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Assises des villes moyennes - Albi : "L'obsession de l'investissement et de l'attractivité"

Les quatrièmes Assises des villes moyennes et intercommunalités, organisées les 4 et 5 juin à Châlons-en-Champagne par la Fédération des maires des villes moyennes (FMVM), vont permettre aux maires de ces villes de 20.000 à 100.000 habitants de débattre des réformes en cours et d'échanger autour des solutions innovantes qu'ils déploient pour faire face à la crise. Quelles sont, dans ce contexte difficile, les stratégies mises en œuvre par les villes moyennes et leurs agglomérations pour accroître leur dynamisme et leur attractivité ? Localtis a recueilli, en partenariat avec la FMVM, les témoignages de quelques-uns de ces élus de terrain.
Aujourd'hui, Philippe Bonnecarrère, maire d'Albi (50.500 habitants) et président de la communauté d'agglomération de l'Albigeois (80.000 habitants) dans le Tarn, revient sur son combat permanent en faveur du développement de sa ville, convaincu qu'une posture offensive est le seul moyen de ne pas se laisser "aspirer" par la métropole régionale, Toulouse.

 

Localtis - En quels termes décririez-vous les grands enjeux qui se posent aujourd'hui à Albi et la stratégie que vous souhaitez mettre en oeuvre pour y répondre ?

Philippe Bonnecarrère - La stratégie développée à Albi est clairement une stratégie d'attractivité du territoire. Je pars de deux constats. Le premier, qui n'est certes pas très original, c'est le fait que les territoires sont en concurrence ou en compétition, que ce soit sur le plan national ou sur le plan européen. L'action d'une collectivité doit être largement centrée sur ce point.
Le deuxième élément, qui vient renforcer cette logique de combat pour l'attractivité d'un territoire, c'est le fait que toutes les positions sont aujourd'hui remises en question étant donné les phénomènes de régionalisation en cours, qui sont liés à des logiques économiques et sur lesquels tout le monde vient progressivement se caler, notamment l'Etat à travers la RGPP. De ce fait, les villes de nos dimensions ne sont plus incontournables. Il convient donc désormais de compter sur nos propres forces, nos propres capacités d'attractivité, pour construire notre parcours.
Dernier élément m'incitant à être obsédé par les forces du territoire et par son attractivité, pour la ville d'Albi en particulier : non seulement nous prenons la vague de la réorganisation institutionnelle et économique du pays avec la régionalisation, non seulement nous prenons la vague de la crise économique... mais nous avons en plus un autre élément qui vient durcir cette compétition, à savoir le fait que nous sommes dans la région de France, avec l'Ile-de-France, où le phénomène de métropolisation est le plus fort, où l'on trouve le plus fort niveau de concentration sur la capitale régionale. Toulouse représente en effet aujourd'hui, avec son département, une population de l'ordre de 1,2 million d'habitants, dans une région de 2,4 millions d'habitants.
Si j'additionne ces éléments, notre ville est donc confrontée à une concurrence très proche, qui nous oblige vraiment dans tous les domaines à muscler notre offre. Aujourd'hui, nous avons donc besoin d'investir plus que jamais dans nos infrastructures. Nous prévoyons par exemple de réaliser une salle de spectacles et de congrès assez importante. On songera aussi à tous nos investissements sur le patrimoine de la ville, en complément de notre action pour essayer d'obtenir en 2010 notre classement au Patrimoine mondial de l'Unesco. Tout simplement parce que nous avons vraiment besoin d'une ambition de territoire. Sinon, nous pourrions être assez vite marginalisés. On n'a pas le choix.
J'ajoute à cela une autre conviction, toute personnelle : je pense que la notion de ville moyenne ne sera pas tenable dans la durée. Tout ce qui est moyen en général est difficile à tenir... En clair, soit nos villes moyennes résisteront à la concurrence - et elles ne pourront le faire qu'en grossissant, en évoluant vers un modèle se rapprochant de celui des grandes villes - soit elles ont vocation à évoluer, au contraire, vers le modèle des petites villes.

La proximité de Toulouse n'est-elle pas malgré tout aussi une force pour Albi ?

