Notaires et banquiers, alliés vigilants dans la lutte contre le blanchiment d’argent

En 2021, la Banque des Territoires et le Conseil supérieur du notariat ont signé une charte de coopération en vue de lutter plus efficacement contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT). Des formations organisées en commun dans toute la France ont déjà permis à près de 330 professionnels d’études notariales de mieux appréhender et maîtriser les risques clients ainsi que les outils disponibles pour exercer leur devoir de vigilance. 2022 verra la poursuite de cette collaboration bénéfique aux deux parties.

Le notariat est le premier contributeur du secteur non financier auprès du service de renseignement gouvernemental Tracfin. Le chantier est cependant toujours en cours, face à l’ampleur et à la variété des risques frauduleux. La charte de coopération signée en février 2021 atteste la convergence d’engagements entre les études notariales, représentées par le Conseil supérieur du notariat, et les services bancaires de la Caisse des Dépôts - Banque des Territoires. Avec pour objectifs de renforcer la coopération, la sensibilisation et la formation des notaires aux obligations légales.

Vigies actives

En effet, le notariat comme la Caisse des Dépôts – Banque des Territoires sont assujettis par la loi aux obligations de vigilance à l’égard de la clientèle ainsi qu’aux obligations de déclaration, selon les articles L.561-2 et suivants du Code monétaire et financier.

« La charte de coopération acte que les deux parties s’engagent à fournir, dans un délai maximal de dix jours ouvrés, les informations d’identification définies en respectant les règles de confidentialité et de secret professionnel, précise Marion Ebel, chargée de marketing et partenariat Notaires à la Banque des Territoires. En outre, cette collaboration vise à lever les possibles méconnaissances, voire les blocages, dans le partage d’informations et les processus de contrôle entre les offices notariaux et les gestionnaires de comptes bancaires ».

Notaires et banquiers doivent donc, chacun à leur niveau, exercer leur devoir de contrôle quant aux opérations financières effectuées, et leur devoir de signalement en cas de suspicion LCB-FT liée à une possible fraude fiscale, la dissimulation d’un bénéficiaire effectif, une personne politiquement exposée ou encore le montant, la nature et l’origine des fonds, notamment concernant des pays sur liste noire.

 

LCB-FT, un enjeu trop peu connu 

« Le sujet LCB-FT est important mais encore trop peu connu. Au sein des instances notariales, nous connaissons la charte signée avec la Caisse des Dépôts, mais celle-ci est peu, voire pas du tout connue de nos confrères », expliquaient Stéphane Pelfrêne, président du Conseil régional des notaires de la cour d’appel de Rouen et Jean-Michel Gasteclou, président de la Chambre des notaires de Seine-Maritime, lors d’un atelier de formation co-organisé à Rouen par la Caisse des dépôts et le CSN.

Et les deux présidents de constater également une méconnaissance des plates-formes et outils proposés par le CSN ou la Caisse des Dépôts sur les enjeux de vigilance et de conformité, « car les notaires sont avant tout des personnes de contrats, avec souvent dans leurs dossiers des notions d’urgence ».

 

S’informer et se former pour mieux agir 

« Face à cette situation, le Conseil supérieur du notariat a multiplié les services d’information et d’action, disponibles via son intranet Real, à l’image de questionnaires (Vigilance de niveau 1, simplifié, et 2, complet), d’un mémento sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, d’un livret d’information destiné aux clients des notaires », résume Barbara Lalaque, responsable du service conformité au Conseil supérieur du notariat.

Afin d’amplifier cette prise de conscience, le service conformité du CSN et le service de la sécurité financière de la Caisse des Dépôts ont élaboré en 2021 une formation afin de limiter le risque de mise en défaut, d’amendes voire de sanctions pénales des notaires, en cas de non-déclarations de soupçon concernant des clients suspects ou des opérations frauduleuses.

