Un nouveau site et une carte interactive pour mieux connaître les polluants dans l’eau du robinet
Les ONG Générations Futures et Data For Good ont mis en ligne ce 16 octobre "Dans mon eau", un site proposant une carte interactive des principaux polluants chimiques présents dans l'eau du robinet en France, espérant permettre ainsi "un accès plus facile du public à ces informations".

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Connaître, à partir de données actualisées chaque mois, son exposition, aux cinq grandes familles de polluants de l’eau du robinet (pesticides et leurs métabolites, PFAS ou "polluants éternels", nitrates, CVM ou perchlorates), quel que soit son lieu de résidence : c’est ce que proposent les ONG Générations Futures et Data For Good qui ont conçu l’outil "Dans mon eau" et sa carte interactive, mis en ligne ce 16 octobre. Les deux associations ont souhaité avec ce site rendre plus accessibles et compréhensibles des données déjà publiques, issues du contrôle sanitaire effectué par les agences régionales de santé (ARS) pour chaque unité de distribution d’eau potable (UDI). Cette transparence de l’information était d’ailleurs demandée par un récent rapport des inspections des ministères de l’Ecologie, de la Santé et de l’Agriculture.
Données actualisées tous les mois
Un moteur de recherche permet de rentrer l'adresse de son domicile et de consulter les données qui lui correspondent, avec "les résultats des dernières analyses effectuées sur chaque catégorie de polluants", des données "actualisées tous les mois, permettant ainsi d'identifier au plus tôt de nouvelles situations problématiques", expliquent les ONG. Il est également possible de connaître l'historique de l'exposition, avec des bilans annuels (à partir de 2020), indiquant les pourcentages d'analyses non conformes retrouvées chaque année. L’historique permet également de visualiser les évolutions dans le suivi de certains paramètres, notamment des métabolites de pesticides et des PFAS.
La problématique des polluants de l’eau potable et de leur gestion par les pouvoirs publics étant particulièrement complexe, les associations ont aussi souhaité fournir au lecteur du contenu pédagogique, présent au niveau de la carte et sur la page "Comprendre" du site. Pour bien interpréter les cartes pesticides, un code couleur permet de faire facilement la distinction entre les différentes limites appliquées aux polluants, à savoir les limites de qualité fixées par la réglementation et les limites sanitaires recommandées par les autorités de santé, qui correspondent à la concentration maximale d’une substance ne présentant pas de risque pour la santé.
Qualité de l'eau globalement bonne mais...
De manière générale, la qualité de l’eau est globalement bonne en France avec actuellement plus de 87% des UDI conformes à la réglementation et sans dépassement de limites sanitaires, soulignent Générations futures et Data for good. Elles précisent toutefois que ce taux est "à interpréter avec prudence", car il exclut les métabolites (molécules issues de la dégradation des pesticides) classés comme "non pertinents" par les autorités sanitaires.
La carte révèle notamment "une grande hétérogénéité" sur le territoire, selon les auteurs de l’outil. "Le nord de la France est particulièrement concerné par la majorité des cas de non conformité et des recommandations de non consommation de l'eau", soulignent les auteurs, qui ajoutent que "la très grande majorité des cas de non conformité à la réglementation, recensés au 29 août 2025, sont dus à la présence de métabolites de pesticides."
Les associations soulignent un suivi inégal des PFAS ou "polluants éternels", utilisés dans de nombreux objets pour leurs propriétés antiadhésives, imperméabilisantes ou leur résistance à la chaleur, mais ayant pour certains des effets délétères sur la santé. Il manque des analyses "dans plus de la moitié" des UDI (52,4%)", indiquent-elles, évoquant l'Occitanie et les départements d'outre-mer.
Dans 3% des UDI (709 au total), l’eau peut faire l’objet de recommandations de restriction de la consommation pour toute ou partie de la population. Dans la majorité de ces situations, l’eau est déconseillée à la consommation pour les nourrissons de moins de 6 mois et les femmes enceintes en raison de la présence de perchlorates. Certaines UDI contiennent plusieurs types de polluants, à des teneurs élevées, simultanément (à la fois des pesticides nitrates et perchlorates par exemple). Pour les associations, ces situations devraient être considérées comme "prioritaires à traiter par les pouvoirs publics".
