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Emploi des jeunes - Décrochage scolaire et Civis : les missions locales pointent un risque de concurrence

En 2011, les missions locales ont été chargées de suivre 20.000 décrocheurs scolaires. Au total, 58% des jeunes sortis du dispositif sont en emploi ou en formation. En 2013, l'accord a été prolongé et les missions locales doivent suivre 10.000 décrocheurs supplémentaires auxquels elles peuvent désormais proposer des emplois d'avenir.

Dans le cadre de l'Accord national interprofessionnel (ANI) du 7 avril 2011*, les missions locales ont été chargées de suivre 20.000 décrocheurs scolaires. Ce travail, qui se déroule en trois phases (diagnostic, accompagnement vers l'emploi et accompagnement en situation professionnelle), donne de bons résultats. L'objectif de ce programme est d'accompagner les jeunes sortis du système éducatif sans qualification ou sans diplôme (y compris ceux dont le contrat en alternance a été rompu) dans le but de leur faire acquérir les savoirs nécessaires à l'accès à l'emploi, les pré-requis de base. Il doit ensuite leur permettre d'accéder à une qualification, notamment par les formations en alternance et/ou la préparation opérationnelle à l'emploi.
Pour lancer le dispositif, les missions locales ont d'abord procédé à une première phase de diagnostic des situations auprès de 31.500 jeunes. "Parmi eux, 20.800, soit les deux tiers, sont entrés dans la deuxième phase, qui correspond à l'accompagnement vers l'emploi", explique Serge Kroichvili, délégué général de l'Union nationale des missions locales (UNML). Une partie de ces jeunes (1.650) ont été orientés en Contrat d'insertion dans la vie sociale (Civis) que proposent les missions locales. Cet autre dispositif s'adresse également à des jeunes de 16 à 25 ans qui rencontrent des difficultés particulières d'insertion professionnelle. Les titulaires d'un Civis sont accompagnés par un référent et se voient verser une allocation (maximum 1.800 euros par an). Les jeunes reçus dans le cadre du décrochage scolaire ne reçoivent quant à eux aucune indemnisation. Leur profil est pourtant identique au Civis : pour 98%, ils sont sans diplôme ; ils sont majoritairement mineurs (40% sont âgés de moins de 18 ans) et 62% d'entre eux habitent toujours chez leurs parents.

Deux dispositifs en concurrence

"Aujourd'hui, 11.100 décrocheurs sont toujours en accompagnement, souligne Serge Kroichvili, 9.700 sont sortis de l'accompagnement. Parmi eux, 5.600 sont en emploi ou en formation, soit 58%, c'est énorme !" En comparaison, depuis la création du Civis, dans l'ensemble, 48% des jeunes sont sortis vers un emploi, durable ou non, ou vers une formation. Ce chiffre s'est fortement dégradé en 2009 et 2010, pour atteindre 28% seulement…
Une petite partie des jeunes reçus dans le cadre du décrochage scolaire (1.900) ont en revanche abandonné le programme et seront réorientés vers d'autres dispositifs proposés par les missions locales. Mais "c'est peu, cela correspond seulement à 10% des personnes suivies, explique Serge Kroichvili, globalement c'est un bon travail qui a été réalisé par les missions locales".
Les missions locales, si elles considèrent le programme intéressant sur le fond, sont cependant plus sceptiques sur le fait de rajouter un dispositif, qui entre en concurrence avec un autre, en l'occurrence le Civis. "La difficulté avec ce programme, c'est qu'il est en concurrence avec le Civis qui, lui, est rémunéré, souligne Corinne Farenc, de la mission locale de Toulouse, on se demande à un moment donné à quoi ça sert !" Même écho à la mission locale d'Angoulême. "Cela crée une distorsion, explique Bernard Leroy, conseiller, il aurait mieux valu proposer un tel dispositif dans le cadre du Civis avec les mêmes droits pour tous et harmoniser le tout." La durée du programme relatif au décrochage scolaire est aussi plus courte que le Civis : un accompagnement de douze mois, plus six mois quand le jeune est en emploi, contre un accompagnement qui peut durer jusqu'au 26e anniversaire du jeune pour le Civis. "Pour ce type de jeunes, c'est un peu mission impossible !", souligne Bernard Leroy. Par ailleurs, le programme de l'ANI prévoit un financement au résultat, du coup "on est amené à proposer le programme à des jeunes dont on pense qu'ils pourront rapidement obtenir un emploi, cela réduit encore l'entonnoir", précise le conseiller de la mission locale d'Angoulême, qui s'est chargée de 89 jeunes dans ce cadre, dont 15 ont trouvé un emploi ou une formation.

10.000 jeunes supplémentaires

Autre difficulté pour les missions locales : l'accompagnement très lourd qui est imposé dans le cadre du décrochage scolaire. "C'est un suivi très rapproché, on voit les jeunes toutes les semaines au cours des trois premiers mois, ensuite tous les mois pendant douze mois maximum. Par la suite, on doit suivre le jeune en emploi pendant six mois", détaille Corinne Farenc.
Pour 2013, les missions locales vont devoir suivre 10.000 jeunes supplémentaires, avec un budget de 15 millions d'euros, qui s'ajouteront aux 30 millions d'euros qu'elles ont reçus pour les 20.000 premiers, issus du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP). Un avenant à l'ANI du 7 avril 2011 a en effet été signé le 20 décembre 2012 entre les partenaires sociaux, l'Etat, et les missions locales, prolongeant jusqu'au 30 juin 2013 l'accord. "On a terminé les effectifs prévus pour 2012, maintenant on va faire entrer les 10.000 jeunes supplémentaires", signale Serge Kroichvili.
Au total, le gouvernement espère réduire de moitié le nombre (140.000) de jeunes qui quittent chaque année le système scolaire sans qualification. Les missions locales participent aussi aux plateformes de coordination pour la prévention du décrochage scolaire mises en place pour identifier les élèves de plus de 16 ans qui ont quitté l'école sans diplôme. Ces plateformes mobilisent sur un territoire donné les responsables de l'Education nationale, de l'enseignement agricole, des centres de formation d'apprentis (CFA), du service public de l'emploi, du réseau d'information jeunesse, des collectivités et des missions locales. Et la réorganisation actuelle du réseau des missions locales, lancée par le gouvernement, ne risque pas de freiner l'élan, mais plutôt de l'encourager. "Il n'y a pas de difficulté avec cette réorganisation ; au contraire, il y a là la reconnaissance de l'Etat qu'il faut clarifier les responsabilités des différents acteurs présents au sein du réseau", assure Serge Kroichvili. Les emplois d'avenir, pour lesquels les missions locales jouent un rôle de premier plan, pourront offrir à ces jeunes décrocheurs une nouvelle planche de salut. C'est ce que prévoit le "guide de l'opérateur" des emplois d'avenir.

* Accord national interprofessionnel du 7 avril 2011 sur l'accompagnement des jeunes demandeurs d'emploi dans leur accès à l'emploi.