Bâtiment : crise ouverte, cap introuvable
Ministres qui défilent, budget en suspens, arbitrages repoussés : en pleine crise du logement, le bâtiment démarre l’automne dans le brouillard. Auditionné au Sénat, le président de la Fédération française du bâtiment, Olivier Salleron, a dressé un tableau sombre : activité en recul, emplois détruits, rénovation au point mort… et aucune visibilité à l’horizon.

© Capture vidéo Sénat/ Audition d'Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment
Pour le secteur du bâtiment, la rentrée 2025 a comme un triste parfum de déjà-vu. Comme l’an dernier, cet automne s’ouvre sur une instabilité politique persistante. "À l’approche de l’examen du prochain budget, notre pays est de nouveau plongé dans la plus grande incertitude", déclare Dominique Estrosi-Sassonne, présidente de la commission des affaires économiques du Sénat, ce mercredi 8 octobre. "Or, chacun le sait ici, la relance de la construction et la lutte contre la crise du logement exigent des réformes fiscales, structurantes, et obligent à des choix budgétaires." Ce jour-là, la commission auditionne Olivier Salleron. "Je vais connaître, je crois, mon huitième ou neuvième ministre du Logement en cinq ans et demi", a ironisé le président de la Fédération française du bâtiment (FFB). Une instabilité et une absence de vision à long terme d’autant plus problématiques que le bâtiment est un secteur exigeant le temps long, où la concrétisation d'un projet peut prendre quatre à cinq ans.
Les chiffres témoignent de la gravité de la situation. Le secteur prévoit une baisse d'activité de 3,4% en volume pour 2025. Le président de la FFB a alerté sur les conséquences en termes d'emploi, indiquant que 65.000 salariés avaient déjà perdu leur emploi. Olivier Salleron prévoit une perte cumulée qui pourrait atteindre 120.000 à 130.000 équivalents temps plein d'ici 2026. Unique point positif : malgré le contexte, le BTP aurait battu un record l'an dernier en accueillant plus de 100.000 apprentis, prouvant l'attractivité des métiers.
Le PTZ donne des ailes aux ménages
Sur le front du logement neuf, la FFB dénonce une chute historique de 60% de la construction depuis 2023. Un espoir est cependant apparu pour la maison individuelle, avec une "hausse de 40% des ventes depuis janvier 2025", un dynamisme attribué notamment à l'élargissement du prêt à taux zéro (PTZ) à la maison individuelle. "Ce fameux PTZ que vous avez voté - et je vous en remercie ! - sur l'ensemble du territoire et pour la maison individuelle a redonné l'envie, l'espoir et la possibilité de contracter des prêts, même à nos concitoyens modestes", a affirmé Olivier Salleron.
À l'inverse, le logement collectif et l'investissement locatif s’écroulent suite à l'épuisement du dispositif Pinel. Pour relancer la production locative, le président de la FFB a fortement soutenu la création d’un statut du bailleur privé (lire notre article) : "Sans incitation, il n’y a pas de solution", a-t-il estimé, partageant semble-t-il le point de vue Pascal Boulanger, président de la Fédération des promoteurs immobiliers, quelques semaines plus tôt (lire notre article).
La rénovation énergétique, un échec cuisant
Si l'amélioration-entretien représente 55% de l'activité du bâtiment, le marché de la rénovation énergétique est frappé de plein fouet par la politique de "stop and go". Olivier Salleron a fait part de son désarroi face aux réformes successives de MaPrimeRénov (MPR), accusant le gouvernement de jouer avec la réglementation pour des raisons budgétaires : "Je rencontre des parlementaires, des ministres qui me disent que MaPrimeRénov’ est une vraie usine à gaz, qu’ils n’y comprennent rien et qu’il faut arrêter ça. C'est voulu par Bercy pour dépenser moins !", a-t-il affirmé.
Le bilan est amer : la rénovation énergétique est en recul de 2,5% d'activité cette année. La FFB a notamment exprimé sa consternation face à l'exclusion des aides monogestes pour l'isolation des murs et l'installation de chaudières biomasse : "Quand on pense à la rénovation, moi la première chose à laquelle je pense c’est le mur, la fenêtre ! Pourtant je suis chauffagiste !"
RE2020 : le poids des surcharges
À Amel Gacquerre, qui l'interrogeait sur le rapport Rivaton (lire notre article), Olivier Salleron a exprimé son accord avec ses conclusions, confirmant que le surcoût engendré par la RE2020 a malheureusement empêché la construction d’environ 200.000 logements. Il a rappelé que c'est grâce à la consultation des professionnels, après la première mouture de la RE2020 annoncée par le gouvernement en 2020 ("une annonce initiale irréaliste !"), que la FFB a pu contribuer à une réforme acceptable favorisant la mixité des matériaux et une mise en œuvre réalisable. Le président de la FFB a toutefois émis une vive inquiétude concernant le futur jalon de la RE2028, estimant qu'il faudra sans doute le repousser, car "à peine 40% des matériaux requis sont aujourd'hui réglementés, conformes et validés".
› EduRénov’ : un modèle pour soutenir les petites collectivités selon la FFBAlors que Viviane Artigalas l'interrogeait sur le soutien à la ruralité et aux petites centralités, Olivier Salleron a mis en avant le succès du dispositif EduRénov’ pour les écoles, porté par la Banque des Territoires, comme modèle à suivre. Ce système d'accompagnement dédié, qui a déjà réalisé plus de 5.500 opérations sur un objectif de 10.000 (à horizon 2027), démontre la nécessité de mutualiser l'expertise pour pallier le manque de compétences dans les petites collectivités. Alors qu'au même moment ce 8 octobre au matin avait lieu la présentation du premier Baromètre EduRénov' (voir notre article de ce jour), le président de la FFB a ainsi assuré que l'organisation, forte de son maillage de 101 fédérations sur l'ensemble du territoire, était prête à participer à ce travail de mutualisation pour accompagner les élus locaux. |