Archives

Aménagement numérique - Décollage des RIP : nuages persistants

Entre promesses d'une croissance plus rapide et incertitudes financières persistantes, le déploiement du très haut débit public en France reste traversé par des courants contraires. C'est du moins l'impression qui ressort des rencontres du Trip 2015, organisées fin novembre par l'Avicca et soutenues par la Caisse des Dépôts. Il y a beaucoup été question du déploiement des RIP, d'obstacles financiers, de risques tarifaires et des retards sur la validation du plan français à Bruxelles. Les collectivités y voient un risque de ralentissement qu'Axelle Lemaire s'est efforcée de minimiser, tout en apportant quelques gages.

L'année 2015 devrait s'achever sur une note positive en termes de marché. Les chiffres commentés à la tribune des rencontres du Trip 2015, organisées par l'Avicca (Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel) les 23 et 24 novembre à Paris, en attestent la portée symbolique : 1,3 million de prises FTTH (fibre jusqu'à l'abonné) ont été construites en un an et le nombre d'abonnés cumulé a franchi le cap du million pour un taux de pénétration qui frôle la barre des 25%, a ainsi égrené Patrick Vuitton, délégué générale de l'Avicca.
Les réseaux d'initiative publique (RIP) ne sont pas en reste. Le chiffre d'affaires consolidé des opérateurs s'élève à 427 millions d'euros (bilan à la mi-2015) sur les RIP dits de première génération, avec à la clé 25.000 entreprises et établissements publics déjà connectés. Sur l'autre facette grand public, on compte 707.000 prises FTTH déployées et 133.000 clients FTTH à la mi-2015 pour la nouvelle génération. Le mouvement devrait s'amplifier en 2016 avec des déploiements programmés sur 46 départements (33 RIP) parmi les 89 ayant déjà déposé un dossier au fonds national pour la société numérique (FSN). De tels chiffres traduisent une poussée incontestable des collectivité territoriales bien qu'elles soient plus nombreuses à s'interroger sur la capacité à suivre des autres partenaires, et tout particulièrement celle de l'Etat.

10 milliards d'investissements engagés pour 34 millions décaissés…

Sur la couverture mobile, la vente de la bande 700 MHz a permis de repréciser certaines obligations de couverture et devrait accélérer le déploiement du très haut débit mobile. La suppression des zones blanches (centres bourgs) devrait être effective d'ici fin 2016 et le gouvernement a également pris des engagements pour couvrir 800 sites à fort intérêt économique ou touristique. La couverture hors des centres bourgs restant pour l'instant une perspective.
Toutefois quelques sérieux grains de sable perturbent la mécanique enclenchée. A commencer par les lourdeurs administratives et l'inertie – parfois volontaire – des services de l'Etat qui conduisent à l'engorgement du guichet FSN et à des lenteurs de paiement. En effet, à ce jour l'Etat n'aurait décaissé que 34 millions d'euros sur le plan, soit beaucoup moins que les engagements de travaux pris par les collectivités territoriales. On saluera la performance qui consiste, avec quelques dizaines de millions d'euros, à déclencher 10 milliards d'investissements publics locaux. "L'opération semble moins séduisante si sont prises en compte toutes les collectivités qui risquent d'arrêter leur chantier si elles n'obtiennent pas, à temps, de nouvelles liquidités", fait remarquer Patrick Vuitton.
L'autre sujet attenant est celui de la fiscalité appliquée à la montée en débit. "Oublié" pour l'année 2015, ce dispositif devrait être rétabli et étendu pour les années à venir. Deux amendements ont été déposés et votés, avec le soutien du gouvernement, la semaine dernière au Sénat, et Axelle Lemaire a assuré, lors du Trip 2015, qu'elle veillerait à ce que l'Assemblée nationale se saisisse du sujet

Lignes directrices tarifaires : des hypothèses trop favorables aux grands opérateurs

L'ouverture des premières plaques FTTH, survenue dans le courant de cette année, donne plus d'acuité aux questions de commercialisation. Aussi, très vite, le gouvernement, relayé par les parlementaires, a mis l'accent sur les risques d'une politique tarifaire non régulée qui pourrait conduire à des pratiques de dumping préjudiciables à l'investissement que représentent les RIP. Le Parlement a donc confié à l'Arcep le soin d'élaborer des lignes directrices afin de permettre aux collectivités territoriales de définir des niveaux tarifaires appropriés.
Le projet mis en consultation par l'Arcep a rapidement donné lieu à une levée de boucliers de la part des collectivités territoriales et des acteurs impliqués dans l'écosystème des RIP notamment à propos de la location des offres activées dont le montant proposé se situe à un niveau jugé bien trop élevé (26 euros). Le sujet est particulièrement sensible car des tarifs élevés favorisent mécaniquement les grands opérateurs nationaux alors même que ces derniers tardent à s'installer sur les RIP. Pour développer une activité, les RIP doivent pouvoir se tourner vers les opérateurs de détail en leur offrant des services activés attractifs afin de leur permettre à leur tour de structurer des offres au client final.

