Collecte de la taxe d’aménagement : des pistes à appliquer d’urgence pour endiguer l’hémorragie
Un nouveau rapport parlementaire émanant cette fois d’un contrôle budgétaire "flash" du Sénat souligne des insuffisances dans les nouveaux processus de gestion par la DGFiP de la taxe d’aménagement. Un sérieux loupé qui pourrait peser très lourd sur les finances des collectivités territoriales et menacer de disparition les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l’environnement (CAUE) qui trouvent dans cette taxe l’essentiel de leurs ressources. Certaines des préconisations émises sont donc à mettre en oeuvre très rapidement dans le cadre du projet de loi de finances 2026 afin d'apporter en urgence une première réponse.
© Commission des finances du Sénat d’après la DGFiP et la FN-CAUE et Adobe stock
Les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l’environnement (CAUE) menacés dans leur existence même en raison des défaillances de collecte de la taxe d’aménagement se retrouvent malgré eux au coeur des débats budgétaires. Si le sort de la rallonge de 270 millions d’euros visant à sécuriser le financement de ces structures - votée en commission des lois par les députés lors de l’examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2026 - est encore incertain, le Sénat multiplie de son côté les travaux pour mettre ces difficultés sous les projecteurs. Une table ronde dédiée à la situation financière des CAUE est ainsi organisée ce 18 novembre par la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport. Et la semaine dernière, le 12 novembre, la mission flash conduite par les sénateurs Stéphane Sautarel (rattaché LR-Cantal) et Isabelle Briquet (Socialiste-Haute-Vienne) a remis ses travaux sur les dysfonctionnements dans la collecte de la taxe d’aménagement. Un sujet d’ailleurs déjà mis en lumière dans le cadre d’un précédent rapport de l’Assemblée nationale embrassant plus largement les dysfonctionnements dans la gestion des impôts locaux (lire notre article du 24 juin 2025).
Un effondrement du rendement de la taxe…
Depuis l'entrée en vigueur en 2022 de la réforme de la taxe d’aménagement, les couacs se multiplient provoquant une chute importante de son produit avec des conséquences financières préoccupantes pour les collectivités territoriales et les CAUE (pour lesquels la part départementale représente 80% des ressources). Son rendement est ainsi passé de 2,3 milliards d’euros en 2023 à 1,5 milliard d’euros en 2024, soit une diminution de 31%. Et selon la direction générale des finances publiques (DGFiP), ce rendement devrait s’établir à environ 1 milliard d’euros en 2025, soit une baisse cumulée de plus de 56,2% en deux ans. "Pour les collectivités, cet effondrement du rendement n’est pas une bonne nouvelle, a fortiori dans la conjoncture que l’on connaît. Mais pour les CAUE, la situation est véritablement critique", relève Isabelle Briquet. "Ces structures étant très dépendantes de la taxe d’aménagement, elles risquent tout bonnement de disparaître", appuie la sénatrice. Plusieurs CAUE ont déjà dû réduire leurs activités, voire envisager leur fermeture. Celui de l’Orne est menacé de dissolution et celui de la Manche attend sa liquidation. Certains ont été contraints de licencier : 77 postes ont ainsi été supprimés dans le réseau des 92 CAUE entre le début de 2024 et la mi-2025.
… dû à une défaillance du nouveau processus de gestion
Les causes de la faible collecte de la taxe d’aménagement sont déjà largement identifiées. "La première, sur laquelle nul n'a guère de prise, est l'atonie de la construction", note Isabelle Briquet. La DGFiP a d’ailleurs beaucoup mis en avant ce facteur qui expliquerait en grande partie les difficultés actuelles liées à la diminution du nombre d’autorisations d’urbanisme délivrées, de l'ordre de 14% en 2024, après une première baisse de 10,7% en 2022 et de 20,2% en 2023, combinée à la baisse des surfaces de construction.
