Congrès des maires – "On aurait dû nous écouter depuis longtemps"
La séance d'ouverture du 107e Congrès des maires – le dernier de ce mandat municipal – a brossé un tableau plutôt sombre des difficultés institutionnelles, "technocratiques" et financières que le "pouvoir national" ferait plus que jamais peser sur les communes et leurs élus. Si l'Association des maires de France estime avoir obtenu des avancées sur pas mal de dossiers, ses dirigeants fustigent toujours les dispositions finances locales du projet de budget. Et posent plusieurs principes forts sans lesquels une réforme de la décentralisation ne serait selon eux pas digne de ce nom.
© Aurélie Roudaut/ André Laignel et David Lisnard
"Pour les communes, liberté !" Le mot d'ordre choisi cette année par l'Association des maires de France pour son 107e Congrès a été décliné à l'envi par David Lisnard et André Laignel, respectivement président et premier vice-président délégué, durant la séance officielle d'ouverture ce mardi 18 novembre après-midi. Avec bien peu de discordances entre les deux élus malgré leurs sensibilités politiques différentes. Avec aussi, il est vrai, relativement peu de nouveautés dans les propos.
Il faut dire que le contexte n'a guère évolué au fil des mois voire des années… A moins qu'il n'ait empiré. Empiré par "la crise du pouvoir national" (une crise "d'autant plus grave que le pays est centralisé", dit David Lisnard), par les dispositions budgétaires du moment jugées aussi incompréhensibles que contreproductives, par un Etat qui n'aurait de cesse de s'"éparpiller", par des textes réglementaires qui continuent de s'empiler même en l'absence de gouvernement, par la valse des ministres en charge des collectivités (André Laignel en a compté dix sur cinq ans), par une "défiance technocratique" croissante à l'égard des maires, par des promesses de décentralisation brandies "d'année en année" mais jamais concrétisées… En somme, une forme de lente asphyxie tant institutionnelle que financière.
Pendant ce temps pourtant, font valoir les deux représentants de l'AMF, les communes – que David Lisnard décrit comme "le pays réel" et André Laignel comme "le premier mètre" de l'action publique (et non pas "le dernier kilomètre") – restent synonymes d'efficacité, de solutions. Les équipes municipales l'auraient prouvé tout au long de ce mandat qui, a-t-il été rappelé, a démarré en plein covid, avant de traverser d'autres crises (énergie, émeutes urbaines…). Avec des maires se faisant alors "les urgentistes de la République". Et ce 107e congrès est bien le dernier de ce mandat. D'où, d'ailleurs, la dimension "bilan" donnée à cette séance d'ouverture.
De nombreux signaux d'alerte
Muriel Fabre, la secrétaire générale de l'association, a effectivement énuméré les multiples dossiers sur lesquels l'AMF s'est fortement impliquée depuis 2020, obtenant des avancées… et regrettant lacunes ou points de blocage. Parmi ces dossiers, pêle-mêle : l'éducation avec le protocole d'accord signé en mai dernier, la petite enfance, le handicap, le sport (Paris 2024 est passé par là… mais son "héritage" semble s'être volatilisé), l'eau et l'assainissement (le caractère désormais non obligatoire du transfert aux intercos), "l'exercice du mandat" (avec cette proposition de loi "statut de l'élu" devant "impérativement être adoptée au plus vite, avant les municipales"), le ZAN avec la loi Trace, la "lutte contre la fausse consigne plastique"… ou encore la sécurité avec le Beauvau des polices municipales, qui, selon Muriel Fabre, "est un bon exemple de co-construction, qui illustre ce que nous voulons – non pas un Etat qui impose mais un Etat qui compose" (voir notre article de ce jour sur la première plénière du congrès consacrée à la sécurité).
Mais sur ces sujets comme sur d'autres… "si seulement on avait écouté ce qui s'est dit au fil de nos derniers congrès", regrette David Lisnard. "On aurait dû nous écouter depuis longtemps", insiste-t-il. Ce "on", c'est évidemment l'Etat, l'exécutif. Qui aurait dû être plus attentif aux signaux d'alerte lancés depuis cette caisse de résonnance des difficultés du terrain que sont les congrès de l'AMF. Par exemple sur la crise du logement et ses conséquences à la fois sociales et économiques. Ou sur le narcotrafic et ces "points de deal qui essaiment jusque dans les villages" ("Le barbier qui s'installe dans un bourg rural pour blanchir, le maire sait"). Ou bien encore sur "l'effondrement démographique" et le vieillissement de la population, avec ses impacts sur la fermeture d'écoles (un forum du congrès y sera consacré ce mercredi 19 novembre) et sur la nécessité d'ouvrir des centaines d'Ehpad.
Le Dilico risque de parlayser l'investissement
Et puis évidemment, l'alerte ultime, c'est celle qui a été donnée sur les finances. Sur la "recentralisation fiscale" menée au moins depuis la suppression de la taxe d'habitation (or selon David Lisnard, "plus l'Etat recentralise les finances, plus le pays se porte mal"), sur "une approche budgétaire obsolète"… dont la loi de finances pour 2025 et, plus encore, l'actuel projet de loi de finances 2026, vireraient au paroxysme.
