Communication - Création d'un site internet : le client n'a pas tous les droits !
Révélé par le site spécialisé dans les nouvelles technologies Legalis, un jugement de la cour d'appel de Grenoble du 6 juillet 2017 est à méditer par les directeurs de la communication qui envisagent de faire procéder à une refonte du site internet de leur institution. L'affaire concerne, certes, une entreprise privée, mais ses enseignements sur les limites du degré d'exigence vis-à-vis d'un prestataire internet sont de portée générale.
Au départ, un litige banal sur la réception d'un site internet
En l'occurrence, la société Sikirdji Gemfrance, spécialisée dans le commerce de pierres fines et précieuses, souhaitait améliorer son site internet et développer ses ventes en ligne. Elle confie donc cette mission à l'agence web DediServices, spécialisée notamment dans l'e-commerce. Le contrat est signé en juillet 2012, pour un montant de 26.742 euros TTC, avec un premier acompte de 10.697 euros. Mais, lors de la mise en ligne du site en février 2013, la société Sikirdji Gemfrance le considère comme non achevé et présentant de nombreux dysfonctionnements. Elle demande donc le remboursement de l'acompte, puis, devant l'échec de la mise en demeure, assigne DediServices en vue de la résolution du contrat et du remboursement de l'acompte.
Dans un jugement de novembre 2014, le tribunal de commerce de Grenoble juge recevable l'assignation demandée par Sikirdji Gemfrance, mais lui donne entièrement tort sur le fond et condamne cette dernière à payer à DediServices la somme de 16.045 euros au titre des factures impayées, avec application de pénalités de retard contractuelles, ainsi qu'à 10.000 euros de dommages et intérêts.
Vingt-quatre versions de la maquette de la page d'accueil...
Sikirdji Gemfrance saisit alors la cour d'appel de Grenoble en demandant l'annulation du jugement initial et en réclamant notamment 100.000 euros de dommages et intérêts. Elle fait valoir pour cela que DediServices "a manqué à son obligation de conseil, n'a pas respecté les délais et a manqué à son obligation de délivrance conforme".
Mais, dans son arrêt du 6 juillet 2017, la cour d'appel de Grenoble "confirme en toutes ses dispositions" le jugement contesté du tribunal de commerce et condamne la société Sikirdji Gemfrance aux dépens.
Tout l'intérêt de cette décision réside dans les attendus du jugement. Au vu des nombreux échanges de mails produits par DediServices, la cour d'appel relève en effet que cette dernière a "réalisé 24 versions de la maquette de la page d'accueil, soit à partir du 30 août et jusqu'au 27 octobre 2012, afin d'en obtenir la validation, y compris concernant le logo".
Les échanges de mails entre les parties démontrent également que la validation de la conception graphique est intervenue le 23 novembre 2012, alors que le premier projet a été présenté fin octobre 2012. De même, les délais de réalisation de la phase suivante ont été raisonnables, avec le développement du site et du back office le 4 décembre 2012, puis la livraison de la première version Beta test du site le 21 décembre 2012. L'arrêt indique qu'"à nouveau, les échanges de mails entre les parties versés aux débats démontrent les multiples demandes de modifications de la société appelante jusqu'au 31 janvier 2013".
Refuser de procéder à la recette revient à s'exposer
Enfin, le site ainsi réalisé par DediServices n'a pas fait l'objet d'une réception provisoire comme il était prévu par le contrat, réception qui aurait pourtant permis à Sikirdji Gemfrance "de faire état d'éventuels dysfonctionnements". Par ailleurs, cette dernière "ne justifie pas du bien fondé de son refus de réception provisoire du site à la date de sa mise en demeure, alors que cette réception avait justement pour objet d'obliger la société DediServices à faire toute modification au vu des éventuelles réserves mentionnées".
Dans ces conditions, la cour d'appel de Grenoble considère qu'"il est démontré que les retards quant à la réalisation du site en cause sont imputables à la société appelante compte tenu, et pour chacune des phases, de ses nombreuses demandes de modifications".
La société Sikirdji Gemfrance est donc non seulement redevable du paiement de toute la prestation, majorée des intérêts de retard, mais la cour d'appel - confirmant le jugement du tribunal de commerce - estime que "le temps de travail supplémentaire a nécessairement généré un coût supplémentaire à la charge de la société DediServices et par conséquent un préjudice qu'il convient de chiffrer à hauteur de la somme de 10.000 euros compte tenu des éléments dont dispose la cour, soit les différentes modifications dont elle justifie par les différents mails échangés entre les parties".
Références : cour d'appel de Grenoble, chambre commerciale, arrêt du 6 juillet 2017, Sikirdji Gemfrance c/ DediServices.