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Vie publique - Après celle des députés, la réserve parlementaire des sénateurs rendue publique

Alors que l'Assemblée l'avait déjà rendu public sur son propre site, le détail de l'utilisation de la "réserve" des parlementaires est accessible, depuis le 20 septembre, sur le site du ministère des Finances. L'occasion de revenir sur ce mode de subvention particulier, dont les collectivités sont les principales bénéficiaires.

Un peu moins d'un an après la promulgation - le 11 octobre 2013 - des lois sur la transparence de la vie publique, le détail de l'utilisation de la réserve parlementaire de l'ensemble des parlementaires est désormais accessible sur le site du ministère des Finances. Ce dernier a en effet publié le 20 septembre le détail des subventions accordées par les sénateurs et les députés, alors que l'Assemblée nationale avait pris les devants en mettant en ligne sur son propre site dès le 29 janvier 2014 la répartition de sa réserve en 2013. Claude Bartolone, président de l'Assemblée nationale, avait alors indiqué que, "pour la première fois", "la 'réserve' [avait] été répartie équitablement entre majorité et opposition parlementaires" en 2013, chaque député bénéficiant "d'un montant de 130.000 euros en moyenne, la répartition entre les députés relevant de chaque groupe politique".
Plusieurs députés s'étaient depuis "inquiétés" de l'absence d'écho à leur initiative du côté de la Chambre haute. "On peut regretter que, sur la loi d'octobre 2013 qui prévoit la publication de la réserve parlementaire, nos collègues du Sénat n'aient pas jugé bon, à ce jour, de se mettre en conformité avec la loi qu'ils ont votée", avait ainsi taclé le 10 septembre Jean-Jacques Urvoas, président PS de la commission des lois de l'Assemblée. Dans un communiqué du même jour, le Sénat, se disant "attaché au respect d'une disposition organique adoptée sur sa proposition", avait justifié son choix de ne pas "prendre l'initiative d'une publication dont il n'aurait pu garantir la fiabilité, seuls les différents ministères concernés disposant des informations relatives aux versements au titre de la 'réserve parlementaire'".

Une enveloppe bénéficiant majoritairement aux collectivités

En 2013, "au total, les montants versés représentent 86,6 millions d'euros pour l'Assemblée nationale (dont 60,6 millions sur le programme 122 à destination des collectivités) et 53,9 millions d'euros pour le Sénat (dont 46,1 millions d'euros de subventions sur le P122)," détaille une note explicative accompagnant la publication des subventions versées.
Concernant le Sénat, ce montant est réparti entre les groupes parlementaires, qui reçoivent entre 130.000 et 150.000 euros par sénateur. Ces groupes ont ensuite la charge de répartir la somme globale reçue entre les sénateurs, en fonction de critères tels que l'assiduité ou le travail en commission. Dédiées au financement de projets d'intérêt public, les subventions sont accordées à des collectivités locales ou à d'autres types de bénéficiaires tels que des associations ou encore des établissements d'enseignement. 

Des subventions d'investissement : entre 100 euros et... 500.000 euros

A regarder de plus près les subventions touchées par les collectivités, les montants accordés sont le plus souvent modestes – entre 1.000 et 10.000 euros pour la plupart – et servent à financer tout type de projets dans les circonscriptions des sénateurs : réfection de voirie ou de toiture, aménagement des abords de la mairie, éclairage public, restauration de l'église, etc. Des montants moins courants attirent toutefois l'attention, avec certaines subventions particulièrement modestes : 203 euros pour l'enfouissement des réseaux d'une rue à Ainay-le-Vieil (Cher) ou 270 euros pour la réfection d'une route à Aincourt (Val d'Oise).
Des montants particulièrement conséquents se remarquent tout autant, comme les deux subventions de 80.000 et 99.809 euros octroyées par une même sénatrice à la ville de Bagneux, pour la réfection de deux écoles. Ou encore les quelque 574.000 euros – dont 436.000 pour des projets d'aménagement urbain et de réfection de la voirie – attribués par Philippe Marini à la ville de Compiègne. La "réserve" importante dont dispose le président de la commission des finances du Sénat avait d'ailleurs été pointée du doigt en 2013 par l'actuelle secrétaire d'Etat Laurence Rossignol qui, alors sénatrice, avait proposé un amendement au projet de loi organique pour que l'exigence de transparence concerne aussi la réserve parlementaire.
Si l'on en croit une proposition de loi déposée en novembre 2012 par le sénateur Jean-Louis Masson (voir encadré ci-dessous), la prochaine étape, après la transparence, serait la clarification des règles encadrant le système de la réserve parlementaire.

Caroline Megglé

réserve parlementaire : des règles en voie de clarification ? 

"Originellement, la finalité tout à fait louable de la réserve parlementaire était de subventionner les investissements des collectivités territoriales pour permettre la réalisation de projets dont le coût dépassait les capacités financières de la collectivité concernée." D'après la proposition de loi déposée le 23 novembre 2012 par le sénateur (inscrit à aucun groupe) Jean-Louis Masson, cette vocation louable "reste encore actuellement la vocation prépondérante du système", selon un fonctionnement encadré puisqu'il s'agit de subventions d'investissement dont l'objet, ciblé, fait l'objet d'un dossier argumenté et contrôlé.
Cependant, "le champ de la réserve parlementaire s'est ensuite élargi au profit des personnes morales de droit privé (associations, fondations...) ayant des activités d'intérêt général". Pour ces bénéficiaires, la procédure est nettement moins encadrée, puisque ces dernières peuvent recevoir des subventions de fonctionnement "sans justification particulière", ni contrôle du "caractère réel de l'intérêt général" de l'activité exercée. Afin d'éviter les abus, la proposition de loi demandait notamment qu'"au moins 90% de la dotation de chaque parlementaire soient affectés aux investissements des collectivités territoriales".
La proposition de loi de Jean-Louis Masson mettait en outre l'accent sur la nécessité de "donner une base juridique à la réserve parlementaire", proposant de désigner ainsi "l'ensemble des crédits permettant d'allouer des subventions de l'État sur proposition des parlementaires". Le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes pour 2013 répond en partie à cette exigence, en prévoyant une annexe - celle dont le contenu est publié - dédiée aux "Subventions versées sur proposition du Parlement" et dont le périmètre est explicité dans une note explicative.
La proposition de loi relevait enfin le caractère inéquitable et relativement opaque du mode de répartition de la "réserve" entre les parlementaires, notamment au sein de chaque groupe. Avec la publication du montant et de l'utilisation de la réserve, on peut toutefois penser que cette situation devrait progressivement se normaliser.  

C.Me.