huile et l’on dénombre plus d’une centaine d’initiatives de "démocraties alimentaires" dont entre 70 et 100 expérimentations de caisses à travers la France. "Sûrement plus, parce qu’il y en a plein qui passent sous les radars", a expliqué Anna Faucher, directrice de l’association Let's Food, qui a dévoilé, le 16 septembre, lors de la 5e édition des Rencontres de l’alimentation durable, les premiers résultats d’une enquête menée avec le cabinet Vertigo Lab. Cette enquête sera présentée dans son intégralité le 18 novembre au Hub des Territoires (Banque des Territoires). La plupart des projets ont vu le jour "entre le second semestre 2024 et le premier semestre 2025", ce qui dénote un "engouement" récent, a-t-elle souligné, lors d’une table ronde consacrée à ce phénomène. L’enquête fournira aussi une cartographie des initiatives existantes. Celles-ci sont fortement concentrées dans trois régions : Auvergne-Rhône-Alpes, Nouvelle-Aquitaine et Occitanie, relève Anna Faucher.
Les caisses alimentaires reposent sur un principe de gestion commune d’un budget alimentaire redistribué ensuite de façon équitable. Certaines proposent un système de cotisation volontaire : chaque participant cotise en fonction de ses moyens et reçoit en retour une allocation, généralement d’environ 150 euros par personne et par mois, à dépenser dans les commerces locaux conventionnés. L’objectif est de favoriser l’accès de tous à une alimentation de qualité mais aussi de faire de l’alimentation un objet de démocratie de proximité. Les caisses s’appuient ainsi sur un "comité citoyen de l’alimentation" ou "comité habitant". "C’est vraiment le comité citoyen qui décide de comment on prend les décisions ensemble, qu’est-ce qu’on a envie de changer, quels producteurs on a envie de conventionner (…) tout se définit à l’échelle locale", insiste Alexia Gros, coordinatrice sur les questions d’alimentation au sein du Civam (Centres d'initiatives pour valoriser l'agriculture et le milieu rural).
"La place des collectivités se renforce"
L’enquête montre que trois caisses (Montpellier, Gironde et Toulouse) ont déjà atteint une taille critique avec plus de 300 expérimentateurs. 53% comptent entre 20 et 50 expérimentateurs. Sur la vocation des caisses, 63% ont déclaré avoir une portée universelle, quand les autres visent un public plus spécifique (personnes précaires, étudiants…). Avec un budget annuel moyen qui frôle les 300.000 euros, les caisses ont généralement recours à des financements externes (publics ou privés). Seulement 27% reposent sur de l’autofinancement.
Certaines sont portées par des associations, telles que Au maquis, à Cadenet (Vaucluse) ou des collectifs citoyens (Gironde, Bordeaux…), voire des réseaux de groupements agricoles. Mais "la place des collectivités se renforce", constate Anna Faucher. Quatre des 32 caisses qui ont répondu à l’enquête sont portées directement par les collectivités, ce sont aussi les plus récentes.
Toutes ces initiatives s’inspirent de l’idée de sécurité sociale de l’alimentation (SSA) apparue il y a quelques années pour pallier une situation économique et sociale de plus en plus dégradée. "Ce projet part du constat que le modèle capitaliste est désastreux pour les agriculteurs et les travailleurs de la filière mais aussi pour la qualité des produits, que les inégalités sociales augmentent et qu’il y a une crise démocratique", affirme Lorana Vincent, déléguée générale de Vrac (Vers un réseau d’achat commun) France.
Sécurité sociale de l'alimentation
L’enjeu : placer l’accès à l’alimentation durable au même niveau que l’accès aux soins. Les promoteurs de la sécurité sociale de l'alimentation, regroupés dans un collectif qui réunit une cinquantaine d’associations et syndicats, entendent s’inspirer de la "Sécu" telle qu’elle a été instituée en 1945 par le Conseil national de la résistance (CNR). Lors de son lancement, "la gestion était assurée par les assurés eux-mêmes" jusqu’à la repise en main par l’Etat en 1967, souligne Lorana Vincent. Le coût de la SSA serait "de 120 milliards d’euros", sachant que "le coût d’affection de longue durée de la sécurité sociale est de 110 milliards d’euros", calcule-t-elle : "Il n’y aurait pas un système de vase de communication immédiat, mais on sait que l’alimentation est un déterminant de santé majeur (…). On pourrait imaginer qu’à terme, il y ait une branche de la Sécu qui soit allégée."
L’agriculture qui, dans les années 1960, avait pour objectif de nourrir toute la population, ne pourvoit plus à cette mission première. Entre 7 et 8 millions de Français ont recours à l’aide alimentaire. Et 15% de la population vit sous le seuil de pauvreté monétaire, selon l’Insee (voir notre article du 7 juillet). "Le droit à l’alimentation n’est pas effectif", déplore Alexia Gros. L’an dernier, le Civam avait coproduit, avec d’autres associations dont le Secours catholique, un rapport intitulé "L’injuste prix de notre alimentation". Il chiffrait à 19 milliards d’euros les compensations (dépollutions, couvertures des maladies) liées aux dysfonctionnements du système alimentaire. "Sur les dix dernières années, le nombre de personnes atteintes du diabète a augmenté de 160%. Aujourd’hui 18% des agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté. Et on a une chute drastique de la biodiversité qui est impactée par notre système agro-alimentaire", argue Alexia Gros pour montrer tous les enjeux d'une alimentation durable.
Approche globale
Si de nombreuses initiatives existent déjà pour lutter contre la précarité alimentaire (Restos du cœur, épiceries solidaires, banques alimentaires…), là, il s’agit d’avoir une approche globale qui pourrait aider à réorienter les modes de production et d’alimentation. "On est toujours sur des politiques publiques qui abordent ces sujets agriculture et alimentation avec des politiques sectorisées", le ministère de l’Agriculture d’un côté, celui de la Santé de l’autre, avec une "insuffisance de pilotage global", relève Alexia Gros.
L’intérêt des caisses est de ne pas attendre une très hypothétique sécurité sociale de l’alimentation qui aura bien du mal à s’imposer en période de disette budgétaire. Et de passer à l’action. Pour donner plus de poids à ces initiatives, le député EELV Charles Fournier (Indre-et-Loire) a porté une proposition de loi "d'expérimentation vers l’instauration d’une sécurité sociale de l’alimentation" visant, comme son nom l’indique, à expérimenter pendant cinq ans "la mise en place et le financement de caisses alimentaires" dans une vingtaine de territoires. Examinée à l’Assemblée le 20 février, dans le cadre de la niche EELV, elle n’a pas pu être votée dans les temps en raison d’un agenda encombré (voir notre article du 28 février), au grand désarroi de son corapporteur Boris Tavernier (Rhône). "C’est le seul projet sur la table qui peut vraiment changer la société", estime-t-il. Ne s’attendant pas à voir un nouveau texte dans les prochains mois, il insiste sur les besoins de financements. Charles Fournier avançait l’idée d’un "fonds national d’expérimentation de la sécurité sociale de l’alimentation", estimant à 35 millions d’euros nécessaires son fonctionnement, sur le modèle du fonds d’expérimentation dédié aux territoires zéro chômeur de longue durée, rapportés aux 19 milliards des surcoûts d’une mauvaise alimentation pour la santé. Boris Tavernier avance plusieurs pistes : les tickets restaurants, la réorientation de la taxe soda… "Cela va être compliqué, le budget va être assez violent, mais on ne désespère pas, tout ce qui se passe sur le terrain ça existe pour de vrai, ce sont des milliers de personnes qui font vivre ces caisses-là ."