Les différents polluants passés au crible
Dans l’analyse des différents polluants, la carte révèle que 435 UDI sont concernées par un dépassement de la limite de 4 µg/l de la teneur en perchlorates, des sels pouvant être utilisés dans de nombreuses applications militaires (missiles, dispositifs pyrotechniques, poudres d’armes à feu…), industrielles (propulseurs de fusées, agent de blanchiment des textiles…) et agricoles (engrais). Les associations attribuent notamment la présence plus importante de perchlorates dans les communes du Nord-Pas-de-Calais, de Picardie et de Champagne-Ardenne aux zones de combats de la Première et de la Deuxième Guerre mondiales.
Concernant le CVM ou chlorure de vinyle monomère, utilisé notamment dans la fabrication des canalisations en PVC avant 1980, les données disponibles montrent qu’il y a actuellement au moins 95 UDI en France où ce polluant dépasse la limite de qualité mais "ce chiffre est certainement très sous-estimé", insistent les auteurs de "Dans mon eau". Des communes sont particulièrement contaminées comme Champnetery en Haute-Vienne (18 µg/l mesurés le 26 août dernier, correspondant à 36 fois la limite de qualité), Isle-et-Bardais dans l’Allier (4,8 µg/l le 20 août 2025), Blomac dans l’Aude (4,9 µg/ le 21 août 2025) ou Caubon-Saint-Sauveur dans le Lot et Garonne (3,9 µg/l le 25 août 2025).
Des statistiques qui se dégradent pour les nitrates
L’outil montre que 167 UDI sont en dépassement de la limite de qualité pour les nitrates, résultant principalement de l’activité agricole. A rebours des idées reçues, la Bretagne, touchée par le phénomène des algues vertes sur ses plages, n’est pas concernée par des dépassements de la limite de qualité pour les nitrates dans l’eau potable. "Ceci s’explique probablement par la structure des sols et la configuration des captages dans cette région", estiment les associations. Parmi les communes dépassant les valeurs limites, la carte fait apparaître Prunay-Belleville dans l’Aube (70 mg/l mesurés le 13 août 2025) ou Soncourt dans les Vosges (65 mg/l mesurés le 3 juin 2025). Dans son recours contre la France introduit en février dernier, la Commission européenne dit avoir identifié 107 UDI en dépassement chronique sans toutefois en fournir la liste. L’outil "Dans mon eau" permet de faire apparaître la liste de 43 UDI ayant plus de 50% de non-conformité chaque année depuis 2020. Mais "les statistiques globales sur les bilans annuels de non-conformité pour les nitrates ne s'améliorent pas depuis 2020 et ont même tendance à s’empirer ces deux dernières années", déplorent les associations. Elles citent ainsi le cas de la commune de Villiers-Saint-Georges en Seine-et-Marne et de plusieurs communes avoisinantes où les nitrates dépassaient 50 mg/l dans 78% des cas en 2020, 2021 et 2022. Mais depuis 2023, plus aucun résultat d’analyse de nitrates n’est disponible.
Les données disponibles sur les PFAS sont jugées "globalement rassurantes" par les associations. Sur les plus de 11.000 UDI avec des données disponibles pour les PFAS, seules 1,2% (141 UDI) dépassent les limites réglementaires ou recommandées. Toutefois ces données n’incluent pas le TFA, le PFAS le plus présent dans l’eau potable, relativisent les concepteurs de "Dans mon eau". De plus, des situations locales "particulièrement problématiques" sont révélées par la carte, soulignent-ils. 33 UDI sont en non conformité dont 12 dépassent également les limites sanitaires, comme à Arrentès-de-Corcieux, petite commune des Vosges où la contamination de l’eau est attribuée à des épandages de boues de station d’épuration dans laquelle une usine de blanchiment de textile située à Gérardmer a effectué des rejets.
Pesticides présents dans près d'un tiers des réseaux d'eau potable
Enfin, au 29 août 2025, d’après les derniers résultats disponibles, des pesticides sont retrouvés dans près d’un tiers (31,5%) des réseaux de distribution d’eau potable en France et 5,7% (1.377) des UDI en France sont en non-conformité pour les pesticides, selon le rapport des associations. Un métabolite est responsable à lui tout seul de 86% de ces cas de non conformités, le chloridazone desphényl, métabolite du chloridazone, un herbicide qui a été utilisé principalement dans la culture des betteraves des années 1960 jusqu'en 2020, année de son interdiction en France et en Europe.
