Congrès HLM : quel rôle pour un État en plein doute ?

Le 85e congrès HLM a été le théâtre d'un débat électrique sur le rôle de l'État. Entre désengagement, tensions budgétaires et explosion de la demande sociale, les critiques ont fusé, visant directement les choix opérés au sommet de l'État depuis 2017. Historiquement au cœur du jeu, l'État est aujourd'hui accusé d'avoir abandonné le terrain.

Pas de déclaration ministérielle pour ouvrir les débats, mais une accumulation de chiffres alarmants, d’analyses critiques et de colères sourdes : au 85e congrès HLM, le 23 septembre, la première plénière a sonné comme l’acte d’accusation d’un secteur à bout. Face à l’effondrement de la production de logements sociaux, à l’explosion des besoins et à la montée des inégalités, l’État semble perçu comme s'étant clairement retiré du champ, abandonnant sa fonction de stratège, de financeur et de garant du pacte social, laissant aux collectivités et aux acteurs de terrain la charge d’amortir, seuls, une crise devenue systémique.

Un État stratège ? Le procès du "tournant" de 2017

Pour Emmanuel Cosse, le pilotage national est en panne. Comme elle l'avait fait dès son discours d'ouverture (voir notre article d'hier), la présidente de l'Union sociale pour l'habitat (USH) dénonce un "sentiment d'impuissance publique organisé par l'État", qui s'est retiré de l'aménagement, de l'ingénierie et du soutien aux collectivités locales.

Clément Beaune, commissaire au Plan et ancien ministre, a bien tenté de nuancer, admettant une "fâcheuse tendance à faire des ajustements sur quelques secteurs, dont le logement" dans les bouclages budgétaires annuels. Une tentative diplomatique immédiatement balayée par Emmanuelle Cosse. Refusant de laisser s'installer une "petite ambiguïté", elle a lancé une charge directe : "Je ne voudrais pas laisser entendre que quand j'étais au gouvernement, on faisait les mêmes ajustements que ce qui s'est fait en 2017." Elle a rappelé les ponctions financières inédites (baisse des APL, prélèvements sur Action Logement) et dénoncé une "politique de l'offre en matière de logement qui est un échec total".

Mis sur la défensive, l’ancien ministre d’Emmanuel Macron a essuyé une salve d’interventions sans ménagement, incarnant malgré lui le point focal d’un mécontentement largement partagé. Clément Beaune a contesté la vision d'"un moment de lumière, puis un moment d'ombre", affirmant que les difficultés existaient avant, tout en concédant une "part de responsabilité". Mais Cédric Van Styvendael, maire de Villeurbanne, a enfoncé le clou, laissant exploser sa colère : "Nous sommes face à un chef de l'exécutif qui court après deux mythes. Celui de la main invisible du marché et puis celui de la théorie du ruissellement. Pour le résultat que l’on connaît ! En politique, je considère qu'on a le droit de se tromper. Par contre, on n'a pas le droit de faire comme si on n'avait pas compris qu'il était en train de se passer quelque chose de dramatique pour les femmes et les hommes de ce pays !"

L'État financeur : entre rigueur budgétaire et choix politiques assumés

Le contexte financier est particulièrement tendu. L'économiste Éric Heyer, directeur de département à l’OFCE, a rappelé la trajectoire de rigueur qui s'annonce : "On sait, parce qu'on a des engagements européens, qu'il va falloir faire 120 milliards d'économies d'ici 2029." Dans ce cadre, peut-on espérer un retour de l'État financeur dans le logement ? À ce mur budgétaire, Christophe Robert, directeur général de la Fondation pour le logement des défavorisés, a opposé la brutalité de la réalité sociale. Les chiffres qu'il a égrenés sont glaçants : la demande de logement social a explosé (lire notre article) tandis que la production s'est effondrée de 124.000 en 2016 à 85.000 en 2024, "le pire résultat depuis 20 ans". Il a ajouté à ce tableau un taux de pauvreté record, des expulsions en hausse et un doublement des personnes à la rue en 10 ans.

Pour lui, le diagnostic est sans appel : cette situation résulte d'un "abandon de la politique du logement", un choix délibéré pour en faire "l'un des principaux contributeurs à la baisse des dépenses publiques". L'investissement dans ce secteur est pourtant un levier économique exceptionnel. Éric Heyer a souligné son effet multiplicateur : 1 euro investi dans la construction génère jusqu'à 2 euros d'activité en période de crise. Un argument renforcé par Emmanuelle Cosse, qui a rappelé que l'effondrement de la production a aussi provoqué une chute des rentrées de TVA pour l'État.

L'État régulateur : un arbitre dont la parole est mise en doute

Alors que la crise s'aggrave, les Français n'ont pas renoncé à l'État. Selon Adélaïde Zulfikarpasic, directrice générale du pôle société d’Ipsos-BVA, ils restent profondément attachés à son rôle de garant de la solidarité. Mais cette attente se heurte à une défiance croissante envers un État qui ne tient plus sa parole.

Cette rupture de confiance a été au cœur des interventions. Cédric Van Styvendael et Christophe Robert ont rappelé avoir coprésidé les travaux du Conseil national de la refondation (CNR) sur le logement, qui avaient abouti à un consensus de tous les acteurs, du Medef aux associations. Le résultat ? "Rien. Voilà. Et donc, c'est ça qui, à un moment, peut mettre en colère", a lâché le maire de Villeurbanne. Christophe Robert a ajouté l'exemple des 120 millions d'euros promis pour l'hébergement d'urgence, qui ont été "complètement oubliés", sapant la relation avec les acteurs de terrain.

Face à cette défiance, les citoyens se tournent massivement vers les maires, qui bénéficient d'un niveau de confiance très élevé. "Ce qu'on veut aujourd'hui, c'est simplement répondre à cette question de la construction d'un logement digne et abordable, et de la réhabilitation", a conclu Cédric Van Styvendael. "Quelle que soit la couleur politique des gouvernements, nous voulons avoir affaire à des gens qui donnent un tout petit peu de stabilité et de visibilité à 3-5 ans." Puis, adressant un regard appuyé à Clément Beaune, l’élu a reconnu toutefois "ne pas attendre grand-chose de la loi de finances 2026". En termes de soutien financier au secteur, l'attention se sera dès le lendemain matin portée sur les mesures d'ampleur annoncées par la Banque des Territoires (voir notre article de ce jour).

 

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