Congrès des maires – L'économie sociale et solidaire, "inéluctable" pour "viser la robustesse" des territoires ?
Malgré les hésitations au niveau national sur le pilotage et les moyens, l'économie sociale et solidaire se développe dans des territoires urbains et ruraux, souvent grâce à des alliances avec les collectivités. Lors d'un forum du Congrès des maires, des élus ont témoigné de la place de l'ESS dans l'économie de leur territoire et dans leurs différentes politiques publiques. Si les leviers aux mains des communes sont nombreux pour renforcer cette place, comme l'illustre le Kit municipalESS 2026 diffusé par le RTES, certains élus appellent déjà à "consolider l'existant" dans un contexte particulièrement contraint.
© Capture vidéo AMF/ Mohamed Gnabaly, Jean-Michel Buf et Benoît Hamon
Onze ans après la loi de 2014 sur l'économie sociale et solidaire (ESS), l'objectif de "changement d'échelle" n'a pas été atteint, selon Benoit Hamon, qui avait porté ce texte sous le quinquennat de François Hollande. "Pourquoi ? Parce que la volonté politique a été très intermittente et qu'il n'y a pas eu de stratégie de développement de l'ESS à partir de la loi", a jugé le président d'ESS France, le 18 novembre 2025 lors du Congrès de l'Association des maires de France (AMF).
Les acteurs de l'ESS attendent donc désormais que la future stratégie nationale de l'ESS traduise un pilotage affirmé, assorti de priorités claires et de moyens, ce qu'ils ont fait valoir le 19 novembre auprès du ministre en charge Serge Papin. Avec le report annoncé hier par le gouvernement (voir notre article), le ministère et les acteurs du Conseil supérieur de l'ESS ont désormais jusqu'à fin mars 2026 pour "muscler" un document actuellement "un peu léger" de l'avis de Benoit Hamon. Il y a "un mur d'investissement qui est devant nous" du fait du vieillissement de la population, mais aussi des financements à mobiliser pour la petite enfance, le sport, la culture, a-t-il cité, appelant à "produire un document qui soit à la hauteur des besoins".
Des barrières culturelles qui tombent
Ainsi le poids de l'ESS dans l'économie française n'a pas évolué en un peu plus de dix ans, représentant toujours de l'ordre de 10% du PIB et 14% des emplois privés (2,4 millions de salariés dans 200.000 entreprises). Pour autant, les élus réunis sur le sujet lors du Congrès de l'ESS perçoivent des changements dans la perception de l'ESS et sa place dans les territoires. "La loi ESS nous a permis collectivement d'ouvrir nos chakras et de changer un peu nos cultures", estime Mohamed Gnabaly, maire de L'Ile-Saint-Denis et vice-président de l'AMF. L'ESS est pour lui passée "de l'invisible au visible" dans les collectivités. Au Congrès des maires en tout cas, l'élu de Seine-Saint-Denis a œuvré à rendre l'ESS visible depuis 2019 (voir notre article).
"Après avoir suivi un module de formation sur la transition écologique et sociale, je me rends compte de plus en plus de l'inéluctabilité de l'ESS", abonde dans son sens un élu de Guyane. Ce dernier évoque le rôle de l'ESS "pour viser la robustesse" des écosystèmes locaux. Mohamed Gnabaly parle lui de "résilience territoriale" : l'heure serait moins au changement d'échelle qu'à l'urgence de "consolider l'existant" – et en particulier les partenariats collectivités-ESS – pour "continuer à faire fonctionner le service public".
A Sceaux, il aura fallu rebaptiser l'ESS (qui évoquait un imaginaire des "gentils contre les méchants capitalistes") en "économie circulaire et solidaire" pour que les "barrières tombent" et que des actions soient conduites "principalement par les marchés publics", explique Florence Presson, adjointe au maire.
