Mahel Coppey, présidente du RTES : "Face aux défis qui sont devant nous, il faut investir dans l'économie sociale et solidaire"
Le Réseau des collectivités territoriales pour une économie sociale et solidaire (RTES) a co-organisé avec le Mouvement Sol les premières Rencontres européennes des monnaies locales, les 27 et 28 octobre 2025 en amont du Forum mondial de l'ESS. Mahel Coppey, sa présidente, revient pour Localtis sur l'intérêt de ces monnaies locales pour "dynamiser les transformations autour de l'écologie et de la justice sociale dans les territoires". Rappelant ce qui est porté localement par les acteurs de l'ESS (dont les associations et les structures de l'insertion par l'activité économique), l'élue de la ville et la métropole de Nantes alerte sur l'impact qu'auraient des coupes budgétaires trop sèches sur l'emploi et la cohésion sociale.
© Estelle Offroy/Mahel Coppey
Localtis - Il y a eu la semaine dernière à Bordeaux deux temps forts pour l'économie sociale et solidaire, avec le Forum mondial de l'ESS mais aussi les premières Rencontres européennes des monnaies locales. En quoi était-ce important pour le RTES de prendre part à ces événements ?
Mahel Coppey - Les collectivités contribuent à la force et au poids de l'économie sociale et solidaire, donc c'était logique pour nous de participer au premier Forum mondial de l'ESS qui se déroulait en France. Les collectivités adhérentes se sont fortement mobilisées, à travers la trentaine de tables rondes que nous avons proposées.
Quant aux Rencontres européennes des monnaies locales, que nous avons co-organisées avec le Mouvement Sol et le soutien de la ville de Bordeaux, c'était une première à l'échelle européenne. Ces rencontres sont organisées une fois par an au niveau national et là nous avons pu croiser nos expériences avec celles des Slovaques, des Tchèques, des Italiens, des Catalans, des Suisses, des Allemands... [14 pays représentés, voir le retour du RTES sur ces rencontres, ndlr]. Ces monnaies locales dynamisent les transformations autour de l'écologie et de la justice sociale dans les territoires, avec bien sûr des réalités très différentes entre nos pays.
Qu'est-ce que ces monnaies locales représentent en France ? Pour quel type de biens et services sont-elles utilisées et quel est l'intérêt pour les collectivités ?
Il en existe 82 en France. L'eusko, au Pays basque, est la monnaie qui compte le plus d'échanges [4,5 millions d’eusko en circulation selon le site de la monnaie, ndlr]. Moneko, c'est la monnaie du pays nantais et de la Loire- Atlantique, avec 1,2 million d'échanges chaque année sur le territoire et entre 1.000 et 1.200 utilisateurs (personnes et organisations).
L'idée, c'est de permettre une réappropriation citoyenne de la monnaie. En tant que collectivité, ce qui nous intéresse, c'est que ces monnaies contribuent directement au commerce de proximité, aux circuits courts. Il s'agit de proposer aux adhérents une offre de services intéressante. À Montpellier, on peut aller au théâtre et payer en monnaie locale. À Nantes, on peut payer son ticket de tramway ou aller au musée avec la monnaie locale…
C'est un formidable outil pour la RSE, pour les acteurs de l'ESS et pour appuyer les politiques publiques que nous portons. À Grenoble, une partie des achats publics sont effectués en monnaie locale. À Nantes, dans le cadre de la sécurité sociale alimentaire, il nous a semblé plus juste d'utiliser la monnaie locale plutôt que l'euro. La métropole rémunère également en partie les agents territoriaux et les élus (pour leurs indemnités) en monnaie locale s'ils le souhaitent.
