Départements : Sébastien Lecornu lâche du lest et ouvre des perspectives

Intervenant ce 14 novembre à Albi en clôture des Assises des départements, le Premier ministre s'est engagé à amender le projet de loi de finances sur deux points : le Dilico (montant et départements concernés) et le fonds de sauvegarde (doublement). Il s'est aussi dit ouvert à l'idée d'accorder une part de CSG aux départements, parallèlement au renforcement de leurs missions sociales et médico-sociales, qu'il envisage dans le cadre de sa réforme de la décentralisation. On saura au passage qu'un projet de loi est prévu dès décembre pour créer l'Allocation sociale unique. L'allocution de l'ancien président de l'Eure a été globalement bien perçue.

"Le poids croissant des dépenses sociales effectuées pour le compte de l’État asphyxie les départements et leur ôte toute capacité d’action. Leur difficulté financière s'accroît en raison de l’absence d’une compensation juste et pérenne du financement des trois allocations individuelles de solidarité nationale, le RSA, l’APA et la PCH. La prise en charge du coût croissant de ces allocations n’est plus supportable du fait de l’inadéquation structurelle entre ressources et dépenses. Sans solution pérenne, notre modèle social ne pourra plus être garanti. Sans marge financière, les départements ont désormais besoin de décisions urgentes et non plus d’un énième cycle de discussion. L’heure n’est plus aux tergiversations. L’État doit être capable d’assumer ses responsabilités essentielles à l’égard de nos concitoyens les plus fragiles".

S'agit-il d'un extrait de la motion adoptée à la quasi-unanimité à Albi ce vendredi 14 novembre lors de la deuxième journée des Assises des départements ? On aurait clairement pu le penser. Or non, il s'agit du texte de la motion adoptée… en 2015, lors de ce même rendez-vous annuel des élus départementaux (on parlait alors de congrès). On était cette année-là à Troyes (Localtis y était… voir notre article d'octobre 2015, avec ladite motion en téléchargement), et le benjamin des présidents de département était alors le président de l'Eure... un certain Sébastien Lecornu. Celui-ci s'en souvient. Et c'est lui-même qui, dix ans plus tard, aujourd'hui invité en tant que Premier ministre, a retrouvé cette ancienne motion et tenu à en lire un passage à ses anciens homologues. Non pas pour moquer des élus qui auraient tendance à radoter… mais bien plutôt pour montrer "qu'au fond, rien n'a particulièrement changé". Pas seulement depuis dix ans, mais même "depuis 2003-2004, avec la question des finances qui n’a pas été traitée jusqu’au bout".  Il y voit "quelque chose d’assez triste".

"Sauvegarde du modèle social français"

Alors dix ans plus tard dans le Tarn, que dit cette fois la motion 2025 présentée par Jean-Léonce Dupont ? (à télécharger ci-dessous) Elle reprend logiquement les grandes lignes de ce que l'on avait pu entendre depuis la veille (voir notre article sur la première journée des Assises), avec pour intitulé : "La sauvegarde du modèle social français par la rénovation des relations et des financements des politiques sociales des départements".

Ces grandes lignes : "que le prochain grand acte de décentralisation voulu par le gouvernement se concentre sur la refonte du financement des collectivités départementales" ; "que les départements soient ainsi confortés dans leur rôle de bouclier social et que l’Etat s’engage à leurs côtés pour remettre à niveau ce qui relève de son champ de compétence en matière de protection de l’enfance, de prise en charge du handicap, de préparation au vieillissement de la population et de politique d’accès à l’emploi" ; "que soit instaurée une véritable instance de dialogue financier et stratégique entre l’État et les départements" ; "que soit rétablie leur autonomie financière".

Ce Dilico 2 "qui ne résout rien, qui aggrave tout"

Tout cela, on le conçoit, n'est pas pour tout de suite. Départements de France parle d'ailleurs de "mesures d'évolution structurelle". Dans l'immédiat, l'urgence est de contrer plusieurs mesures prévues par la version initiale du projet de loi de finances (PLF) pour 2026. Ce qui est demandé : annuler le Dilico 2, porter le fonds de sauvegarde à 600 millions d'euros et revenir aux critères d'éligibilité de 2023-24, renoncer à l'écrêtement des recettes de TVA... Et, côté projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), assurer un financement à 50/50 des allocations inidivuelles de solidarité (AIS). "Sans décision rapide en ce sens, les départements refuseront d’engager toute dépense nouvelle ou supplémentaire décidée unilatéralement par le gouvernement et non compensée intégralement et se réservent le droit de contester en justice tout mandatement d’office" (mandatements auxquels certaines Caf ont eu recours dans le passé pour recouvrer des sommes dues par des départements au titre du RSA).

