Congrès des maires – Face à des inégalités territoriales de santé toujours fortes, la suppression des ARS n'est pas souhaitable, juge Stéphanie Rist
Interpelée par les maires sur les projets du gouvernement après les annonces du Premier ministre réalisées devant les départements sur l'évolution des agences régionales de santé, la ministre de la Santé a plaidé ce jour pour des simplifications et le renforcement de l'échelon départemental, mais aussi pour le maintien d'"un pouvoir fort" de l'État dans les territoires. Dans leur troisième baromètre Santé-Social présenté ce 20 novembre lors du Congrès des maires, l'AMF et la Mutualité française mesurent des progrès en matière de coordination des acteurs de santé dans les territoires, mais constatent que l'accès aux soins ne s'améliore pas et demeure fortement dégradé dans un nombre important de territoires.
© Capture vidéo AMF/ Au micro: Stéphanie Rist Ministre de la Santé, des Familles, de l'Autonomie et des Personnes handicapées
En matière d'accès aux soins, "la situation continue de se dégrader", a indiqué Eric Chenut, président de la Mutualité française, ce 20 novembre 2025 au Congrès des maires, lors d'une conférence de presse de présentation du troisième baromètre santé-social de l'Association des maires de France (AMF) et de la Mutualité française. Plusieurs élus de l'association étaient présents pour évoquer les résultats de cette publication qui aborde les enjeux de santé, mais également de la petite enfance et du grand âge. Parmi eux, Daniel Cornalba et Marylène Millet – qui ont chacun coprésidé un forum du Congrès des maires, deux séquences sur lesquelles Localtis reviendra – ont alerté sur l'aggravation de la crise du recrutement de professionnels chargés de prendre soin des plus jeunes et des plus âgés.
Eric Chenut a interpelé le gouvernement sur la nécessité d'investir dans la prévention pour préserver notre modèle de sécurité sociale, jugeant "l'augmentation des affections longue durée extrêmement préoccupante". Il a par ailleurs jugé "problématique" l'absence de parution de la Stratégie nationale pour l'alimentation, la nutrition et le climat (Snanc, voir notre article), attendue "depuis plus de deux ans" par les acteurs. Et a enfin appelé à rattraper le retard dans l'adaptation au vieillissement de la population et à "changer d'échelle" sur la coordination des acteurs de santé.
Une légère progression, pas encore perceptible, du nombre de médecins généralistes
De ce panorama qui compile des données issues de différentes sources, on retient en particulier un résultat : près des deux tiers des Français (65%) ont déclaré en 2025 avoir dû renoncer à des soins au cours des 12 derniers mois, ce qui est plus élevé de trois points par rapport à 2024. Pourtant, "une faible progression" du nombre de médecins généralistes est observée au 1er janvier 2025 (100.019, soit environ 520 médecins supplémentaires et une hausse de près de 1% par rapport à 2023). Cette "dynamique positive après douze années de recul" ne suffit toutefois pas à changer la donne dans les territoires. Il est rappelé que "87% de la population vit dans un désert médical et 6 millions de Français n’ont pas de médecin traitant, soit près de 10% de la population, dont environ 400.000 patients en affection de longue durée (ALD)".
Il s'agit de "poursuivre sur les trois voies" que sont la formation de davantage de médecins, la coopération territoriale et l'évolution des métiers (pour libérer du temps médical), a répondu la ministre de la Santé Stéphanie Rist, interpelée sur l'accès aux soins lors d'une séquence du Congrès ce 20 novembre. Nous sommes "au début de l'écriture d'un projet sur la décentralisation que porte le Premier ministre, qui va aller très vite, je suis à votre disposition", a-t-elle par ailleurs mentionné, tout en apportant des précisions sur les sujets particuliers des agences régionales de santé (ARS) et du réseau France Santé (voir notre encadré ci-dessous).
Coordination des acteurs de santé : les CPTS couvrent 84% de la population
Le baromètre souligne les progrès de la coordination des acteurs de santé, grâce aux contrats locaux de santé (CLS), portés conjointement par l'ARS et une collectivité, et les communautés professionnelles de santé (CPTS) qui ont pour but d'organiser cette coordination mais aussi la permanence des soins. "Au 29 août 2025, sont dénombrées 567 CPTS ayant signé un accord conventionnel interprofessionnel. Au total, près de 840 CPTS (couvrant 84% de la population) sont déployées sur le territoire", peut-on lire dans le baromètre.
"Des inégalités territoriales fortes" sont toutefois relevées, des départements comme la Marne, le Cantal et les Pyrénées-Atlantiques comptant "moins d’un tiers de leur population couverte par une CPTS" et d'autres, tels que la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie et Saint- Pierre-et-Miquelon, n'en ayant aucun.
Inégalités entre départements : un rapport de 1 à 14 sur la densité de psychiatres
L'accent est d'ailleurs fortement mis dans ce baromètre sur les inégalités territoriales, avec de nombreuses cartes, notamment sur la santé mentale en cette année de grande cause nationale. La densité de psychiatres par département varie ainsi de 1 à 14 selon les départements de l'hexagone (de 7 pour 100.000 habitants dans la Meuse à 103 à Paris). C'est "pire encore" en ce qui concerne les pédopsychiatres puisque certains départements n'en ont même pas, a réagi Daniel Fasquelle, maire du Touquet-Paris-Plage et expert désigné par l'AMF pour la grande cause nationale santé mentale. Ce dernier a porté sur plusieurs points d'alerte : des délais d'attente "beaucoup trop importants", "l'errance des familles avec des parcours qui restent chaotiques" et une "moyenne d'âge de 55 ans des psychiatres" pour une spécialité ayant "un vrai problème d'attractivité".
