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Du producteur à l'assiette : un "dialogue citoyen" aux airs de pré-campagne

Traçabilité des produits, circuits courts, accords de libre-échange, pesticides… le commissaire en charge de la santé et de la sécurité alimentaire, Vytenis Andriukaitis, en première ligne sur tous ces sujets délicats, a pu en débattre avec les habitants de l’Aude, le 4 septembre, lors d’un "dialogue citoyen".

Le commissaire européen en charge de la santé et de la sécurité alimentaire, le Lituanien Vytenis Andriukaitis, était en visite dans l'Aude, mardi 4 septembre, pour participer à un "dialogue citoyen" à la chambre d'agriculture de Trèbes, au côté du président socialiste du conseil départemental, André Viola. Une séquence d’échanges avec les habitants de ce département rural et viticole sur le thème "Du producteur à l'assiette : produire et manger mieux, gaspiller moins". Mais cette visite a pris des accents parfois très politiques, à quelques mois des élections européennes de mai 2019, qui s’apparentent de plus en plus à un affrontement entre deux lignes incarnées par le président français, Emmanuel Macron, et le ministre de l’Intérieur italien, Matteo Salvini. L’Italie, qui a décidé de renoncer à la vaccination obligatoire, a ainsi été la cible du commissaire qui a dénoncé "les mouvements antivaccinations" et appelé à "réagir à ces tendances dangereuses". "C’est ça le nouveau Moyen-Âge (…). 300 enfants sont morts parce qu’ils n’ont pas été vaccinés contre la rougeole", a dénoncé cet ancien médecin.
La Commission souhaite un taux de vaccination de 95% contre cette maladie (soit le taux recommandé par l’OMS) et développer une carte électronique de vaccination qu’il faudrait avoir sur soi en cas de déplacement au sein de l’UE ou dans l’espace Schengen. Le commissaire s’en est pris plus largement aux campagnes de "désinformation" qui, selon lui, minent le débat public. "Au moindre incident, il faut trouver un coupable : la Commission", a-t-il déploré. 

Lobbies

Après les polémiques sur le glyphosate (principe actif du Roundup), Vytenis Andriukaitis s’est défendu d’être l’homme des lobbies. "Un million de signatures contre le glyphosate, ça aussi c’est l’expression d’un lobby", s’est-il défendu, alors que l’an dernier, l’UE a décidé de prolonger de cinq ans l’utilisation de ce pesticide. "On a des éléments scientifiques sur le sujet, il est très difficile de protéger la santé des plantes sans traitement", a-t-il argué. "Des militants très actifs, très bruyants ont lutté contre le glyphosate. Mais il y aussi des problèmes avec le cuivre. Qui veut interdire le cuivre ? (…) La vraie question c’est d’abord de trouver les moyens d’agir sur le terrain, et d’éviter la sur-utilisation des pesticides", a-t-il développé.
"Certains (lobbies) ont plus de moyens que d’autres, dans le débat public, cela me pose un problème", lui a rétorqué André Viola. "Je ne pense pas qu’un agriculteur soit suffisamment fou pour dire ‘je mets ma santé en l’air mais ce n’est pas grave’. Ce sont eux les premières victimes", a-t-il clamé, invitant à "mettre le paquet sur la recherche".
Pour appuyer son discours sur la nécessité de recourir à certains pesticides, le commissaire a cité le cas des Pouilles dont les oliviers pluri-centenaires sont depuis quelques années dévastés par une bactérie du nom de Xylella fastidiosa. Cependant, des scientifiques chargés de lutter contre cette bactérie ont été accusés, il y a deux ans, de l’avoir eux-mêmes propagée et d’avoir été soudoyés par des multinationales spécialisées dans les pesticides…
Comme exemple de méthode alternative aux pesticides, André Viola a cité la "confusion sexuelle" utilisée contre le "vers de la grappe" et désorienter les papillons dont les chenilles ravagent le raisin. Initiative que le département a décidé de soutenir. Sur 52.000 hectares de vignes, 10.000 sont déjà traités avec cette technique et le conseil départemental souhaite accélérer le mouvement en accompagnement les viticulteurs. 10.000 hectares supplémentaires ont pu être ainsi traités.

