Bercy veut recadrer les aides publiques au cinéma
Alors que le secteur cinématographique est de plus en plus dépendant des subventions publiques, l'Inspection générale des finances préconise de réduire les aides directes et les avantages du crédit d'impôt cinéma. Il souhaite également abaisser et plafonner la contribution du CNC aux fonds régionaux cofinancés avec les collectivités.

© Nicolas DUPREY/ CD 78
Restaurer l'équilibre entre financements publics et privés dans une filière du cinéma de plus en plus dépendante des aides publiques, telle est la préconisation de l'Inspection générale des finances (IGF) en conclusion de sa "revue de dépenses relative aux aides au cinéma", mise en ligne le 16 juillet.
Car avec près de 1,2 milliard d'euros accordés ou fléchés vers la filière du cinéma, dont 180 millions issus du taux réduit de TVA sur les billets d'entrée, ce sont environ 40% des coûts de production des œuvres qui sont désormais pris en charge par des financements publics ou assimilables, souligne l'IGF.
Cet investissement a bien entendu des retombées positives. La fréquentation des salles françaises figure parmi les plus élevées d'Europe, notre parc cinématographique est de 9,7 écrans pour 100.000 habitants, contre 5,8 en moyenne européenne, et près de un Français sur deux dispose d'un cinéma dans sa commune.
Plus d'argent public, moins d'entrées
Toutefois, les "indubitables succès" du cinéma s'accompagnent d'une "intensité croissante de son financement public". Au point que, en dépit d'une fréquentation stable voire en baisse et d'une "certaine attrition" des financements privés, le nombre de films agréés par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) était de 298 en 2023, soit une hausse de 50% sur vingt ans, alors que de plus en plus de films réalisent peu d'entrées. En 2022, près des trois quarts d'entre eux ont attiré moins de 200.000 spectateurs, soit des recettes en salle inférieures à 1,5 million d'euros quand le budget moyen d'un film est d'environ 4,3 millions. La dépendance aux aides publiques se traduit par un autre chiffre édifiant : sur la période 2015-2018, seuls 16% des films ont généré des recettes supérieures à leurs coûts de fabrication sans prise en compte des aides publiques.
Prêts garantis, crédits d'impôt et fonds régionaux
Actuellement, les dotations publiques proviennent de différentes sources. D'abord, un abondement au fonds de garantie de l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC), qui octroie des prêts aux acteurs de la filière, à hauteur de 67 millions en 2023. Par ailleurs, le crédit d'impôt cinéma (CIC), qui permet de déduire une fraction des coûts de production dépensés en France, a coûté 109 millions en 2023, alors que le crédit d'impôt international s'élevait à environ 56 millions. Toujours en matière fiscale, les réductions d'impôt consenties aux Sofica (sociétés de financement de l'industrie cinématographique et de l'audiovisuel) ont représenté 35 millions d'euros en 2023.
Quant aux aides directement accordées par le CNC, elles étaient en 2023 de 331 millions. Et à celles-ci, s'ajoutent les aides des fonds régionaux, soit 99,54 millions d'euros en 2023, dont 23,68 millions versés par le CNC et 75,86 millions par les régions. Au final, la part des financements publics dans les coûts de production est passée de 16% en 2012 à environ 40% en 2023 en tenant compte de la contribution de France TV et du mécanisme Sofica.
En finir avec le soutien automatique
Outre ces montants importants, la revue des dépenses met également en exergue les hausses régulières de ces différentes subventions année après année. Les dépenses liées aux aides directes et aux dispositifs fiscaux ont, par exemple, augmenté d'environ 137 millions d'euros entre 2016 et 2023. Sur la même période, le montant des abondements des collectivités aux fonds régionaux passait de 43 à 76 millions.
Or ces hausses s'expliquent en partie par ce que la mission appelle un "soutien automatique" qui résultent du caractère "ouvert" des subventions : "Plus la filière se porte bien et génère des recettes, plus elle génère d'aides publiques", dénonce le rapport, qui propose de "fermer" ce soutien automatique et d'en déterminer le montant pour chaque exercice budgétaire afin de piloter les montants.
Fonds régionaux : le CNC a joué son rôle d'amorçage
La mission pointe également d'autres mesures d'économie. Ces coupes porteraient en premier lieu sur les aides automatiques à la fiction – qui n'ont cessé de croître par rapport aux autres genres mais ne permettent "ni de récompenser le succès, ni d'encourager la prise de risque artistique" – ainsi que sur les aides automatiques à l'exploitation – à hauteur de 10 millions d'euros – eu égard à "la maturité du parc de salles" en termes de numérisation ou de maillage territorial et aux marges réalisées par le secteur. Toujours en matière d'équipements, le rapport préconise la réduction de moitié, pour les ramener à 3 millions d'euros, des moyens alloués à l'aide à la petite et moyenne exploitation, là encore en raison "de la maturité du parc de salles et de la santé économique du secteur".
En ce qui concerne les fonds régionaux, après avoir jugé que "les pratiques et les axes d'intervention des régions étant désormais bien définies, et le CNC ayant joué son rôle d'amorçage de ce type de financement et du développement d'infrastructures sur les territoires", Bercy envisage "d'abaisser progressivement le montant des abondements, en instaurant des règles de plafonnement plus fortes". L'IGF estime qu'"à terme, un retour aux niveaux de 2016 pourrait constituer une cible, pour une économie de 8 millions d'euros". Soit l'exact contraire de ce que prônent les régions, partisanes d'une indexation automatique des dotations CNC sur leurs propres engagements (lire notre article du 26 mai).
Enfin, le rapport évoque une baisse des taux du crédit d'impôt cinéma – dont l'effet "localisant" a "vraisemblablement" eu un effet pour les films au budget important mais reste "difficile à démontrer" pour les autres – ainsi qu'un prélèvement exceptionnel sur la trésorerie du CNC (461,7 millions d'euros à la fin 2023), compte tenu de son "niveau excessif lié à l'accumulation de réserves et de provisions non nécessaires à la couverture des engagements".