L'élu tient par ailleurs à souligner trois "points positifs" : "le doublement du nombre de psychologues en dix ans", qui se ressent selon lui sur le terrain, la grande cause nationale ayant permis "une vraie prise de conscience et des initiatives locales " – l'AMF diffusera un guide pratique en 2026 – et les contrats locaux de santé mentale (CLSM) "qui sont extrêmement efficaces". Pilotés par des élus locaux, les CLSM sont des instances de concertation et de coordination qui se concentrent notamment sur la prévention et l'accès à des parcours de soins adaptés. Près de 270 CLSM étaient dénombrés en juillet 2025.
› Stéphanie Rist : simplifier, renforcer l'échelon départemental, "ça ne veut pas dire supprimer les ARS"Lors d'un temps d'échange avec des maires et élus locaux à l'occasion du Congrès de l'AMF, la ministre de la Santé Stéphanie Rist a été logiquement interpelée sur l'accès aux soins et les annonces récentes du Premier ministre en la matière. Un élu s'est fait en particulier l'écho des questionnements actuels sur les agences régionales de santé (ARS), alors que onze anciens ministres de la Santé, de Claude Evin (1988-91) et Roselyne Bachelot (2010-2012) à Frédéric Valletoux (2024) en passant par Marisol Touraine (2012-2017) et Agnès Buzyn (2017-2020), ont signé une tribune parue le 18 novembre 2025 dans Le Monde pour alerter sur le fait qu'un transfert d'"une partie des tâches des ARS" aux départements (tel qu'annoncé le 14 novembre dernier par le Premier ministre Sébastien Lecornu lors des Assises des Départements, voir notre article) "aboutirait à affaiblir la qualité de la prise en charge des Français". "Les ARS sont nées en 2010 du constat que le système de pilotage de la santé était défaillant, éclaté entre l’Etat – notamment sous la responsabilité des préfets –, les départements et l’Assurance-maladie" et "c’est l’ambition de coordonner ces actions tout en permettant la prise en compte des spécificités territoriales qui a conduit à leur création", rappellent les anciens ministres. Ils appellent à préserver cette ambition, en alertant sur le risque d'un retour en arrière sur cette approche globale et d'inégalités territoriales renforcées. "Je pense vraiment que l'État doit avoir un pouvoir fort dans les territoires sur la santé", a confirmé la ministre actuelle, devant les maires. Pour Stéphanie Rist, la suppression de l'ARS ferait "à peu près l'unanimité" par les parlementaires parce que ces agences seraient le "réceptacle de tout ce qui va mal sur l'accès aux soins" mais aussi l'expression d'une "sur-administration". "Il faut que la direction de l'ARS puisse avoir le droit de déroger (…), qu'on diminue cette sur-administration quand les élus et les professionnels considèrent qu'il faut avancer", indique-t-elle, annonçant qu'elle précisera prochainement quatre leviers de simplifications. La ministre considère que le renforcement de l'échelon départemental (elle parle de "décentralisation/déconcentration") est nécessaire pour l'aménagement du territoire et la coordination de l'offre de soins, avec une ARS qui soit davantage en posture d'"accompagnement" que de "décideur". "Mais ça ne veut pas dire supprimer les ARS", conclut-elle. Quant au futur réseau France Santé, il "ne doit pas venir en concurrence avec nos CTPS", a mis en avant Claire Peigné, maire de Morancé et présidente de l'AMF du Rhône, lors de la conférence de presse. "Ce n'est pas un dispositif de plus, cela vient consolider toutes les organisations qui ont été mises en place dans les territoires", avait précédemment considéré la ministre. "Une CPTS qui fonctionne bien a mis en place des rendez-vous pour les patients qui n'ont pas de médecin traitant dans les 48 heures, cette CPTS sera une communauté France santé", a-t-elle illustré, précisant les critères de labellisation "consultation dans les 48 heures si besoin, de proximité, ouvert 5 jours sur 7 et pas de dépassement [d'honoraires]". Selon Stéphanie Rist, cette démarche poursuit trois objectifs : "rendre visible ce qui est fait", "consolider là où ça doit être consolidé" (financement en moyenne de 50.000 euros, par exemple pour l'embauche d'un secrétaire médical ou la construction d'un bureau pour un interne) et "créer un premier noyau de coopération", par exemple autour d'une pharmacie, là "où il n'y a rien". "Cela va être le repère, un véritable outil utile aux territoires", a auguré la ministre, en réponse à des élus en demande de coordination et de leviers pour lutter contre la concurrence entre collectivités. Dans son discours de clôture ce jeudi 20 novembre en fin de journée, Sébastien Lecornu a indiqué avoir demandé aux ministres Stéphanie Rist et Françoise Gatel de rencontrer prochainement le bureau de l'AMF pour "arrêter une méthodologie". |