Ces monnaies sont gérées par des collectifs, sous forme associative. Pour que cela fonctionne, il faut un portage politique fort, que les collectivités soient en lien avec cette animation territoriale. Les résultats sont très intéressants, à Nantes le nombre d'échanges a été multiplié par cinq en six ans. Comment fait-on pour garder le cap et dépasser un certain plafond de verre ? C'est la question que nous nous sommes posée pendant ces rencontres. Il y a un enjeu de simplification administrative pour les collectivités : ces dernières pourraient être autorisées à avoir un compte en monnaie locale afin de pouvoir encaisser des recettes et décaisser aussi sans passer par une reconversion en euros, cela fluidifierait les échanges et permettrait d'augmenter le nombre de services publics proposés et de prestations payées en monnaie locale.
L'actualité, c'est aussi le projet de loi de finances pour 2026. Le RTES a dénoncé un budget sacrifié pour l'ESS. Qu'est-ce qui est le plus problématique pour vous dans ce budget et sentez-vous une écoute de la part du ministre et des parlementaires ?
J'aimerais souligner le paradoxe dans lequel on est. On a plus d'un million d'entreprises ou d'organisations de l'ESS qui représentent quasiment 14% de l'emploi privé. Cette économie est au service des territoires, y compris des territoires les plus fragiles que sont les quartiers politique de la ville et les territoires ruraux. On a 22 millions de bénévoles aujourd'hui en France, c'est-à-dire des gens qui donnent de leur temps pour les autres. Et le budget de l'ESS, qui n'était déjà pas à la hauteur en 2025, baisse de plus de moitié en 2026 [-54% dans le projet de loi de finances initial]. Et ceux qui sont également en première ligne avec le mouvement associatif, l'insertion par l'activité économique (IAE) et tous les acteurs de l'ESS, ce sont les collectivités locales à qui on demande de nouveaux efforts.
L'ESS dans les territoires, ce sont des crèches, des Ehpad, des clubs sportifs, des lieux d'accueil de personnes en situation de handicap, des centres de loisirs, des centres de santé, des magasins de producteurs… Derrière ces lignes budgétaires, il y a des habitants qui ont besoin de services au quotidien mais également des salariés. Ces coupes alimentent le taux de pauvreté qui est déjà particulièrement élevé, le chômage et une sorte de cercle vicieux. Avec toujours moins de moyens, cet écosystème de l'ESS et des collectivités menace de s'écrouler petit à petit.
Nous avons porté cette parole auprès des ministres et nous avons réuni à Bordeaux un groupe de parlementaires pour dresser un état des lieux. Il s'agit de mobiliser en premier lieu sur le soutien aux associations, puisque c'est quand même 1 milliard d'euros qui pourraient leur être retirés, sur l'IAE, mais également sur les pôles territoriaux de coopération économique, la jeunesse, l'éducation populaire ou encore les tiers-lieux.
La France doit adopter d'ici la fin de l'année sa stratégie nationale de l'ESS et vous avez contribué à son élaboration en portant la voix des collectivités. Où en est-on ?
Nous avons effectivement pris notre part dans la rédaction de cette stratégie nationale de l'ESS, que nous souhaitons voir aboutir. Nous nous sommes beaucoup mobilisés, avec d'autres réseaux comme Régions de France, pour que la place des collectivités soit réaffirmée. Mais dans la dernière version qui nous est parvenue, il y a peu de place pour les collectivités. On a du mal à sortir d'une vision très centralisée alors que l'on voit bien l'évidence de la nécessité d'avoir des alliances entre les collectivités et l'ESS.
Le récent rapport de la Cour des comptes est précieux [voir notre article] parce qu'il agglomère des chiffres qui montrent le rôle croissant des collectivités territoriales, tout en pointant le fait que les fonds européens et l'État ne sont pas au rendez-vous au regard des services rendus par l'ESS dans les territoires. Face aux défis qui sont devant nous, il faut investir dans l'ESS, pour garder de la cohésion, lutter contre la pauvreté, mais aussi transformer notre modèle de production. L'ESS répare mais au-delà l'ESS transforme la société.