Le projet de loi Polices municipales adopté en conseil des ministres
Le projet de loi issu du Beauvau des polices municipales a été adopté, ce 29 octobre, en conseil des ministres. Son contenu, connu pour l'essentiel, n'a guère évolué, si ce n'est le renforcement des obligations de formation (ou d'information) des agents et des élus, comme suggéré par le Conseil d'État qui redoute que la complexité du dispositif ne fragilise les procédures, et n'affaiblisse en conséquence l'efficacité attendue. Autre disposition revue : tous les gardes champêtres devront être dûment agréés et assermentés, et plus seulement ceux recrutés après l'entrée en vigueur du texte.
© Eric TSCHAEN-REA/ Laurent Nuñez à l'issue du conseil des ministres le 22 octobre
C'est fait ! Le ministre de l'Intérieur a présenté, ce 29 octobre, en conseil des ministres, le projet de loi, issu du Beauvau des polices municipales, "relatif à l'extension des prérogatives, des moyens, de l'organisation et du contrôle des polices municipales et des gardes champêtres". Un titre à rallonge souhaité par le Conseil d'État dans son avis du 23 octobre afin qu'il "corresponde mieux au contenu du texte".
Les grandes lignes, voire le détail, de ce dernier – qui "vise à renforcer la place et le rôle des policiers municipaux et des gardes champêtres dans l’édifice de la sécurité globale en France", singulièrement en les dotant, dans les communes volontaires, et sous conditions, de prérogatives étendues, y compris à caractère judiciaire –, étaient déjà largement connues. Elles furent progressivement dévoilées, et affinées, par François-Noël Buffet en mai dernier (lire notre article), puis par le même et Bruno Retailleau début septembre (lire notre article) ou encore à l'occasion de son examen par le CSFPT mi-septembre (lire notre article). Quelques dispositions ont été néanmoins modifiées çà et là, en suivant les recommandations du Conseil d'État.
Une commission consultative fantôme
La haute juridiction administrative a regretté au passage, sur la forme, "que le gouvernement n'ait pas souhaité recueillir le point de vue de la commission consultative des polices municipales" sur ce texte, lequel envisage pourtant "une réforme plus générale de la police municipale" après que huit textes de loi adoptés depuis la loi de 1999 "ont sensiblement accru les prérogatives et les moyens des policiers municipaux". De quoi remettre effectivement en cause l'utilité de cette commission, par ailleurs longtemps restée en jachère et dont les compétences ont été revues à la baisse par la loi Sécurité globale (lire notre article du 17 mai 2023). Le présent texte prévoit néanmoins son maintien, en élargissant même sa compétence – et sa dénomination – aux gardes champêtres, clôturant ainsi le débat sur le champ d'action de cette dernière en la matière (lire notre article du 7 février 2023).
Obligations de formation renforcées…
Les principales modifications opérées ont trait aux obligations de formation et d'examen technique nécessaires à l'exercice des nouvelles compétences à caractère judiciaire, initialement prévues pour les seuls personnels d'encadrement et désormais explicitement élargies aux agents de police municipale et aux gardes champêtres. Dans cette nouvelle version, ces derniers sont "astreints à suivre" (et non plus "peuvent recevoir") les formations de spécialisation dispensées, à la demande de l'autorité territoriale, en cours de carrière, "permettant, notamment, de garantir les qualifications nécessaires à l'exercice des compétences judiciaires". En outre, est dorénavant prévue une "information" des maires et des élus chargés de la police municipale "sur les conditions d’exercice spécifiques de leur autorité hiérarchique sur les personnels d’encadrement".
… pour faire face à la complexité du dispositif…
Le Conseil d'État considère en effet que le fonctionnement du "régime de procédure pénale à géométrie variable" instauré par le texte – puisque deux régimes seront "concomitamment applicables [celui de droit commun et le régime étendu] aux mêmes endroits, aux mêmes agents voire, le cas échéant, au même moment, en fonction de la nature des infractions et des conditions dans lesquelles celles-ci auront été sont commises" – "sera complexe à mettre en œuvre compte tenu des risques de mésusage ou de confusion des compétences détenues ou non par les agents de police municipale, en fonction du contexte".
