Congrès des maires – L'IA souveraine, une aspiration des élus qui reste à concrétiser
Au 107e Congrès de l'AMF, mercredi 19 novembre 2025, élus et experts s'accordent sur la nécessité de "reprendre le contrôle" face aux géants du numérique alors que la déferlante de l'IA arrive dans les communes. Mais entre les discours volontaristes et la réalité du terrain, le chemin pour y parvenir reste flou au-delà de l'incantation à mutualiser. Quant à l'État, il lui reste à dépasser les bonnes intentions.
© O.Devillers/ Anne Le Hénanff, ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique
À Cannes, un sondage interne organisé début 2025 a révélé que 40% des agents municipaux utilisaient déjà l'intelligence artificielle à titre professionnel – ChatGPT dans 94% des cas – avec des données de la mairie, parfois depuis leurs adresses personnelles. "C'est venu conforter notre démarche d'encadrement", reconnaît la directrice générale des services de la ville de 75.000 habitants, qui s'est depuis dotée d'une charte et a basculé vers l'IA tricolore Mistral.
Mutualiser une IA souveraine
Une démarche exemplaire qui s'avère difficilement réplicable. Car si l'affluence au forum IA du Congrès des maires en ce mercredi 19 novembre 2025 confirme l'engouement des maires pour l'IA, les petites communes se heurtent au manque de compétences pour choisir entre les multiples offres dont elles sont inondées. Avec la tentation d'opter pour les IA des Gafam, et notamment celles déjà intégrées aux suites bureautiques de Microsoft ou Google. Même Patrick Molinoz, le président de l'Arnia, concède qu'en Bourgogne-Franche-Comté, le choix a été fait provisoirement d'utiliser Copilot. Il affirme cependant vouloir "en sortir très vite pour développer une IA à nous, propriétaire, fondée sur les outils de Mistral, avec des données entreposées en France". Un projet qui repose sur une mutualisation au bénéfice des petites communes sur laquelle est abondamment revenu celui qui est aussi vice-président de la commission numérique de l'AMF.
Ne pas utiliser ChatGPT
En attendant ces hypothétiques solutions mutualisées, les communes sont fortement poussées à ne pas utiliser ChatGPT. "On ne met pas des tableaux Excel avec les bénéficiaires des aides sociales du CCAS dans ChatGPT, c'est illégal", martèle le consultant Jacques Priol sollicité pour présenter les résultats de l'observatoire Data publica (voir notre article du 14 novembre 2025). Il appelle également à se méfier de la gratuité des outils – qui expliquent en bonne partie le chiffre de 77% des communes ayant des projets d'IA – soutenant que le prix des IA, après l'éclatement de la bulle actuelle, "pourrait être multiplié par 2 ou 3". Et de plaider pour une "souveraineté publique locale" définie comme "la capacité des acteurs publics locaux à maîtriser et comprendre les données et les outils qu'ils utilisent." Celle-ci passerait notamment par la rédaction d'une charte éthique, gage de la confiance entre les élus et les citoyens.
Un accompagnement de l'État… sans moyens
Anne Le Hénanff, ministre déléguée à l'IA et au numérique et ancienne élue à Vannes, n'a pu qu'abonder dans le sens de la souveraineté. Elle a particulièrement insisté sur la dimension éthique de l'IA européenne qui "nous ressemble" : protection des données, absence de biais, transparence, respect de l'égalité femmes-hommes. Une approche qu'elle oppose aux modèles américain et chinois. Elle a ensuite promis que "l'État serait au rendez-vous" pour accompagner l'arrivée de l'IA dans les communes tout en précisant aussitôt : "Je ne dis pas financièrement."
Quant au partage de solutions déployées par l'État, on en reste surtout au stade des intentions. Interrogée sur Albert – l'assistant conversationnel promu par ses prédécesseurs, censé être ouvert aux collectivités - la ministre a reconnu qu'on ne l'avait "pas vu depuis quelques semaines" tout en précisant qu'il "existe" et "est souverain'". La Dinum, qui est à la manœuvre sur ce dossier, a par ailleurs pour consigne "d'arrêter de fabriquer des choses qui existent déjà" et de "pousser la filière IA française" via les marchés publics. Mais étonnamment, la ministre n'a pas rebondi sur l'annonce du 18 novembre (lire encadré ci-dessous), qui prévoit de déployer l'IA Mistral dans les administrations françaises et allemandes.
› Mistral et SAP équiperont les administrations françaises et allemandesAnnoncé à Berlin le 18 novembre 2025, le partenariat entre la France et l'Allemagne vise à équiper les administrations publiques des deux pays de solutions d'IA souveraines en s'appuyant sur les solutions de Mistral AI (Fr) et SAP (All.). Ce partenariat, "ouvert à d'autres fournisseurs européens", s'inscrit dans la lignée de la mise en place d'une instance européenne pour développer des communs numérique (voir notre article sur l'Edic du 30 octobre 2025). Le programme prévoit la mise en place d'une plateforme adaptée aux besoins des administrations, tels que l'automatisation de processus financiers et le déploiement d'agents numériques pour l'aide à la décision, la rédaction et l'accompagnement des usagers. Un comité franco-allemand dédié à l'European Digital Infrastructure Consortium, l'Edic, assurera la gouvernance du dispositif. Un accord-cadre contraignant doit être signé d'ici mi‑2026, avant le lancement "de cas d'usage à fort impact dans les administrations entre 2026 et 2030". |