Celle-ci répond aux différents enjeux auxquels sont confrontés les notaires : identifier les critères d’alerte, maîtriser et s’approprier les outils d’aide à la prise de décision (Vigilance, les différents registres), trouver les informations nécessaires, lever un doute sur une opération financière, établir une déclaration de soupçon…

 

S’immerger pour mieux anticiper

Concrètement, la formation se déroule en présentiel durant une demi-journée, en réunissant des présidents d’instance, des notaires, des inspecteurs-comptables, des collaborateurs d’études notariales. Elle débute par un apport théorique, sous la forme de questions-réponses. Puis intervient la séquence qui fait le « sel » de cette formation : des jeux de rôles, par lesquels les participants réalisent l’importance de la fluidité des échanges entre chaque intervenant impliqué dans les procédures LCB-FT.

« Un quorum de 25 participants est nécessaire pour créer des groupes de quatre à cinq personnes jouant les rôles du notaire, du gestionnaire de comptes, du client, du modérateur et du rapporteur, précise Marion Ebel. Seul le modérateur est omniscient. Il lance le scénario du jeu de rôles, guide l’évolution des situations et recentre les discussions si besoin ».

Chaque participant possède sa fiche de rôle, indiquant ce qu’il est censé savoir, pouvoir dire ou non, partager ou non. « Par exemple, dans ces mises en situation, les notaires ont pu constater que les gestionnaires de comptes ne possèdent que très peu d’informations sur les clients et les opérations », note Marion Ebel. En fin de simulation, les rapporteurs restituent les expériences de chaque groupe, les bonnes pratiques et les réflexes à conserver.

Exemple d’une fiche de rôle pour un notaire

© Banque des Territoires

Exemple d’une fiche de rôle pour un notaire

Près de 330 professionnels déjà formés

En 2021, onze sessions de formation ont été réalisées dans huit villes - Toulouse, Rouen, Bordeaux, Besançon, Lyon, Nice, Paris et Dijon. Douze interventions prévues dans d’autres villes ont dû être annulées, du fait de la pandémie de Covid-19. Deux sessions ont été menées en distanciel, avec des notaires de la Réunion et de la Martinique. Au total, pour cette première année de partenariat, 328 professionnels du notariat ont été formés aux enjeux LCB-FT

En 2022, le programme de formation se poursuit. L’animation sera réalisée en commun par les directions régionales de la Banque des Territoires et le Conseil supérieur du notariat. D’ores et déjà, des sessions ont été programmées ou sont en cours d’organisation à Périgueux, Pau, Blois, Lille, Caen, Rennes et Strasbourg. D’autres instances notariales ont manifesté leur intérêt pour bénéficier de cette formation dans le courant de l’année.

Engagements réciproques

Les études notariales peuvent solliciter la Caisse des Dépôts pour clarifier des éléments sur les donneurs d’ordre, ou obtenir des informations contenues dans le registre national du gel des avoirs, les personnalités politiquement exposées, la liste noire des pays LCB-FT. En retour, les gestionnaires de comptes de la Caisse des Dépôts ont la possibilité de demander aux notaires des renseignements sur des personnes ou des fonds. 

« La question est sensible puisqu’elle touche à la relation de confiance établie entre un notaire et son client, pointe Marion Ebel. Tout l’art consiste à s’acquitter du devoir de vigilance et de signalement, en sachant quelles questions poser, à quel moment, et sous quelle forme. La coopération entre le CSN et la Caisse des Dépôts est d’ordre préventif, en aucun cas intrusif ». 

Marion Ebel

Chargée de marketing et partenariat Notaires à la Banque des Territoires

Diplômée d’un master en ressources humaines du Conservatoire national des arts et métiers, Marion Ebel a débuté sa carrière dans le secteur privé en tant que chargée de recrutement. Elle intègre la Caisse des dépôts en 2011, y exerçant différentes fonctions avant de devenir, en 2020, chargée de marketing et de partenariats auprès des notaires.

Voir son profil LinkedIn