Pis, il estime que "l’extension des prérogatives judiciaires des agents de police municipale, le rôle nouveau joué par les personnels d’encadrement et le contrôle renforcé de l’autorité judiciaire vont nécessairement accroître les zones d’incertitude en termes d’articulation des compétences (compétences complémentaires ou concurrentes, caractère distinct ou mixte des infractions constatées…), au risque, notamment, de fragiliser les procédures engagées et, en fin de compte, d’affaiblir l’efficacité du dispositif envisagé".
… dont l'efficacité pratique est, parfois, mise en doute par le Conseil d'Etat
Dans la même veine, le Conseil d'État estime que si l'attribution aux personnels d'encadrement de quatre compétences judiciaires nouvelles – destruction ou remise à des associations d'objets transmis aux agents dans le cadre de la procédure d'amende forfaitaire délictuelle, immobilisation et mise en fourrière de véhicule, vérification de l'état alcoolique dans le cadre de contrôles routiers, consultation et transmission d'initiative de données issues de la vidéoprotection – "est en principe censé accroître l’autonomie des services de police municipale dans le traitement des procédures judiciaires, l’exercice de ces compétences propres aux personnels d’encadrement requerra leur présence physique effective sur les lieux".
Il juge en revanche que l'élargissement et l'harmonisation de certaines compétences des policiers municipaux et des gardes champêtres "qui demeurent dans le champ de la police du quotidien" (dépistage d’alcoolémie et de stupéfiants, mise en fourrière des véhicules, restitution d’animaux errants ou constats d’infractions en matière d’urbanisme) "devraient contribuer à faciliter le traitement de certaines procédures sans porter atteinte aux garanties légales offertes par le code de procédure pénale".
Contrôle et déontologie : toujours des "carences"
Conformément à une autre préconisation du Conseil d'État, une disposition visant à "lever toute ambiguïté" quant au fait que les agents de la police municipale et les gardes champêtres, pour l'exercice de leurs missions de police judiciaire, sont placés sous l'autorité exclusive du parquet, a également été introduite.
Pour autant, la haute juridiction administrative est d'avis qu'en matière de contrôle et de déontologie, "les différents ajustements nécessaires prévus par le projet de loi ne suffisent pas à remédier aux carences observées par de nombreux rapports, notamment par les rapports de la Cour des comptes de 2011 [lire notre article] et de 2020 consacrés à la police municipale". "Dans la mesure où l’intention du projet de loi est de renforcer un 'continuum de sécurité' entre les polices municipales et les forces nationales de sécurité intérieure, et alors que ces dernières font l’objet de contrôles déontologiques internes et externes renforcés, des mesures analogues doivent être prévues pour les polices municipales", plaide-t-il. En vain, le texte n'ayant pas été modifié sur ces points.
Gardes champêtres : agrément et assermentation pour tous
À une exception près : la suppression de la mention qui indiquait que les nouvelles dispositions relatives à l'agrément et à l'assermentation des gardes champêtres – lesquelles entreront en vigueur six mois (à gros traits) après la publication de la loi – ne s'appliquaient pas aux gardes champêtres recrutés avant leur entrée en vigueur. De quoi alimenter davantage encore le ressentiment de ces derniers à l'égard de ce projet de loi (voir notre article).
Des dépenses en plus, sans compensation
Enfin, on relèvera que le Conseil d'État souligne que, pour les collectivités volontaires, "l'activité qui naîtra de l’exercice de prérogatives élargies en matière judiciaire par les agents de la police municipale, les gardes champêtres et les personnels d’encadrement, entraînera nécessairement des dépenses supplémentaires", en précisant qu'elles sont "évaluées très partiellement par l’étude d’impact". Il prévient toutefois les intéressées : le dispositif proposé ne procédant, ni à un transfert, ni à une extension de compétences, mais se bornant à aménager une compétence existante exercée au nom de l’État, "ces dépenses n'entrent pas dans le champ d'application du principe de compensation financière".