Mais les rapporteurs ciblent de leur côté deux autres facteurs. Le transfert de la liquidation de la taxe à la DGFiP (qui en assurait déjà le recouvrement) fin 2022 a en effet donné lieu à une importante modification du processus et du calendrier de collecte reporté à la date de l’achèvement des travaux. Des dysfonctionnements dans la mise en œuvre de la collecte des taxes d’urbanisme par le DGFiP, et notamment de " l’outil informatique", s’y sont en outre ajoutés, ainsi qu’un défaut "de transferts de personnel suffisants". "Il y a le fait que par manque de moyens humains, l'accompagnement de la réforme n'a pas été optimale, ce qui empêchait quand même un certain nombre de recouvrements. Et on s'aperçoit qu'on a du recouvrement en stock et que même certaines taxes ne pourront plus être recouvrées parce que les délais sont prescrits. Il faut absolument qu'on arrive, dans l’urgence, à éviter que cela ne continue, parce que c'est de la perte de financement très élevée", alerte Isabelle Briquet.
Ne pas ajouter du désordre au désordre
Bercy a fait son mea culpa reconnaissant "avoir rencontré des difficultés dans l'application du nouveau processus, conduisant à ralentir les encaissements qui ont donc été différés". Un plan d’action a aussi été élaboré dans la foulée. C’est pourquoi "revenir à l'ancienne date d'exigibilité - quelques mois après la délivrance de l'autorisation d'urbanisme - voire à l'ancien système de liquidation par les DDTM, serait une erreur", aux yeux des rapporteurs. "Certes, les travaux parlementaires sur le sujet tendent à montrer que le transfert à la DGFiP ne s'est pas passé comme prévu et qu'il a abouti à une désorganisation certaine. Toutefois, maintenant qu’un peu d'ordre commence à revenir dans ces processus, nous pensons que le législateur ferait oeuvre utile en donnant de la stabilité et de la visibilité plutôt qu’en ajoutant au désordre", remarque Stéphane Sautarel.
Divers "ajustements" sont proposés. Par exemple, le décalage de l'exigibilité de la taxe est aujourd'hui tempéré par la mise en oeuvre d'un système d'acompte pour les projets dont la surface de construction est supérieure à 5.000 m2 et qui, de ce fait, sont susceptibles de susciter un fort rendement. Une piste d’amélioration pourrait dès lors constituer en un élargissement du nombre de projets concernés par de tels acomptes. Le rapport plaide également pour "un soutien financier significatif aux départements" afin de leur permettre de soutenir leur CAUE par le biais de subventions, d’avances ou d’une garantie de ressources jusqu’au rétablissement du rendement de la taxe d’aménagement. "Ces deux premières recommandations devraient être mises en oeuvre très rapidement, pour apporter en urgence, dans le cadre du PLF pour 2026, une première réponse aux collectivités et aux CAUE", insiste la mission.
Un partenariat à renforcer avec les élus locaux
La DGFiP devrait continuer à traiter en priorité les dossiers en instance, en fonction de leur rendement pour les collectivités bénéficiaires et de leur date de prescription, "quitte à taxer d'office les contribuables qui auraient omis de déclarer l'achèvement de leurs travaux puisque c’est l’une des difficultés identifiées", relève par ailleurs Stéphane Sautarel.
Au-delà de ces mesures d'urgence ou de très court terme, le rapport invite à renforcer le partenariat entre la DGFiP et les élus sur ces questions, notamment en associant au groupe de travail récemment créé, non seulement les associations d'élus, mais également la fédération des CAUE, ainsi qu’en mobilisant les agents en charge du conseil aux décideurs locaux sur les territoires pour faire la liaison entre le fisc et les élus dans le travail de simplification de la taxe d'aménagement, en particulier de son assiette, notamment par rapport aux surfaces de référence qui posent un certain nombre de difficultés.
Enfin, il encourage "à plus long terme" à engager une réflexion d’ensemble sur la gouvernance et le financement des solutions d’ingénierie en faveur des collectivités territoriales (notamment l’articulation entre les CAUE et les agences départementales) et, plus largement, sur le financement des services publics locaux à l’heure de la sobriété foncière.