Un rapport parlementaire fournit des pistes pour accélérer la restauration écologique des cours d’eau
À travers leurs travaux exposés dans un rapport d’information remis ce 12 novembre, les députés Julie Ozenne (Écologiste-Essonne) et Freddy Sertin (EPR-Calvados) ont cherché à comprendre ce qui bloque aujourd’hui la restauration des cours d’eau, soumis à des pressions multiples exacerbées par le changement climatique et dont l’état ne cesse de se dégrader. Une vingtaine de recommandations sont formulées pour lever les obstacles qui freinent les initiatives locales, qu’ils soient d’ordre foncier, financier, ou qu’ils tiennent à l’acceptabilité des projets et à la nécessité d’un portage politique affirmé. L’une des propositions phares des rapporteurs est d’étendre les missions du conservatoire du littoral pour permettre la réalisation d’opérations de restauration sur les espaces riverains des cours d’eau qui font l’objet d’une forte pression foncière pour la production agricole ou forestière.
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La mission d’information sur l’état des cours d’eau, lancée en février dernier sous la présidence d’Anaïs Sabatini (RN/Pyrénées-Orientales), a présenté ce 12 novembre, devant la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale, les conclusions de ses travaux. Près d’une vingtaine de propositions y sont formulées pour lever les obstacles et accélérer la restauration écologique des cours d’eau, donc cinq dédiées à la Guyane, qui fait face aux effets délétères d’un orpaillage incontrôlé, qui détruit 100 km de cours d’eau par an et en pollue près de 10.000 km.
Financement, propriété et disponibilités foncières, continuité écologique, prélèvements, gouvernance de l’eau ou pratiques vertueuses à développer etc., l’ensemble des leviers sont passés au crible par les corapporteurs Julie Ozenne (Écologiste-Essonne) et Freddy Sertin (EPR-Calvados). Une soixantaine d’organismes (acteurs institutionnels et économiques, élus locaux, usagers, associations, etc.) ont été auditionnés au travers des cinq déplacements effectués dans quatre régions (Bretagne, Île-de-France, Normandie, Pays de la Loire) et en Guyane (objet d’un focus) pour constater les pressions diverses exercées sur les cours d’eau (428.906 km rien que pour l’Hexagone) et observer les projets de restauration. Car il ne s’agit plus seulement de préserver les milieux aquatiques, mais bien de "leur redonner la capacité de résilience nécessaire pour faire face aux pressions multiples qu’ils subissent et pour répondre aux besoins essentiels des territoires", relève le rapport, qui fait d’emblée un constat alarmant : "l’objectif de bon état des cours d’eau fixé par la directive-cadre sur l’eau [DCE] ne sera pas atteint en 2027 [tant à l’échelle nationale qu’européenne] et n’est pas près d’être atteint".
Moins de la moitié des cours d’eau en bon état
En effet, 56,7% des cours d’eau ne sont pas en bon état écologique et 56,2% ne sont pas en bon état chimique. Avec des résultats contrastés selon les territoires. L’état des cours d’eau étant fortement corrélé au degré d’anthropisation des bassins. La ressource en eau renouvelable essentielle aussi bien pour la consommation d’eau potable que pour le maintien des écosystèmes et de l’agriculture se raréfie aussi. "En quinze ans, la France a enregistré une baisse de 14% de cette ressource, sous l’effet combiné du changement climatique, des prélèvements excessifs et de l’évolution des usages des sols", pointe également Freddy Sertin. L’artificialisation des milieux (pressions hydromorphologiques) est d’ailleurs la première cause d’altération des cours d’eau (pour 51,5%) devant les pollutions diffuses (43,3%), en particulier celles liées aux nitrates et aux pesticides, les rejets ponctuels de polluants (25,4%) issus d’activités industrielles, soumises à l’apparition de polluants émergents (PFAS, microplastiques), et les prélèvements excessifs.
L’état de la biodiversité est lui aussi préoccupant. Sur les 80 espèces de poissons d’eau douce recensées en France métropolitaine, 15 sont aujourd’hui menacées de disparition, soit près d’une sur cinq (parmi lesquelles l’anguille, le saumon ou le brochet).
La France n’est pas le seul État membre de l’UE confronté à des difficultés pour atteindre, à l’horizon 2027, les objectifs de bon état écologique et chimique, même si certains ont de bien meilleurs résultats, comme la Finlande ou l’Irlande. Aussi, les rapporteurs invitent le gouvernement à défendre, dans le cadre de la révision de la DCE, la fixation d’un objectif "plus réaliste et atteignable, sans renoncer à un haut niveau d’ambition", assortis de "jalons intermédiaires". Il reste par ailleurs encore à construire "un référentiel unique, lisible et partagé entre ministères de la Transition écologique et ministères de l’Agriculture, afin d’éviter les disparités d’interprétation et de garantir une mise en œuvre des obligations relatives aux cours d’eau cohérentes sur tout le territoire", appuie le rapport.
