Congrès des maires – Les maires et la sécurité : "Ni shérifs, ni naïfs"
Les maires, réunis pour leur 107e congrès, attendent le projet de loi visant à donner de nouvelles prérogatives aux polices municipales. Mais ils préviennent le gouvernement : pas question d’un transfert de compétences déguisé, comme pourraient le laisser entendre les récentes déclarations du nouveau ministre de l’Intérieur Laurent Nunez.
© Capture vidéo AMF
"Je ne connais pas de sentiment d'insécurité. Je connais une réalité de la délinquance. Il faut commencer par nommer les choses." C’est la réponse, à cinq ans de distance, apportée par le maire d’Orléans (Loiret), Serge Grouard, à une déclaration d’Eric Dupond-Moretti qui avait fait couler beaucoup d’encre, considérant que le sentiment d’insécurité "est de l’ordre du fantasme". "Je veux m'adresser à l'intelligence des Français, pas à leurs bas instincts", avait-il cinglé. Des instincts qui ont la vie dure : n’en déplaise à l’ancien garde des Sceaux, 76% des Français placent la sécurité des personnes et des biens au premier rang de leurs préoccupations, selon un sondage Ifop pour la Tribune Dimanche, publié le 15 novembre. Un sondage qui a conduit le nouveau ministre de l’Intérieur Laurent Nunez à déclarer dans le même journal vouloir poursuivre le travail pour la sécurité du quotidien mené depuis 2017 et "cibler les territoires gangrenés par les trafics afin de les démanteler". Une réunion de crise s’est tenue à l’Elysée sur ce thème, ce mardi 18 novembre, jour d’ouverture du 107e Congrès des maires, porte de Versailles, à Paris, pour accélérer la mise en œuvre des nouveaux outils de la loi du 13 juin 2025 visant à lutter contre les narcotrafics, à la suite d’une série de drames survenus à Marseille et Grenoble.
Le projet de loi examiné au Sénat "en février 2026"
A quatre mois des élections municipales, le sujet est en train de s’imposer comme un enjeu de la campagne. En ouverture du congrès, le président de l’Association des maires de France (AMF) David Lisnard a d’ailleurs rappelé que les maires ont été les sentinelles de cette aggravation du phénomène. "On avait alerté sur le narcotrafic avant tout le monde", a-t-il rappelé (lire notre article du 24 novembre 2022 ou, plus récemment, celui du 22 novembre 2024). Mais "sur la sécurité il n’y a pas que le narcotrafic. Attention à ne pas oublier toute l’autre insécurité, les rixes la nuit dans nos rues, les agressions, les cambriolages en zone rurale, etc.", a-t-il insisté. Preuve de l’importance accordée par l’AMF à la sécurité cette année : la matinée inaugurale du congrès lui a été consacrée, deux semaines après la présentation en conseil des ministres du projet de loi relatif à l’extension des prérogatives des polices municipales et des gardes champêtres (lire notre article du 30 octobre). Le texte désormais sur le bureau du Sénat pourrait être examiné "en première lecture en février 2026", a indiqué la sénatrice du Val-d’Oise Jacqueline Eustache-Brinio, auteure d’un rapport sur les polices municipales (lire notre article du 28 mai), la veille, devant les maires ultramarins (lire notre article du jour). Un calendrier serré pour une adoption "avant les municipales" comme l’a espéré Laurent Nunez, toujours dans la Tribune Dimanche.
Le texte, issu du feuilleton à rebondissements du "Beauvau des polices municipales", vise en particulier à élargir les prérogatives des polices municipales, en leur donnant la possibilité, sans acte d’enquête, de constater un certain nombre de délits par des amendes forfaitaires délictuelles. Ce qui répond aux aspirations des maires. Mais attention à ne pas aller trop loin, alerte l’AMF qui s’inquiète d’un "transfert déguisé" non compensé par des moyens. Les maires veulent surtout jouer la carte de la "complémentarité". "Il faudra être attentif à ce que cela ne se traduise pas par un transfert du régalien. Tout cela doit se faire à effectif constant, dans la mesure où les communes ne doivent pas financer un désengagement des forces de sécurité intérieure", a martelé Frédéric Masquelier, maire de Saint-Raphaël (Var) coprésident de la commission sécurité de l’AMF. Car une autre déclaration de Laurent Nunez, toujours dans le même entretien, a éveillé les soupçons. Selon lui, les effectifs de la police et de gendarmerie se verront ainsi "déchargés de ces missions, qui touchent peut-être un peu plus à la tranquillité publique".
"Grande contradiction"
Yves Hocdé, directeur de la Direction des entreprises et partenariats de sécurité et des armes (Depsa) du ministère de l’Intérieur a été envoyé en opération déminage. "Il n'y aura pas d'éléments de substitution aux éléments des forces de sécurité nationales, police ou gendarmerie", a-t-il assuré. "C'est bien l'articulation entre chaque acteur qu'il faut travailler et l’article 1er du projet de loi sur la police municipale ancre bien l'idée que les policiers municipaux seront demain les policiers de la tranquillité publique." Même si, pour Jean-Paul Jeandon, maire de Cergy (Val-d’Oise), autre coprésident de la commission sécurité de l’AMF, il y a une "grande contradiction" dans le discours de l’exécutif. Dans le "deal" qui est proposé aux élus, il leur est demandé d’investir dans la sécurité quand, au même moment, "on est en train de [les] ponctionner". "Il faut qu’il y ait un continuum aussi sur les finances." Et comme l’AMF l’a déjà fait valoir dans sa contribution au "Beauvau", il ne s’agit pas non plus d’aller trop loin dans la "judiciarisation" des polices municipales. "Sinon les policiers municipaux vont remplir des dossiers et vont quitter la voie publique", a encore mis en garde Jean-Paul Jeandon. Les maires voient d’un mauvais œil l’autorité que les procureurs seraient amenés à exercer sur leur police. Il s’agira bien d’un "droit d’option" du maire pour des compétences élargies, a précisé le responsable du Depsa, les policiers municipaux seront "sous une double autorité". Mais "l’autorité judiciaire aura forcément à regarder les actes qui auront été engagés par la police municipale".
Marcher sur deux jambes
De droite ou de gauche, les maires insistent sur la nécessité de marcher sur "deux jambes" : prévention et sanction. C’est le cas du maire de Bordeaux Pierre Hurmic, également président du Forum français pour la sécurité urbaine. L’édile à la recherche d’un "équilibre" a augmenté de plus de 50% les postes de médiateurs dans sa ville mais s’est aussi décidé à armer sa police. Il est vrai, surtout par pragmatisme. Car "dans toutes les villes où la police municipale n’est pas armée, on n’arrive pas à recruter", a-t-il concédé. Selon lui, le maire ne doit être "ni shérif, ni naïf".
C’est aussi cet équilibre que Serge Grouard a cherché à mettre en place à Orléans depuis son élection en 2001. Avec succès : la délinquance y a chuté de 81%. "Au travers des items du ministère de l'Intérieur, bien évidemment", a-t-il tenu à préciser. Lui aussi a mis en place "deux piliers très forts" : de la "sanction-répression" (il fut le premier à instaurer un arrêté couvre-feu pour les mineurs) et "de la prévention-réussite éducative". "Et je considère que le maire, il est au cœur des deux. Il n’y a pas l'Etat qui est chargé de ses fonctions régaliennes et le maire qui est là en supplétif."