Maîtrise des finances publiques : la Cour des comptes prône un effort "équitable" des collectivités
Alors que le projet de loi de finances pour 2026 estampillé par Sébastien Lecornu est attendu, la Cour des comptes pousse, dans un rapport publié ce 30 septembre, pour une participation durable des collectivités à la réduction de la dette et du déficit publics. Ceci sous la forme d'une modulation de l'ensemble des transferts financiers que l'État verse aux collectivités (dotations, fiscalité nationale…). Prenant en compte les spécificités de chaque catégorie de collectivités, la ponction serait "équitable", soulignent les magistrats. Ils chiffrent à 5,4 milliards d'euros la contribution des collectivités au "redressement des finances publiques" en 2025. Un montant jugé "élevé".
Alors que François Bayrou avait misé sur des économies de 5,3 milliards d'euros sur les collectivités en 2026 et dans l'attente des arbitrages de Sébastien Lecornu, son successeur à Matignon, la Cour des comptes juge qu'"il est indispensable de reconduire une contribution des collectivités" au redressement des finances publiques "au cours des années 2026 et suivantes". Cet effort doit être à la fois "prévisible, soutenable et équitable", souligne l'institution dans le deuxième fascicule de son rapport sur les finances publiques locales en 2025 qu'elle a publié ce 30 septembre – le premier fascicule était paru fin juin (voir notre article). Les magistrats font valoir, si besoin était, que la situation des finances publiques "dans leur ensemble" est "très dégradée".
Entérinant l'opposition de "la plupart" des collectivités à l'encadrement de leurs dépenses de fonctionnement – comme c'était le cas avec les contrats de Cahors entre 2018 et 2020 - la Cour privilégie, comme déjà depuis un bon moment (voir nos articles de juillet 2024 et octobre 2024), une stratégie de limitation des recettes des collectivités, en l'occurrence les transferts financiers octroyés par l'État. Et les magistrats déplorent comme dans de précédents rapports que moins d'un tiers de ces concours financiers puissent être aujourd'hui réellement encadrés par l'État : ce devrait être "la totalité", selon eux.
"Modulation" de l'ensemble des transferts financiers de l'État
Pour la Cour, la contribution des collectivités à la réduction du déficit public pourrait être "mise en œuvre par une modulation de l’évolution globale des transferts financiers de l’État aux collectivités". "Exprimée en montant et en pourcentage", celle-ci "serait soumise au vote du Parlement dans le cadre du projet de loi de programmation des finances publiques et actualisée dans le cadre du projet de loi de finances annuel". "Afin de tenir compte de l’hétérogénéité des situations des différentes catégories de collectivités" ("bloc communal", départements, régions), des "normes propres" à ces dernières seraient établies. "Au sein de chaque catégorie, la contribution serait répartie entre collectivités en fonction de critères objectifs de ressources et de charges", préconise la Cour.
"Cette préoccupation d’équité" devrait guider "plus largement" la répartition des ressources entre les collectivités, le risque étant, sinon, que de plus en plus de collectivités connaissent des difficultés financières ou soient obligées de "réduire" ou "renoncer à des actions essentielles", considère-t-elle. Cela pourrait conduire à renforcer et "améliorer l’efficacité" de la solidarité financière entre collectivités, indique-t-elle. La Rue Cambon recommande par ailleurs de répartir les recettes de TVA et la dotation forfaitaire (principale part de la dotation globale de fonctionnement) en fonction de données actualisées de ressources et de charges, et non en fonction de "données historiques".
Besoin de "prévisibilité"
Le gouvernement "partage l’objectif" de modulation de la contribution de chaque catégorie de collectivités en fonction de leur capacité à y contribuer, a répondu François Bayrou lorsqu'il était encore Premier ministre. Le gouvernement "a pris en compte cette réflexion dans la préparation du projet de loi de finances", notamment via le Dilico, précisait-il. Il ajoutait que, s'agissant de la DGF, la réforme préconisée par la Cour "est susceptible de générer de forts mouvements de redistribution". Il excluait donc une telle option.
Alors que les suites des différentes mesures prises pour réduire en 2025 les recettes des collectivités sont "incertaines", la Cour relaie la préoccupation des élus locaux concernant un besoin de "prévisibilité" en la matière et affirme la légitimité d'une telle demande.
Un effort de 5,4 milliards d'euros en 2025
La Cour des comptes évalue, dans son rapport, à 5,4 milliards d'euros la contribution des collectivités au "redressement des finances publiques" en 2025, un montant bien supérieur aux 2,2 milliards d'euros que mettait en avant le gouvernement Bayrou. Un effort que les magistrats jugent tour à tour "important" et "significatif".
