Assises des départements : "Aujourd’hui on est au bout du chemin"
La situation financière des départements et les mesures prévues par le projet de loi de finances ont naturellement été sur toutes les lèvres au démarrage des Assises de Départements de France ce 13 novembre à Albi. Mais au-delà des constats et griefs qu'ils comptent faire entendre ce vendredi au Premier ministre, les élus pointent la nécessité de totalement refonder le modèle de financement des politiques de solidarité.
© @ADepartementsF/ François Sauvadet
"Un contexte de difficultés inédites pour nos départements". C'est sans surprise ce qu'a immédiatement évoqué François Sauvadet ce 13 novembre en ouverture des Assises des départements. Des difficultés évidemment avant tout financières. C'est là-dessus et presque uniquement là-dessus que le président de Départements de France a centré sa première allocution : "Si j’ai un seul message à faire passer aujourd’hui, c’est qu’il faut arrêter de charger la barque des Départements. Elle coule." Il est vrai que le constat est largement partagé (ce que François Sauvadet n'a pas manqué de rappeler : Cour des comptes, Direction générale des collectivités locales…). Et il est loin d'être nouveau. Mais les choses empirent.
"En deux ans et demi, l’État nous a imposé 6 milliards d’euros de dépenses nouvelles, et dans le même temps, nous avons perdu 8,5 milliards d’euros de recettes. À la fin de cette année, 54 départements seront en situation critique c’est-à-dire en dessous du seuil des 7% de marge brute", a résumé François Sauvadet, évoquant les multiples conséquences de cette situation : chute des investissements sur les routes, les collèges, la transition écologique, les subventions aux communes et aux associations, financement des Sdis… Le tout tandis que les dépenses sociales (dépendance, handicap, aide sociale à l'enfance, RSA et insertion…), pour une bonne part "non pilotables" et dont les départements ne maîtrisent donc la hausse qu'à la marge, représenteraient 70% de leurs budgets.
"On marche sur la tête !"
Si la colère est au moins aussi forte que lors des dernières éditions en date des Assises des départements, c'est évidemment parce que le projet de loi de finances (PLF) pour 2026, du moins dans sa version initiale, est jugé particulièrement rude. Il l'est pour l'ensemble des collectivités (tous les congrès d'élus de ces dernières semaines l'ont dit haut et fort) mais n'épargne pas les départements pourtant déjà affaiblis : "L’État nous demande de participer au redressement des comptes publics sur des dépenses qu’il nous impose. C’est incompréhensible. Jusqu’à présent on a tenu bon la barre. On a fait face. Mais aujourd’hui on est au bout du chemin", clame le président de la Côte-d'Or.
Et l'élu de passer en revue les dispositions désormais bien connues de ce PLF : le retour du Dilico, l'écrêtement de la TVA… Certes, un fonds de sauvegarde est prévu pour les départements. À hauteur de 300 millions d'euros… alors que Départements de France réclame le double. "Voyez le paradoxe : le fonds de sauvetage qui nous est proposé est inférieur à la somme qu'on veut nous ponctionner ! On marche sur la tête !"
Christophe Ramond, le président du conseil départemental du Tarn, collectivité invitante de ces Assises, avait lui aussi en ouverture dit "non à l’asphyxie des départements, non au PLF 2026", espérant profiter de l'événement pour "expliquer à la France entière que notre situation financière est intenable".
"Le coeur du problème, c’est la soutenabilité de nos dépenses sociales"
Selon François Sauvadet, "le coeur du problème, c’est la soutenabilité de nos dépenses sociales", qu'il faut "financer par des ressources cohérentes, pérennes, robustes et évolutives". Certes, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), les députés ont adopté un amendement (porté par DF) qui changerait sensiblement la donne : le principe d'un financement de l'APA et de la PCH à parité avec l'État, par la réaffectation aux départements d'une partie du supplément de CSG dévolu à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (voir notre article de ce jour). En sachant qu'aujourd'hui, l'Etat n'assume que 30% de la charge de PCH. François Sauvadet et d'autres sont conscients que cette bonne intention risque de ne pas survivre à la navette parlementaire. Jean-Léonce Dupont, le président du Calvados, assure toutefois espérer des "avancées". Et Charlotte Parmentier Lecocq, la ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées, intervenue ce jeudi après-midi lors des Assises, indique elle-même vouloir construire avec DF un "accord-cadre" pour "aller vers une compensation 50/50".