Toutes les associations d'élus locaux l'ont fait entendre depuis la présentation du PLF à la mi-octobre (et, même, depuis ses prémices esquissés à la mi-juillet par le gouvernement Bayrou). Les griefs sont nombreux. Le Dilico (dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités) est sans doute celui qui cristallise le plus de craintes, d'incrédulité et de colère. Le président de l'AMF le présente comme un "emprunt" obligatoire par lequel c'est le prêteur (la collectivité) qui doit payer des "intérêts" (10% dans la loi de finances 2025… devenus 20% dans le PLF 2026 avec le "Dilico 2"). Et un emprunt dont les conditions de remboursement "sont totalement inatteignables", "à moins que nous ne cessions tout investissement", avertit André Laignel, qui n'hésite pas à parler de "hold-up en bande organisée", rappelant que les sommes en jeu (2 milliards en 2026, contre 1 milliard en 2025) ne seront en effet remboursées à chaque collectivité concernée qu'à condition que la progression des dépenses (investissement compris) de la strate à laquelle elle appartient ne soit pas supérieure à l’évolution du PIB. "Que vaut la parole de l'Etat ?", s'interroge celui qui est aussi président du Comité des finances locales.
David Lisnard présuppose déjà ce que pourrait annoncer le Premier ministre lorsque celui-ci viendra clore le congrès jeudi après-midi : "Il va nous être dit que l'effort demandé va être réduit…". Par exemple que le Dilico 2 ne portera plus sur 2 milliards mais sur 1,2 ou 1,3 milliards. "Mais si on me vole 20 euros et qu'au final on me dit tiens je ne t'en prends que 12, est-ce que je suis censé dire merci ?". On sait en tout cas qu'en fin de semaine dernière, Sébastien Lecornu a annoncé aux départements, lors de leurs Assises à Albi, qu'il comptait réduire pour eux l'ampleur du Dilico 2 (voir notre article). Mais parce qu'il considère la strate départementale comme particulièrement fragile.
Bonnes intentions ou diversion ?
De même, à l'AMF, on sait bien que le chef du gouvernement évoquera devant les maires son projet de réforme de la décentralisation. David Lisnard ne "doute pas des intentions" de Sébastien Lecornu, qu'il a déjà pu rencontrer depuis sa nomination à Matignon. Mais est bien conscient que la composition de l'Assemblée nationale n'est guère propice à des réformes de fond. André Laignel, lui, est d'avance beaucoup plus dubitatif. Et incisif : "On va nous ressortir le mirage de la décentralisation. Qui peut y voir autre chose qu'une diversion ? Revenez jeudi, vous verrez, vous serez encensés. On nous caresse l'échine d'une main, on nous fait les poches de l'autre…".
Les deux élus sont en tout cas d'accord pour souligner que tout projet de décentralisation ne peut s'envisager que s'il repose au préalable sur de grands "principes" : la libre administration des collectivités, qui devra être consacrée par une loi organique ; la subsidiarité ascendante ; l'autonomie financière et fiscale ; un transfert du pouvoir réglementaire aux collectivités. "La décentralisation, ce n'est pas une réforme administrative, c'est un projet politique, c'est reconnaître que tout ce qui peut être fait au niveau de la commune le soit", clame André Laignel.
David Lisnard porte pour sa part une proposition qui, selon lui, pourrait être mise en œuvre très rapidement. Michel Barnier avait lancé il y a un an le dispositif France Simplification permettant, via les préfets, de faire remonter et "débloquer" des projets locaux enlisés dans des difficultés notamment procédurales. Selon le président de l'AMF, "462 dossiers ont été solutionnés, ce qui est dérisoire". Et surtout, estime-t-il, ce système de dérogation risque d'accentuer les inégalités entre collectivités selon que celles-ci aient la chance d'y accéder ou pas. Il suggère donc "que l'on fasse de ces dérogations la règle générale". Ou comment, sur la base de ces cas concrets confrontés à des "blocages absurdes", lever la norme ou les freins pour tout le monde. Il n'exclut pas une oreille attentive de Sébastien Lecornu là-dessus.
Et si l'écoute du gouvernement devait plutôt pencher du côté du dialogue de sourds ? Alors, préviens André Laignel, le bureau de l'AMF qui doit se réunir jeudi matin pourrait envisager un certain remue-ménage… "Par exemple l'organisation de manifestations par les associations départementales de maires, ou un appel aux communes pour qu'elles prennent des délibérations, ou d'autres actions encore… En tout cas on ne se contentera pas, au terme de ce congrès, d'adopter une belle résolution finale".
A lire aussi dans notre édition de ce jour six autres articles sur diverses séquences thématiques de cette première journée de congrès. La suite dans nos prochaines éditions !