Ils détaillent longuement la manière dont ils parviennent à ce total. La hausse des cotisations retraite dues par les employeurs territoriaux pour les fonctionnaires s'élève à 1,4 milliard d'euros. A cette ponction, il faut ajouter principalement le gel de la TVA (1,2 milliard d'euros), la réduction des compensations d'exonérations de fiscalité locale ("variables d'ajustement") pour près de 500 millions d'euros, mais aussi la baisse du fonds vert de 512 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) par rapport aux crédits disponibles en 2024 – qui ramènent ce dispositif de près de 1,6 milliard d'euros en 2024 à 1,086 milliard cette année). Les crédits de paiement (CP) affectés au fonds vert sont en revanche en augmentation de 433 millions d'euros en 2025, ceux-ci passant de 629 millions à 1.124 millions d'euros, relève la Cour. Elle évalue encore à 600 millions d'euros en AE et à 1,1 milliard d'euros en crédits de paiement (CP) la baisse des crédits destinés aux collectivités locales et provenant des autres missions budgétaires.
Entre enfin dans le décompte la mise en réserve ("Dilico") de 1 milliard d'euros de recettes fiscales prélevés en 2025 sur plus de 2.100 collectivités et intercommunalités et qui devraient leur être reversés à 90% au cours des trois prochaines années. La Cour est critique sur ce dispositif qui a été imaginé par le Sénat, jugeant que ses "effets" sont "incertains". Elle pointe en outre le fait que les prélèvements effectués dans ce cadre par l'État sur la TVA des régions (280 millions d'euros) et la TVA des départements (220 millions d'euros) n'est pas conforme aux dispositions de la loi de finances pour 2025. "Il conviendrait que ces prélèvements soient dotés d’une base juridique incontestable", en déduit-elle.
TVA : de surprise en surprise ?
A noter que le total de 5,4 milliards d'euros n'est pas définitif, puisque le montant des crédits disponibles du fonds vert "pourrait encore diminuer". 180 millions d'euros d’AE et 314 millions d'euros de CP "font actuellement l’objet d’un 'surgel'", précise la Rue Cambon. En concluant : "Il n'est pas exclu que tout ou partie de ces crédits soient annulés en fin de gestion". En outre, le gel de la TVA affectée aux collectivités pourrait aboutir à un résultat très différent de celui escompté par Bercy, à savoir une amélioration du solde budgétaire de l'État de 1,2 milliard d'euros. En effet, contre toute attente, les recettes de TVA ont diminué de 1,1% au cours du premier semestre 2025. Au total, si ces recettes "baissaient ou même stagnaient sur l’ensemble de l’année, les collectivités ne contribueraient pas [via la TVA] au redressement des finances publiques". Le gel décidé en loi de finances pour 2025 serait en définitive une mesure permettant de préserver la TVA des collectivités.
"L'effort d'objectivité" de la Cour sur le calcul de la contribution des collectivités à la maîtrise des finances publiques est salué par l'Association des petites villes de France (APVF) et ce même s’"il conviendrait", selon elle, d’ajouter "d'autres impacts indirects". De son côté, l'Association des maires de France (AMF) "note avec intérêt que la Cour qualifie de 'significative' la contribution des collectivités au redressement des finances publiques" en 2025. L'AMF avance cependant un total de "7,3 milliards d'euros", donc plus élevé que celui de la Cour. Ce résultat avait été établi dès la publication de la loi de finances pour 2025 par André Laignel, premier vice-président délégué de l'AMF. Et après la publication fin avril 2025 d'un décret d'annulation, le président du Comité des finances locales (CFL) avait relevé son chiffrage à "plus de 8 milliards d'euros".
Un besoin de financement qui pourrait être plus contenu que prévu
Selon la Cour, le besoin de financement des collectivités locales pourrait ne pas s'aggraver de 2,7 milliards d'euros par rapport à 2024, année où il avait atteint 11,4 milliards d'euros. La prévision inscrite dans le rapport sur les finances publiques que le gouvernement a transmis en avril à la Commission européenne pourrait ainsi ne pas se réaliser. En effet, certaines recettes locales - comme le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), la compensation de la réduction des bases des locaux industriels, ou les concours de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) - se révèlent dynamiques. Les départements et le bloc communal peuvent aussi compter sur le rebond des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), les premiers enregistrant une hausse de 15,5% de cette recette à fin août.
Dans le même temps, les dépenses de fonctionnement des collectivités connaissent "une forte décélération" et celles qui sont engagées en investissement sont en voie de "stabilisation" – du fait de la conjonction d'une moindre augmentation des investissements du bloc communal et d'une réduction de ceux des départements et des régions.
La stabilisation ou la réduction du solde négatif des collectivités locales serait une bonne nouvelle pour le gouvernement, qui vise un déficit public de 5,4% en 2025.