Mais le métabolite le plus retrouvé dans l’eau potable en France, et de loin, est le chlorothalonil R471811, présent dans 22,3% des UDI en France. Ce métabolite considéré pertinent par l’Anses en 2022, a été “déclassé” en non pertinent en 2024. Sa présence dans l’eau au-delà de 0,1 µg/L n’est donc plus considérée comme une “non conformité”. Alors que les métabolites classés non pertinents sont rendus invisibles et exclus des statistiques officielles, “Dans Mon Eau” permet de garder leur présence visible, insistent les concepteurs de l’outil qui lancent aussi une pétition dans laquelle ils demandent "une surveillance renforcée de la qualité de l’eau potable".
"Nous demandons par exemple l’élargissement de la liste des métabolites de pesticides à surveiller nationalement et localement et la transparence sur toutes les analyses réalisées", soulignent-ils. Ils appellent également à la mise en place d’une politique "proactive" qui encadre les activités dans les aires d’alimentation de captage et accompagne les acteurs dans leurs changements de pratiques et la reconception de leurs systèmes de production et réclament "une gestion transparente et fondée sur la santé de l’eau potable avec la mise en place de mesures curatives et une meilleure information des personnes concernées".
Pesticides et médicaments retrouvés dans l'eau de mer sur tout le littoral françaisDes substances pharmaceutiques et des pesticides ont été retrouvés dans des mollusques et de l'eau de mer sur toutes les côtes de l'Hexagone, même dans des endroits éloignés des sources de pollution, selon une étude publiée ce 15 octobre par l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer). Dans le cadre du projet Emergent'Sea, financé par l'Office français de la biodiversité (OFB), les scientifiques de l'Ifremer, en collaboration avec l'Unité mixte de recherche EPOC (Université de Bordeaux, CNRS) ont analysé plus de 11.300 résultats issus de prélèvements, réalisés entre 2021 et 2023, de la Baie de Somme à la Corse, dans des mollusques (huîtres, moules) ou dans l'eau de mer. Les trois quarts (77%) des substances recherchées ont pu être mesurées au moins une fois dans l'eau de mer. Dans les mollusques, 65% des substances recherchées ont été quantifiées au moins une fois, selon le rapport dévoilé mercredi par le journal Le Monde. En moyenne, 15 substances ont été mesurées par point de suivi dans l'eau de mer, et jusqu'à 28 substances pour certaines zones du littoral. Dix substances en moyenne ont été retrouvées dans les mollusques. "Tous les points échantillonnés présentent des contaminations", a souligné à l'AFP Isabelle Amouroux, responsable de l'unité Contamination Chimique des Ecosystèmes Marins (CCEM) à l'Ifremer. "C'est la première fois qu'une campagne d'une telle ampleur est réalisée au niveau du littoral: ça nous donne une vision générale de la contamination sur l'ensemble du littoral, pour plus d'une centaine de substances", a-t-elle ajouté. Les scientifiques ont retrouvé des traces de contamination jusque sur la petite île de Ouessant (Finistère), au large de la pointe bretonne, pourtant éloignée des estuaires déversant les polluants issus du continent. Jusqu'à deux substances pharmaceutiques et quinze pesticides ont été mesurés sur le littoral de cette île. Dans l'eau de mer, les substances les plus souvent retrouvées sont des herbicides et des substances pharmaceutiques, comme le paracétamol, des métabolites du métolachlore (un désherbant) ou l'atrazine, un herbicide redoutable pour la santé, interdit depuis une vingtaine d'années en Europe. Dans les mollusques, la contamination est surtout issue d'herbicides et de produits antifouling (peinture anti-souillure pour les coques de bateaux). Il reste désormais à définir des seuils d'effets pour "pouvoir interpréter ces données" et évaluer "s'il existe un risque pour les écosystèmes marins", a précisé Isabelle Amouroux, en soulignant qu'il existe également "des effets cocktails difficiles à appréhender". |