Tous les orateurs de ce vendredi ont évoqué ces points. Notamment ce Dilico 2 "qui ne résout rien, qui aggrave tout" (Jean-Luc Gleyze, Gironde), ce prélèvement de 280 millions d'euros (contre 220 millions pour le Dilico 1) auquel le président de Départements de France, François Sauvadet, a préféré s'attaquer par l'humour tant il le juge insensé. Notamment, aussi, ce fonds de sauvegarde dont le montant de 300 millions d'euros ne saurait suffire à aider les 54 départements aujourd'hui en difficulté (contre 14 il y a deux ans), à savoir ceux qui sont passés en-dessous du seuil de 7% de marge brute. Sur le financement des AIS, il en avait beaucoup été question la veille, avec l'espoir que l'amendement au PLFSS sur le financement paritaire de l'APA et de la PCH aille jusqu'à son terme.

Le fonds d'urgence porté à 600 millions d'euros

Dans son allocution de clôture - tenue sans notes -, le Premier ministre leur a donné en partie raison. Tout d'abord sur le Dilico : "Je donne mandat aux ministres pour rouvrir le dossier du Dilico afin de le plafonner dans son montant mais aussi dans le nombre de conseils départementaux qui seront concernés. Car par définition, le Dilico ne peut pas être demandé aux conseils départementaux qui sont dans la difficulté" et "la dérive entre le Dilico 1 et le Dilico 2 n’est pas explicable". En revanche, "les conseils départementaux parmi les plus riches seront sûrement appelés à une contribution", a-t-il précisé. 

La deuxième cause entendue par Sébastien Lecornu : "Je vous confirme que le gouvernement déposera un amendement pour multiplier par deux le fonds d’urgence et les critères n’évolueront pas". Il reconnaît qu'il s'agit d'une simple rustine : "Ça évite tout défaut, ce n’est qu’une mesure conservatoire" pour 2026. Avec un propos très proche de celui qu'ont tenu pendant deux jours les élus départementaux : il va rapidement falloir "faire du pluriannuel et du structurel une bonne fois pour toutes" au lieu d'enchaîner les "mesures de court terme", au lieu de devoir "aller chercher année après année, de congrès en congrès, en espérant qu’elle soit votée à l’Assemblée et au Sénat, la mesure de rattrapage qui permettra de boucler son budget". Son diagnostic : "Seule une réforme structurelle de moyen et long terme permettra durablement de sauver les conseils départementaux".

Décentraliser... par la réforme de l'Etat

En cela, selon le chef du gouvernement, cette problématique financière doit nécessairement aller de pair avec la réforme de la décentralisation qu'il entend initier. Moyens et compétences. Autre point de convergence avec certains des propos d'élus entendus à Albi : à ses yeux, cette réforme doit avant tout être "une clarification de ce que l’on attend de l’État". Sébastien Lecornu parle ainsi d'une "décentralisation de conséquences de ce que serait la réforme de l’État".

Et "parce c’est la collectivité départementale qui a la plus grande fragilité", c'est, a-t-il assuré, "avec les conseils départementaux qu’on va tenter d'écrire le premier chapitre de la réforme de l’État et notamment de la grande clarification autour des questions sociales, médico-sociales et sanitaires". Applaudissements.

Sur le terrain social justement, le Premier ministre considère que la question d'une recentralisation du RSA n'est plus d'actualité et que "le vrai sujet" aujourd'hui est celui de l'allocation sociale unique (ASU) qui doit, a-t-il rappelé, permettre de "rapprocher la prime d’activité, le RSA et un certain nombre d’aides au logement". Prenant le modèle de impots.gouv.fr, il imagine "un vrai social.gouv.fr, qui permet aux travailleurs sociaux d'avoir un accompagnement personnalisé" : "Ce ne serait pas le grand soir entre les conseils départementaux et la Caf, mais ce serait le fait de brancher les bons tuyaux aux bons endroits et une capacité à faire des économies non pas sur les bénéficiaires, comme certains parfois voudraient l’introduire, mais des économies de gestion".

On sait que des travaux sont en cours sur cette ASU - dont la solidarité à la source constitue la première étape - et qu'une mission flash de l'Assemblée nationale a présenté ses conclusions sur le sujet l'été dernier (voir notre article). Mais aussi que les paramètres sont encore imprécis et que certaines associations et certains élus de gauche craignent que la réforme se traduise par un moins-disant. François Bayrou avait déjà, en janvier dernier, évoqué un projet de loi "avant la fin de l'année". C'est cette fois Sébastien Lecornu qui annonce la présentation d'un texte en Conseil des ministres dès "le mois de décembre". Et qui compte sur les départements pour "s’emparer de la réforme".