Néocotinoïdes

Interrogé par un apiculteur qui se plaignait de la concurrence déloyale exercée par ses confrères espagnols qui, de l’autre côté de la frontière, utiliseraient des pesticides interdits en France, le commissaire a rappelé que l’UE venait d’interdire (en avril 2018) "trois néocotinoïdes qui sont des menaces pour la production d’abeilles". "Ces interdictions vont s’appliquer dans les Vingt-Huit. Aucun État ne pourra permettre l’utilisation de ces néocotinoïdes. Mais les États membres peuvent décider sur la base d’une évaluation l’utilisation de pesticides précis", a-t-il concédé. En France, 5 néocotinoïdes sont interdits depuis le 1er septembre 2018.
Le commissaire a appelé à mettre en place des "plans intégrés de lutte contre les nuisibles" et s’en est remis à la directive européenne sur l’utilisation durable des pesticides de 2009 qui oblige chaque État membre à mettre en place un plan de réduction. En France, ce plan Écophyto n’a toujours pas obtenu les effets escomptés. Vytenis Andriukaitis a indiqué que la politique agricole commune (PAC) serait dotée d’un "instrument spécifique" pour aider les agriculteurs à réduire leurs intrants. La réduction des pesticides doit se faire à "un prix socialement acceptable", ce qui nécessite d’"impliquer tous les acteurs".
Concernant les épizooties, le commissaire a mis l’épidémie de fièvre porcine africaine - qui sévit en Europe de l’Est, en Russie et s'étend en Chine - sur le compte du "changement climatique". "Comment envisager des actions qui ne soit pas prises à l’échelle européenne ?", a-t-il déclaré. En 2014, en imposant un embargo sur le porc européen pour se prémunir contre ce virus, la Russie avait été accusée de protectionnisme.

Traçabilité

Autre gros sujet sur la table : les accords commerciaux, notamment celui en cours de négociation avec les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay). "Nos accords avec les pays tiers sont basés sur une seule idée, avoir des accords fondés sur des règles : c’est le libre-échange", a plaidé le commissaire. "Regardez tout ce que nous exportons. Si nous perdons la bataille aujourd’hui, ce sera très mauvais pour nous", a-t-il martelé. Seulement, comme l’a rappelé le préfet de l’Aude, les contrôles sont assurés par les pays d’origine. Et l’accord prévu avec le Mercosur - qui ouvrirait le marché européen à la viande sud-américaine - suscite beaucoup de craintes chez les producteurs français en termes de traçabilité, notamment suite au scandale de la viande avariée au Brésil survenu en 2017 dans lequel des exportateurs de viande ont été accusés d’avoir corrompu les inspecteurs des services d’hygiène. "Nous venons juste d’interdire la viande bovine (en provenance du Brésil) car la qualité n’y est pas. Nous avons interdit et carrément fermé certaines entités qui nous envoyaient du bœuf qui n’était pas aux normes européennes", a déclaré le commissaire. L’Union européenne a en effet décidé au printemps de radier 20 établissements brésiliens de la liste des entreprises autorisées à exporter en Europe.

Approvisionnement local

Concernant les circuits courts et l’approvisionnement local, le commissaire a affirmé que "l’Europe propose de changer les règles des marchés publics pour permettre aux collectivités locales d’agir, d’acheter de la nourriture directement pour les écoles, maternelles, primaires, de se fournir auprès des producteurs locaux". Des mesures qui, selon lui, sont intervenues "l’an dernier". André Viola a loué la plateforme numérique Agrilocal, qui met en relations les acheteurs de la restauration collective et les fournisseurs de produits agricoles. Elle est déjà déclinée dans une trentaine de départements.
Ce dialogue citoyen a aussi été l’occasion d’aborder la question du gaspillage alimentaire, soit un gâchis de 88 millions de tonnes en Europe chaque année, dont 10 en France. Et pourtant, "il existe 55 millions de personne qui ne peuvent se permettre de manger convenablement qu’un jour sur deux", a tancé le commissaire. La France, qui fait partie des pays qui gaspillent le moins (les champions du gaspillage étant les Pays-Bas) a déjà adopté une loi en 2016, une première en Europe (elle interdit notamment aux grandes surfaces de rendre leurs invendus impropres à la consommation). Le projet de loi Égalim qui revient à l’Assemblée le 12 septembre contient une nouvelle disposition en obligeant la restauration collective et l’industrie agroalimentaire à recourir aux dons.

 

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