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Compétences locales : bientôt la fin du jardin à la française ?

Le gouvernement pourrait prévoir dans la future révision constitutionnelle des dispositions offrant une plus grande souplesse dans l'organisation des compétences des collectivités territoriales. Le Conseil d'Etat vient de publier l'avis qu'il a remis au gouvernement sur le sujet. L'institution est très favorable à une telle réforme, à condition qu'elle soit bien encadrée.

Au cours de l'été dernier, le gouvernement a décidé de consulter le Conseil d'Etat pour savoir de quelles marges de manœuvre il dispose pour renforcer la différenciation des compétences entre des collectivités territoriales d'une même catégorie, permettre des transferts de compétences entre des structures locales appartenant à des catégories différentes et donner l'autorisation aux entités publiques locales de déroger à la norme. L'institution, dont la vocation est entre autres de conseiller juridiquement le gouvernement, a délibéré le 7 décembre sur le dossier. Une semaine plus tard, à Cahors, le gouvernement a présenté l'avis aux représentants des associations d'élus locaux lors des travaux à huis clos de la deuxième réunion de la conférence nationale des territoires. Depuis, la délibération du Conseil d'Etat était tenue confidentielle. Mais, conformément à l'engagement du Premier ministre, la juridiction vient de la rendre publique sur son site.
"Dans le cadre constitutionnel en vigueur le législateur dispose de marges de manœuvre réelles, mais contraintes" pour différencier davantage les compétences des collectivités territoriales, considèrent les juges du Palais-Royal dans leur avis. "Répondrait à l’objectif du gouvernement, analysent-ils, un dispositif législatif qui aurait pour objet de permettre des attributions de compétences différentes à des collectivités territoriales d’une même catégorie, pour des raisons d’intérêt général ou pour des motifs tirés d’une différence de situation, dans le cadre de transferts de compétences précisément identifiés." Un tel dispositif devrait toutefois, ajoutent-ils, "présenter plusieurs garanties au regard du respect des exigences constitutionnelles découlant notamment du principe d’égalité et de la libre administration des collectivités territoriales". Le préfet donnerait un avis sur l'intérêt général présenté par le transfert ainsi que sur la préservation des intérêts nationaux, tandis que la décision d'approuver le transfert de compétences serait prise par décret en Conseil d'Etat. "Sans être indispensable", l'ancrage constitutionnel de la mesure "pourrait être mieux assuré par une modification de la Constitution", indiquent les juges.

"Une action plus efficace"

Une réforme modifiant la Constitution pour permettre aux collectivités territoriales de déroger aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences "donnerait davantage de libertés et de responsabilités aux collectivités territoriales pour mener une action plus efficace, grâce à des marges de manœuvre accrues, pour innover", affirme le Conseil d'Etat. Il est toutefois "nécessaire" que "la disposition constitutionnelle envisagée encadre les autorisations données, selon le cas, par la loi ou par le règlement", souligne-t-il. En détaillant précisément à quelles conditions les dérogations seraient possibles. En outre, il serait préférable que l'autorisation de déroger conférée à des collectivités soit précédée d’une expérimentation, estime la Haute Juridiction. Au passage, elle recommande de modifier les modalités de ce droit introduit en 2003 dans la Constitution. Alors qu'aujourd'hui une expérimentation se solde soit par une généralisation des mesures à toutes les collectivités territoriales, soit par leur abandon, il faudrait, selon les juges du Palais-Royal, "que les mesures dérogatoires expérimentées puissent continuer à s’appliquer, à l’issue de la dérogation, dans le seul ressort des collectivités y ayant procédé, sous la réserve de l’autorisation du législateur ou du pouvoir règlementaire".

Ne pas accroître la complexité de l'organisation des compétences

Ils avancent par ailleurs que la loi ne peut "autoriser les collectivités à transférer à une collectivité appartenant à une autre catégorie, par la voie d’un accord entre ces deux collectivités, des compétences précisément identifiées par la loi". Cette piste explorée par le gouvernement méconnaîtrait notamment le principe constitutionnel d’égalité. Le Conseil d'Etat met aussi en garde contre le risque que, si la réforme est mise en œuvre, les élus locaux décident "de transferts de compétences reposant sur des considérations contingentes ou de circonstances, voire purement politiques". Autre écueil possible aux yeux des hauts fonctionnaires : la complexification de l’organisation des compétences des collectivités territoriales.
L'avis du Conseil d'Etat éclaire le gouvernement sur les dispositions à prendre dans le but d'un plus grand assouplissement dans l'attribution et l'exercice des compétences des collectivités territoriales. Il conforte aussi le projet du gouvernement. Les chances sont grandes, donc, de voir ce dernier ajouter une telle réforme au projet de révision constitutionnelle que le président de la République a annoncé devant le congrès le 3 juillet dernier. Un texte qui devrait être déposé "au début du printemps" et faire l'objet, "dans l'idéal", d'une première lecture à l'Assemblée nationale comme au Sénat avant la pause estivale du Parlement, a indiqué Emmanuel Macron mi-février, lors d'une rencontre avec la presse.

Référence : avis du Conseil d'Etat rendu lors de la séance du jeudi 7 décembre 2017 (section de l’intérieur, N° 393651).