Non, c'est dans les livres que l'on dit ça. On peut éventuellement dire que c'est une complémentarité... mais je serais alors dans le politiquement correct. Le fond de ma pensée, c'est bien qu'il y a une situation de concurrence vis-à-vis de la capitale régionale. Je ne crois pas du tout à un rayonnement, à une répartition spontanée des forces sur le territoire : il s'agit là du modèle rhônalpin, qui marche très bien ailleurs mais qui a des causes historiques.
Fernand Braudel, dans "L'identité de la France", explique bien que l'on a deux types de capitales dans notre pays : d'une part, celles nées de la présence de matières premières ou de l'ouverture sur la mer, telles que Marseille ; d'autre part, celles qui sont liées aux mouvements internationaux, telles que Lille ou Lyon. Ces deux types de capitales ont toujours généré du développement autour d'elles. Lyon, par exemple, a toujours fonctionné en symbiose avec son armature territoriale environnante. Et puis vous avez deux capitales qui font exception à ce modèle... à savoir Paris et Toulouse, qui ont un fonctionnement inversé : elles fonctionnent par aspiration. Donc à la question de savoir si Toulouse peut être un appui pour le développement des autres villes de Midi-Pyrénées, je réponds clairement non.

Est-ce qu'en revanche, à son échelle, Albi peut être un pôle de rayonnement bénéficiant aux territoires du Tarn, à des villes telles que Castres ?

Oui. C'est même tout le sens de mon combat municipal. Mon obsession de l'investissement pour améliorer l'attractivité du territoire albigeois est complètement dans cette logique là. Il s'agit bien de constituer un pôle - un pôle démographique, économique, de services supérieurs, universitaire, de qualité sur le plan patrimonial - suffisamment fort pour jouer ce rôle de pôle de développement au Nord de Midi-Pyrénées, pour "tenir" ce territoire.
Derrière cela, il y a aussi une obsession, celle de la masse critique : pour arriver à assurer cette fonction, nous avons besoin d'une masse critique suffisante. Nous avons justement réussi à progresser en termes démographiques : nous avons franchi la barre des 50.000 habitants et sommes ainsi la troisième ville de Midi-Pyrénées, après Montauban.

Quels sont, alors, les atouts d'Albi en termes d'attractivité ?

Je mentionnerai d'abord les infrastructures, d'autant plus que plusieurs projets importants sont en cours avec, par exemple, le doublement de la rocade, dans le cadre du plan de relance, ou bien encore, au niveau ferroviaire, le doublement d'ici à 2013 de l'axe Toulouse-Albi-Rodez, qui était jusqu'ici à voie unique, obtenu dans le cadre du contrat de projet Etat-région. Quant aux infrastructures télécoms, on peut dire que la situation est tout à fait correcte, grâce au plan de résorption des zones blanches. Disons qu'en 2014, l'agglomération albigeoise pourra vraiment afficher un bon niveau d'infrastructures.
En second lieu, il y a l'atout patrimonial que j'ai déjà évoqué, qui est un élément phare de la notoriété d'Albi. Il y a, aussi, l'enseignement supérieur, sachant que nous avons la chance d'avoir un centre universitaire de qualité, ainsi qu'une école d'ingénieurs avec les Mines, soit au total environ 4.800 étudiants. Il y a, enfin, la culture. Il s'agit d'avoir le meilleur de la création contemporaine. C'est bien la qualité de cette offre, la qualité d'équipement, qui fera par exemple qu'un cadre aura envie de venir travailler et habiter à Albi. Et c'est aussi bien sûr un vecteur en matière de tourisme.
De façon générale, notre politique d'investissement se situe complètement dans la logique des "services supérieurs" - ou comment avoir à la fois de l'industrie, des commerces... mais aussi des services à valeur ajoutée, qui permettent d'accompagner le développement des entreprises. Et puis ne négligeons pas une autre économie, évidemment importante, à savoir l'économie résidentielle. Car il est clair, je le répète, que l'enjeu démographique est central.

Propos recueillis par Claire Mallet


 

Retrouvez dans nos prochaines éditions la suite de notre série d'entretiens avec des maires de villes moyennes. Prochain rendez-vous avec  Patrick Jeanne, maire de Fécamp.