S'agissant de l'aide sociale à l'enfance (ASE), les présidents de département ont jugé l'enjeu suffisamment important pour y consacrer une résolution dédiée, approuvée en bureau à l'unanimité et devant être votée vendredi en clôture du congrès. L'objectif étant notamment de demander à l'État la prise en charge de la mise à l'abri des mineurs non accompagnés (MNA) avant l'évaluation de leur minorité. Et, surtout, la prise en charge des enfants soumis à une mesure de la PJJ et des enfants en situation de handicap, notamment ceux qui relèvent de la pédopsychiatrie mais se retrouvent à l'ASE faute de places. Selon Florence Dabin, la présidente du Maine-et-Loire, ils représentent pas moins de 25 à 30% des enfants de l'ASE. "Il faut que l'État prenne enfin ses responsabilités" sur ce sujet, "prenne en charge les missions qui sont les siennes", ont clamé plusieurs présidents lors d'une séquence consacrée à la protection de l'enfance, avant qu'Olivier Sichel, le directeur général de la Caisse des Dépôts, ne vienne présenter un plan de financement en faveur du secteur (voir notre autre article de ce jour).
Vieillissement : "Il faut aller vite"
Sur les finances, sur le social... les présidents, quelle que soit leur couleur politique, tiennent un discours aujourd'hui assez homogène. Avec un double constat : "l'absence de cohérence entre les recettes et les missions" des départements, tel que le formule Jean-Luc Gleyze, le président de la Gironde et du groupe des élus de gauche ; et, plus globalement, face à "un modèle devenu obsolète", la nécessité aujourd'hui de "changer de paradigme" dans le financement du social. Voire de "repenser entièrement le financement de notre modèle social".
Cette nécessité s'imposerait avant tout pour l'enjeu du "vieillissement" et de la prise en charge de la dépendance. Avec la courbe démographique qui s'annonce dès 2030, "il faut aller vite", reconnaît Charlotte Parmentier Lecocq. Laquelle pointe en outre les "disparités territoriales" qui vont s'accentuer du fait de "fortes migrations" de populations âgées vers les départements de l'Ouest et/ou du littoral. Elle a d'ailleurs à ce titre demandé aux ARS de mener avec les départements "un travail de diagnostic et de projections" pour cartographier les besoins et l'offre possible sur chaque territoire.
Assurant qu'elle est bien "en train de préparer un plan Grand Age", la ministre déléguée en convient : le financement de la prise en charge du vieillissement implique "des choix forts de société" et questionne le modèle actuel. Sans doute un débat pour l'élection présidentielle, glisse-t-elle.
"Pas de décentralisation sans libre administration"
Ainsi, dans l'immédiat, les élus départementaux demandent un abandon du Dilico, le maintien de la dynamique de la TVA, une prise en charge équitable des allocations individuelles de solidarité... Ils le rediront ce vendredi à Sébastien Lecornu devant venir clore ces Assises. Mais de toutes parts, on fait bien le distinguo entre ces demandes "conjoncturelles" et les exigences "structurelles". Et on espère donc davantage à moyen terme : bénéficier d'une ressource fiscale qui ait du sens par rapport aux compétences départementales liées aux solidarités. Une forme de "cotisation sociale territorialisée", suggère Sébastien Vincini, le président de la Haute-Garonne. Et ils sont nombreux à évoquer la CSG. Départements de France a d'ailleurs travaillé sur le sujet, imaginant une part de CSG variable selon les départements. Sauf que pour l'heure, les nécessaires simulations demandées à Bercy n'ont pas été obtenues.
Dans ce contexte financier, il a certes aussi été question de décentralisation à Albi. Personne n'a oublié que Sébastien Lecornu a annoncé un futur projet de loi de décentralisation. Le groupe des départements de gauche a d'ailleurs préparé sa propre contribution sur le sujet, organisée autour de trois "piliers" : "le défi social, le défi environnemental, le défi démocratique". Avec un accent mis sur le droit à l'expérimentation.
Mais il semblerait que globalement, pour les élus, la priorité du moment ne soit plus vraiment à l'obtention de nouvelles compétences. Du moins pas de "pseudo-compétences sur lesquelles l'appareil d'Etat va en réalité continuer de décider à notre place", dit Jean-Léonce Dupont. La priorité serait bien plutôt le fait de pouvoir exercer les compétences départementales actuelles dans de bonnes conditions et de pouvoir véritablement les "piloter". "Pas de décentralisation sans libre administration et pas de libre administration sans autonomie financière", a par exemple résumé Chaynesse Khirouni, la présidente de Meurthe-et-Moselle.
Et alors que le Premier ministre a plusieurs fois évoqué sa volonté de "clarifier" les compétences entre niveaux de collectivités, Nicolas Fricoteaux, le président de l'Aisne, a souligné que dans un département comme le sien, les "compétences partagées" ne représentent aujourd'hui en réalité que 2,7% des dépenses. La clarification attendue par les départements concerne bien plutôt l'Etat invité à "se recentrer sur ses missions" et à les exercer correctement.