L'Arcep devrait faire preuve de plus de souplesse

"Les RIP auront également besoin de ces opérateurs sur le long terme pour faire émerger des offres innovantes et éviter que le paysage des 30 prochaines années ne soit structuré autour des quatre nationaux", complète Patrick Vuitton. Sur ce point les associations d'élus, les associations professionnelles comme la Firip (Fédération des industriels des RIP), les opérateurs "alternatifs" positionnés sur les RIP, ainsi que des institutions comme la Caisse des Dépôts ont unanimement appelé à la baisse des tarifs, afin de créer des conditions plus favorables à l'émergence de dynamiques commerciales locales.
Sébastien Soriano, président de l'Arcep, dit avoir entendu le message. "Nous admettons que les chiffres sur la table sont inadaptés aussi nous allons modifier les paramètres de notre modèle pour intégrer des hypothèses plus ambitieuses", a-t-il assuré. A court terme l'Arcep devrait faire preuve de plus de souplesse "en reprenant une partie des hypothèses" proposées par les RIP. Le régulateur introduira une clause de revoyure d'ici 18 mois pour tirer un premier bilan. Au-delà, sur le plus long terme, lorsque les RIP auront consolidé leur modèle, le président de l'Arcep prévoit une analyse différenciée de la tarification.

Caisse des Dépôts : vers de nouveaux investissements

La Caisse des Dépôts a apporté plusieurs éclairages sur sa vision du marché et de sa structuration. Gabrielle Gauthey, directrice des investissements et du développement local, a d'abord rappelé l'attachement de la Caisse des Dépôts au modèle d'opérateur public "neutre et ouvert" et veut continuer à favoriser l'apparition d'une diversité d'opérateurs d'infrastructures et de détail, y compris sur la proximité. Un souhait de voir émerger de nouveaux acteurs, assez unanimement partagé par les territoires.
Revenant sur l'intervention financière de la Caisse des Dépôts - 180 millions d'euros déjà investis dont 32 millions pour la seule année 2015 - Gabrielle Gauthey fait un bilan prometteur : "Dans notre portefeuille d'investissement, les RIP demeurent l'un des plus rentables", affirme-t-elle. Sur la tarification, elle se montre très favorable aux solutions flexibles, soulignant que "certains réclament une régulation à cor et à cri. Nous exprimons nos réserves sur le principe d'une tarification trop prescriptive qui briderait les énergies et le dynamisme. Certes un encadrement peut se révéler dans certains cas nécessaire, mais à condition de ne pas perdre l'objectif final, d'attirer les opérateurs".
Dans cette perspective, la Caisse des Dépôts poursuivra son travail d'accompagnement des acteurs auprès du secteur bancaire, en développant des outils financiers spécifiques dans le cadre du plan Juncker. Objectif : abaisser le risque des établissements bancaires, afin de créer l'effet d'entraînement nécessaire à la levée d'emprunts pour les promoteurs des RIP. Par ailleurs, elle indique travailler très activement sur la mutualisation des infrastructures mobiles avec les opérateurs et se projette au-delà, sur des enjeux tels que celui de la smart city. "Nos villes ont besoin de réfléchir à des réseaux qui sortent des silos afin de libérer et fédérer les énergies", est convaincue Gabrielle Gauthey.

Bruxelles poursuit son instruction

La procédure d'instruction menée par la Commission européenne sur le financement de la montée en débit sur le réseau d'Orange, qui dans sa forme actuelle pourrait conduire à une requalification en aides d'Etat, n'est pas terminée et risque de donner lieu encore à des rebondissements. Il convient toutefois de relativiser, comme s'y est employé Patrick Chaize, lors de son allocution d'ouverture au Trip 2015, qui ironisait sur le sujet pour en rappeler l'incongruité. "Pendant qu'on tire de la fibre à Vonnas, on se demande à Bruxelles si le plan français respecte bien la neutralité technologique", a ainsi déclaré le président de l'Avicca, par ailleurs sénateur (LR) de l'Ain et maire de Vonnas.
Regrettant que cette affaire bloque les financements et ralentisse la machine industrielle du plan, l'élu a tiré la sonnette d'alarme auprès d'Axelle Lemaire sur les difficultés que rencontrent les collectivités, faisant valoir que "les collectivités territoriales ne peuvent plus assumer seules les risques financiers ni la trésorerie pour les travaux si bien que les ralentissements commencent à se faire sentir". Sur ce point, Axelle Lemaire a assuré : "Nous avons repris l'instruction des projets au rythme d'un comité d'engagement par mois ce qui a déjà permis de d'approuver un soutien à la région Nord-Pas-de-Calais de 181 millions." Reste que l'instruction du dossier français à Bruxelles se poursuit. Alors que le dénouement était attendu pour la fin de l'année, Antoine Darodes, directeur de l'Agence du numérique, a précisé que la validation du plan n'interviendrait pas avant la fin janvier ou début février 2016.

Au-delà des réseaux : les usages et les services aux citoyens et aux entreprises

Si le colloque a surtout été l'occasion d'évoquer le présent et les chantiers d'infrastructures, le futur n'échappe pas aux acteurs et la question des finalités - c'est-à-dire des usages et des services - des réseaux a également été posée. Dans l'air du temps, les territoires intelligents ont eu droit à leur focus. Ici, plus question de très haut débit mais bien de captation de la donnée, grâce au déploiement de réseaux radio longue distance "légers" (LPWAN) comme LoRa ou celui opéré par Sigfox. A l'image du réseau "LoRa Fabain" mis en œuvre par la métropole rennaise, ces réseaux peu coûteux permettent aux collectivités de connaître en profondeur leurs territoires grâce à la captation de données.
Autre enjeu, celui de l'industrialisation des expérimentations. Véritable appel lancé à l'avenir, la dernière table ronde portait sur l'essaimage, la standardisation et la mutualisation. L'idée : travailler en intelligence collective pour pérenniser et industrialiser les services expérimentaux déployés au sein des différentes collectivités afin d'en réduire les coûts et de diffuser les bons outils.