Décentralisation : les régions saisissent la balle au bond
Les régions saisissent la balle lancée par le Premier ministre pour une nouvelle étape de la décentralisation. Mais elles s'inquiètent des perspectives budgétaires qui pourraient marquer un arrêt brutal des investissements régionaux. Sur les premiers mois de l'année, la chute est de 14,8%, après cinq années fastes.

© M.T/ François Bonneau
"Dans ce moment de vacuité au niveau national, un intérêt très fort est porté aux collectivités territoriales." Les régions estiment le moment venu d’aller vers une nouvelle étape de la décentralisation, comme le souhaite le Premier ministre, Sébastien Lecornu (voir notre article). Mais il leur faut aussi des perspectives financières, alors que le projet de budget 2026, qui devrait être transmis jeudi pour avis au Haut Conseil des finances publiques (HCFP), fait craindre le pire.
D’accord pour clarifier les compétences, les régions françaises rappellent qu’elles restent des nains financiers par rapport à leurs voisines. "Le budget des 18 régions françaises est de 47 milliards d’euros, c’est à peu près l’équivalent du budget de l’Andalousie [46,7 milliards d’euros] et très inférieur au budget de la Bavière [75,4 milliards d’euros]", a relevé François Bonneau, vice-président de Régions de France, mercredi 1er octobre, lors de la présentation de l’édition 2025 des "chiffres clés des régions", fascicule édité en partenariat avec la Banque des Territoires. "La décentralisation dans notre pays, à l’évidence, n’a rien à voir" avec les pays voisins, "il y a une véritable étape à franchir", a-t-il plaidé, à quelques semaines du congrès des régions à Versailles où ces sujets seront brûlants. Car pour le président de la région Centre-Val de Loire, dix ans après la loi Notr, il y a un toujours un "embrouillamini, une confusion entre des responsabilités qui sont restées des responsabilités de l'État et des responsabilités qui sont venues aux collectivités territoriale".
"Osez la décentralisation en matière de développement économique"
Régions de France plaide notamment pour une clarification de l’orientation - pour laquelle les choses sont "encore d’une complexité totale", selon François Bonneau -, la gestion des fonds européens et pour une décentralisation complète des aides aux entreprises. "Osez la décentralisation en matière de développement économique", a lancé Sophie Gaugain, vice-présidente de la région Normandie chargée du développement économique et du soutien aux entreprises, alors que les régions sont un "élément de stabilité des interlocuteurs économiques face à l’instabilité nationale". Attention à la "petite musique et aux rapports malheureux qui viennent questionner les engagements publics au sein des entreprises (…) en mélangeant souvent les champs d’intervention", a-t-elle mis en garde, indiquant que 47% des soutiens régionaux se font sous forme d’avances remboursables, des "engagements gagnant-gagnant" assortis de "contreparties".
Dans un courrier du 25 septembre, la présidente de l'association Carole Delga et le président délégué Renaud Muselier proposent à Sébastien Lecornu un "pacte Etat-régions en faveur de la décentralisation" pour concrétiser ces différents aspects. "Nous vous confirmons ainsi que des propositions précises, et débattues au sein de nos instances, vous seront transmises d’ici le 31 octobre conformément à votre demande", précisent-ils.
Les revendications des régions étaient déjà exposées dans un "livre blanc" intitulé "Vers une République de la confiance", adressé aux candidats à la présidentielle en 2022. Depuis, rien n’a changé. Si ce n’est la situation budgétaire qui s’est aggravée et dont les régions ont largement fait les frais. Elles sont même le niveau de collectivité "le plus mis à contribution", avance l'association. Les régions supportent 21% de l’effort demandé aux collectivités en 2025 alors qu’elles ne représentent que 12% des recettes et 11% des dépenses de fonctionnement des collectivités. Un constat partagé par la Cour des comptes dans le second fascicule de la Cour des comptes de son rapport annuel consacré aux finances locales, publié le 30 septembre (voir notre article). Les régions rappellent, dans un communiqué, qu’elles "avaient indiqué dès le mois d’octobre 2024 qu’elles contribueraient au redressement des finances publiques", même si elles "ne sont pas responsables de la dérive" actuelle.
Un "saut quantitatif" de l'investissement depuis 2019
"Malgré cette confusion des rôles, les comptes sont bien tenus", a assuré François Bonneau. Les régions ne représentent que 2,4% des dépenses publiques et 1,14% de la dette, "en revanche, elles portent 13,3% des dépenses des collectivités et 20% de l’investissement local", a-t-il dit, contre 14% en 2019. Elles ont ainsi investi 15,1 milliards d'euros en 2024, soit 900 millions d'euros de plus qu'en 2023.
"Il y a un saut quantitatif très important depuis 2019, avec la période post-Covid, les régions ont été extrêmement présentes dans la relance, cet effort s’est poursuivi", en particulier sur les transports et mobilités et plus généralement des services directs à la population (lycées, formation…), a analysé Stéphane Perrin-Sarzier, vice-président de la région Bretagne chargé des finances. Les principaux postes de dépenses régionaux sont en effet les transports et la mobilité (31,5%), l’enseignement (16,8%), l’emploi et la formation professionnelle (9%), l’action économique (5,3%), devant l’aménagement du territoire, la culture ou la santé. Ce qui contredit l’idée que les régions se limitent à des "schémas" déconnectés de la proximité, a argué l’élu, appelant aussi à être "très vigilant" sur la question du millefeuille territorial.
Cet effort d’investissement "historique" a été réalisé dans un contexte où les recettes et l’épargne nette se sont taries. Mais l’avenir s’obscurcit, avec un recul de 14,8% de l’investissement régional depuis le début de l’année, selon la Cour des comptes.
"Conséquences mortifères sur le tissu économique local"
L’association alerte sur le fait que "toute nouvelle contribution disproportionnée" des régions "marquera un nouveau recul de leurs dépenses d’investissement en 2026 avec des conséquences mortifères sur le tissu économique local, sur le désenclavement de nos territoires et la décarbonation de nos modes de transport". Elle plaide pour une baisse de la contribution des collectivités de 5,3 milliards d'euros à 2 milliards d'euros en 2026. Ce à quoi le ministre de l'Aménagement du territoire démissionnaire, François Rebsamen, s’était montré ouvert.
Stéphane Perrin-Sarzier dénonce les "injonctions contradictoires" de l’État et met en garde contre un "retour en arrière" par rapport au "principal acquis de la fin du mandat de François Hollande" (à savoir la décision de remplacer la dotation globale de fonctionnement de l'État aux régions par une fraction équivalente de TVA).
"On voit bien aujourd’hui l’efficacité de l’investissement local, notamment des régions, cela doit aller de pair avec une clarification", a souligné le directeur de la Banque des Territoires, Antoine Saintoyant. Un effort soutenu par l’institution dont les interventions auprès des collectivités ont fortement augmenté ces deux dernières années. "On est sur des investissements absolument indispensables et une dynamique extrêmement positive", a-t-il ajouté, énumérant les transports (prêts à l’achat de matériel roulant, investissement dans les infrastructures), l’éducation (rénovation thermique des bâtiments et lycées), le développement économique (portail Foncier+), la santé et le grand âge. Le nouvel acte de décentralisation est "quelque chose qu’on voit très positivement", a-t-il affirmé.