Mutualisation et alliances entre collectivités
Si elle s'est dotée d'un fablab textile, la commune des Hauts-de-Seine n'avait personne pour recycler ses bâches. Elle s'est donc appuyée sur une entreprise de l'ESS active à Pantin (Seine-Saint-Denis) qui, selon l'élue, "a une solution aujourd'hui établie mais aussi des soucis d'équilibre financier". "Au lieu de chacun faire chez soi, mutualisons", invite Florence Presson qui souligne l'intérêt de valoriser "ce qui est réalisé dans les autres communes".
D'autres élus croient en ces possibilités d'alliance entre collectivités pour soutenir le développement d'entreprises prometteuses de l'ESS et répondre ainsi à leurs propres besoins de territoire. C'est le cas de Romainville, qui a adhéré à la société coopérative d'intérêt collectif (Scic) Nourrir l'avenir "pour engager la révolution de notre modèle de restauration", met en avant François Dechy, son maire. "D'ici 2030, tous les enfants de Romainville auront accès dans leur école à une cuisine où on cuisinera sur place du 100% bio sans que cela nous coûte plus cher", se félicite l'ancien dirigeant de l'entreprise d'insertion Baluchon. Cela grâce à une "ingénierie spécifique" qui a été créée "avec des acteurs de l'ESS qui ont su fédérer et accompagner des collectivités" en Dordogne, en Bretagne et en Ile-de-France.
Emploi, développement économique et lien social
L'ESS représente parfois aussi l'unique forme d'activité économique dans des territoires particulièrement fragiles ou isolés. C'est le cas à Papaichton, commune de Guyane située au cœur de la forêt amazonienne et accessible uniquement par le fleuve en pirogue. "Là, à part la mairie, vous avez l'association qui emploie 65 salariés, soit environ 200 familles qui se nourrissent de cette situation là", relate Yahya Daoudi, adjoint au maire de Matoury.
Sur le territoire rural de Blain (Loire-Atlantique), beaucoup d'associations, dont plusieurs portent des instituts médico-éducatifs, se sont implantées autour de l'hôpital psychiatrique employant 800 salariés. "Ce réseau de l'économie sociale et solidaire représente aujourd'hui 63% de l'économie", affirme Jean-Michel Buf, maire de Blain, pour qui les maires doivent "aider à la montée en puissance" de l'ESS.
Dans un tout autre environnement, la métropole de Toulouse a inscrit l’ESS dans le programme "Quartiers productifs" de son contrat de ville et soutient dans ce cadre l'implantation et le fonctionnement de trois tiers-lieux dans des quartiers politique de la ville. L'objectif est à la fois de favoriser le développement d'activités économiques de proximité et de "proposer des espaces de mixité, de citoyenneté et de lien social aux habitants", peut-on lire dans le Kit municipalESS 2026 qui a été diffusé (dans une version encore de travail) par le Réseau des collectivités territoriales pour une économie sociale et solidaire (RTES) à l'occasion du Congrès des maires.
Un kit pour "les futurs élus locaux qui veulent mettre de l'ESS dans leur ville"
"C'est le kit que nous allons adresser à tous les futurs élus locaux qui veulent mettre de l'économie sociale et solidaire dans leur ville", présente Mahel Coppey, présidente du RTES. "Nous avons une banque incroyable de ressources de collectivités", ajoute la présidente d'un réseau qui compte 200 collectivités de différents statuts et tailles. Ce kit est composé de fiches "leviers" (commande publique responsable, accès au foncier des acteurs de l'ESS, "faire vivre la participation et la coconstruction", ressources mobilisables par les collectivités…) et de fiches thématiques (revitalisation des centres-villes, alimentation, mobilité, petite enfance et famille, gestion des déchets, habitat…).
Une matière précieuse pour alimenter les projets des candidats aux élections municipales. Mais aussi pour ouvrir des perspectives, même en période de disette budgétaire. Ainsi, s'il ne cache pas ses inquiétudes sur le risque actuel de fragilisation des services publics locaux et des initiatives portées par la société civile, le maire de L'Ile-Saint-Denis qui est aussi dirigeant de l'ESS (voir notre article) mobilise ses troupes avec un message : "Quand il n'y a pas d'argent on compte sur les gens."