"Collectivité des solidarités, du médico-social et du sanitaire"

Le chef du gouvernement souhaite en outre que l'on requestionne "l'ensemble de la famille des sujets du médico-social". Et fait partie de ceux qui considèrent que "le temps est venu de réformer en profondeur les agences régionales de santé" (ARS) dont les missions régaliennes pourraient être assurées par le préfet. Quant à "la planification des soins de proximité", "comment peut-on expliquer qu'elle soit encore gérée par une agence régionale ?", s'est-il interrogé. A l'heure du lancement du réseau France Santé, c'est selon lui le département qui pourra le "planifier et mettre en œuvre", en lien notamment avec la CPAM. 

Le tout avec quel type de financements ? Là, une ouverture notable de la part de Sébastien Lecornu : "Si on fait du conseil départemental la collectivité des solidarités, du médico-social et, à certains égards, du sanitaire, il est logique que les conseils départementaux perçoivent une part de CSG. C’est une évidence". Le principe devrait réjouir nombre de présidents de département. "C'est en effet une mesure de rupture", a réagi Jean-Luc Gleyze, le président du groupe de gauche, qui la réclame depuis longtemps. "Nous allons rapidement travailler avec lui là-dessus", a pour sa part rebondi François Sauvadet. Restera à préciser l'ampleur de cette part. Selon Christophe Ramond, le président du Tarn, "un point de CSG représenterait 15 milliards de recettes pour les départements". L'ampleur, mais aussi l'origine de cette part.

"Devenir la collectivité des réseaux"

Le Premier ministre envisage-t-il d'autres transferts ou renforcements de compétences ? Il a une nouvelle fois évoqué le champ du logement, dans lequel selon lui "trop de monde a un rôle à jouer". Mais aussi les champs liés aux "réseaux", y compris les "réseaux d'électricité", même si, a-t-il dit, "il faut être très prudent dans la manière d’ouvrir ce dossier". Ainsi que "les réseaux routiers", avec l'hypothèse d'une décentralisation complète des routes : "Vous gérez 400.000 km de réseaux routiers, l'État en gère encore 10.000 km. Garder des structures étatiques pour entretenir seulement 10.000 km de réseau… Dans ce cas on ne fera jamais d’économies structurelles", a-t-il argumenté.

"Devenir la collectivité des réseaux", c'est ce qu'avait revendiqué Christophe Ramond dans son discours d'accueil du chef du gouvernement, y incluant, outre l'énergie, l'eau et les ordures ménagères. "Sur ces sujets, nous avons l'ingénierie et nous avons les bras", avait argumenté la veille Sébastien Vincini (Haute-Garonne), lequel avait également parlé de logement, considérant que les départements doivent pouvoir "devenir Autorités organisatrices de l'habitat" - ceci "en complément de certaines grandes intercos" (précision utile sachant qu'Intercommunalités de France et France urbaine demandent elles aussi ce statut d'AOH).

Christophe Ramond avait ajouté une proposition moins usuelle : que les lycées aillent aux départements. "Le primaire aux communes, le secondaire aux départements, l'enseignement supérieur aux régions", avait-il développé sous les applaudissements.

"On a la tête hors de l'eau"

Toutefois, globalement, c'est bien moins la prise de nouvelles compétences que la crainte de ne plus pouvoir exercer les compétences actuelles dans de bonnes conditions qui a dominé les débats de ces Assises. Et François Sauvadet de prévenir : "Parmi nos missions, tout ce qu'on abandonnera parce qu'on a du mal à les financer, on aura beaucoup de mal à les relancer".

A l'issue des propos de Sébastien Lecornu, le président de Départements de France s'est dit satisfait d'avoir "été entendu" : "Je suis heureux de son discours, il y a une prise de conscience". Tout en demandant toujours la suppression pure et simple du Dilico, il estime qu'avec le fonds de sauvegarde porté à 600 millions d'euros, "on a la tête hors de l'eau". Il compte maintenant sur les parlementaires pour que soient votés les amendements concernés... et le PLF dans son ensemble, tout simplement parce que "la France a besoin d'un budget".

Jean-Luc Gleyze salue lui aussi certaines avancées : fonds de sauvegarde, davantage de départements échappant au Dilico (reste, relève-t-il, la question des critères, "le seul critère valable" étant selon lui l'épargne nette), perspectives sur la CSG, départements placés au "premier chapitre" de la réforme de la décentralisation... Il exprime toutefois sa vigilance sur d'autres points. Mais dit en tout cas accorder au Premier ministre "le bénéfice du doute".

 

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