Amplifier l’effort financier
La mission évalue le besoin de financement annuel pour restaurer les cours d’eau à 500 millions d’euros par an. Un financement qui pourrait notamment passer par une réforme des redevances des agences de l’eau, "dont le déséquilibre actuel entraîne une hausse du coût de l’eau du robinet et donc une perte de pouvoir d’achat pour les Français, le principe de pollueur-payeur étant insuffisamment mis en œuvre". Concrètement, le rapport plaide pour supprimer le plafond mordant des agences de l’eau et rehausser le plafond des dépenses à hauteur des ambitions du plan Eau, via une augmentation des redevances pour prélèvement et pour pollutions diffuses, avec une diminution de la part due par les usagers domestiques.
"Mais les moyens financiers à eux seuls ne suffiront pas, car les initiatives locales se heurtent encore à de nombreux obstacles, notamment fonciers, réglementaires ou liés à l’accessibilité sociale des projets", remarque Julie Ozenne. La continuité écologique est notamment une question sensible qui nécessite de concilier différents usages des cours d’eau. Pour preuve, le riche contentieux sur les moulins à eau. Sur cet épineux sujet, le rapport préconise de revenir sur la dérogation accordée à l’article 49 de la loi Climat et Résilience pour permettre la destruction de moulins abandonnés ou ruinés après avis du conseil municipal, pris en fonction des enjeux environnementaux, économiques et culturels.
Élargir les missions du Conservatoire du littoral
"La réussite de la politique de restauration passe d’abord et avant tout par une meilleure maîtrise du foncier en bordure immédiate du cours d’eau comme dans ses zones d’influence plus étendues" (rives, zones humides, forêts), martèle Julie Ozenne, y voyant un levier décisif pour permettre de redonner aux cours d’eau leur forme naturelle, notamment par le biais de "reméandrage".
La mission propose entre autres de simplifier la procédure de renouvellement de la déclaration d’intérêt général pour les opérations de restauration et d’entretien des cours d’eau à l’issue de sa période de validité de 5 ans. Ou encore de munir les structures "gémapiennes" d’un droit de préemption des espaces naturels pour répondre à la fragmentation des propriétés privées riveraines.
Surtout, les rapporteurs recommandent de bâtir une stratégie nationale foncière dédiée à la restauration des cours d’eau déclinée à l’échelle des bassins versants afin d’assurer la cohérence et la continuité des actions locales. Pour mettre en œuvre cette stratégie, ils prévoient d’étendre les missions du Conservatoire du littoral aux cours d’eau et espaces rivulaires. Ce nouveau "Conservatoire du littoral, des cours d’eau, des milieux aquatiques et humides" appelé (Clemah) aurait vocation à acquérir et protéger, dans les zones de forte pression, les terres riveraines depuis la source, y compris en montagne, jusqu’à l’estuaire, dans une logique de continuum terre-mer.
Améliorer la démocratie de l’eau
Le rapport souligne la place essentielle que doivent jouer les citoyens dans la gouvernance de l’eau, "rôle trop souvent méprisé", qu’il appelle "à revaloriser, pour apaiser les potentiels conflits de l’eau qui risquent d’émerger avec le changement climatique". "Nos déplacements sur le terrain le démontrent, là où la population est associée, les projets de restauration réussissent", insiste la rapporteure. Il est donc essentiel "de diffuser une culture partagée de la restauration écologique, avec un portage politique affirmé à tous les niveaux" ; Pour ce faire, il faut donner aux porteurs de projets les moyens d’agir, notamment en renforçant les effectifs des DDTM (directions départementales des territoires et de la mer) pour un accompagnement technique et pédagogique sur le terrain, plaide la mission.
Cette dynamique doit aussi s’appuyer sur une gouvernance locale opérationnelle. À ce titre, le rapport recommande de généraliser et de rendre obligatoires les schémas d’aménagement et de gestion des eaux (Sage) qui constituent des outils essentiels de concertation et de planification à l’échelle du bassin versant, et ce à partir de 2028, au début du prochain cycle de la DCE. Aujourd’hui, seuls 56% des territoires sont couverts par un Sage.
Promouvoir les pratiques vertueuses
Restaurer nos cours d’eau, c’est aussi repenser nos pratiques et notre gestion de l’eau et s’engager résolument dans une démarche de sobriété hydrique. "Si nous saluons l'objectif du plan Eau qui vise une réduction de 10% des prélèvements d’ici 2030, nous considérons qu’il est nécessaire de conforter cet objectif et d’aller plus loin", relèvent les rapporteurs.
La mission propose de définir dans la loi une trajectoire nationale de sobriété hydrique assortie d’objectifs de réduction des prélèvements et des consommations d’eau déclinées dans les Sdage (schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux) pour chaque secteur, y compris agricole.
Cette démarche doit s’accompagner d’une transformation des pratiques agricoles. Pour soutenir la transition vers des modèles agroécologiques, le rapport table sur une augmentation des aides prévues au titre du second pilier de la PAC, en vue du financement des mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec) et de l’agriculture biologique. Les paiements pour services environnementaux (PSE), par leur capacité à mobiliser les agriculteurs et à s’adapter aux spécificités territoriales, s’affirment également comme un levier stratégique "à pérenniser".