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Aménagement numérique - D'une loi à l'autre, batailles parlementaires contre les zones blanches

Alors que les parlementaires poursuivent toute cette semaine l'examen de la loi Montagne, la question de l'aménagement numérique revient au devant de la scène. Face aux arguments des opérateurs, le législateur hésite à aller plus loin vers la contrainte à la mutualisation des infrastructures mobiles. Au moment où s'ouvre le congrès de l'Association nationale des élus de montagne (Anem), ce temps politique est aussi l'occasion pour l'exécutif d'avancer ses propositions pour une gouvernance plus partenariale en faveur de l'amélioration de la couverture mobile du territoire, avec une remise en cause encore feutrée de la fiabilité du statut de zone blanche.

La loi pour une République numérique avait consacré quelques avancées au service de la couverture mobile du territoire : un très léger coup de pouce financier en rendant les investissements des collectivités dans les pylônes mutualisés éligibles au fonds de compensation de la TVA, une meilleure transparence en instituant une cartographie open data de la couverture mobile supervisée par l'Arcep... Au menu également, un renforcement des pouvoirs de sanction du régulateur grâce à un relèvement du plafond des amendes : une mesure arrivée à point nommé, alors que l'Arcep avait infligé, le mois dernier, des sanctions pécuniaires envers les opérateurs mobiles. Cependant, la grogne des élus locaux persiste, notamment dans les territoires les plus enclavés. L'examen de la loi Montagne à l'Assemblée nationale, pour une adoption prévue mardi 18 octobre, constitue un nouveau support législatif pour emmener les opérateurs vers une couverture plus complète.

La loi Montagne pourrait aller plus loin vers la contrainte

Lors de la discussion de la loi Montagne mardi 11 octobre au Palais Bourbon, Jean-Michel Baylet a donné le ton de ce qu'il qualifie de "moment très sensible de ce projet de loi" : "Il faudra se montrer quelque peu directif", a-t-il concédé, pour inciter les opérateurs à plus d'implication dans les territoires montagnards. Pourtant, initialement, le projet de loi original était modeste sur le sujet numérique. Le chapitre 1 du titre II, qui lui est consacré, confine au famélique. Il comprend deux points : la prise en compte des "contraintes physiques" de la montagne par les décisions d'investissement public et l'encouragement des expérimentations en faveur d'un "mix technologique" pour l'amélioration de la couverture mobile. Ce sont les parlementaires, issus de tous bords, qui sont montés au créneau pour proposer des dispositions plus tranchées. Parmi les amendements adoptés, la priorité donnée à la montagne dans le plan de résorption des zones blanches, l'exemption d'imposition forfaitaire pour les entreprises de réseau (Ifer) sur les installations radio-électriques en montagne, la facilitation des procédures administratives d'autorisation de construction des antennes-relais... Au menu de l'internet fixe, la loi devrait aussi permettre aux collectivités de proposer des tarifs préférentiels aux opérateurs sur les RIP ; enfin, le volet services et usages des schémas départementaux d'aménagement numérique du territoire a été rendu obligatoire pour les territoires de montagne.

Les opérateurs temporisent

Un amendement va également dans le sens d'une invitation à mutualiser les antennes-relais ; cependant, le débat reste vif sur ce point. L'hémicycle a en effet été le cadre de nombreuses piques envers l'action supposée des "lobbys" des opérateurs, qui ôterait tout esprit de coercition à la puissance publique. Pourtant, tant du côté du gouvernement que des parlementaires, l'examen du projet de loi Montagne a été l'occasion de transmettre des avertissements assez nets envers les opérateurs : si aucune avancée n'est constatée sur la mutualisation avec la lecture du texte au Sénat, le législateur pourrait bien se montrer plus ferme.
C'est sans doute dans ce contexte qu'il faut accueillir la communication de la Fédération française des télécoms (FFT) autour de l'engagement des opérateurs pour la couverture mobile en montagne. A la suite d'une rencontre le 6 octobre avec Marie-Noëlle Battistel, secrétaire générale de l'Association nationale des élus de montagne (Anem), les opérateurs ont manifesté leur bienveillance pour la cause de ces territoires, en appelant à une simplification des règles d'urbanisme applicables aux équipements radio-électriques, tout en déployant leur argumentaire à l'encontre des solutions de mutualisation contrainte. Pour illustrer leur bonne volonté et éviter un coup de massue du législateur, ils inaugureront l'infrastructure mobile de Faucompierre (Vosges) en plein congrès de l'Anem, vendredi 14 octobre.

Côté gouvernement, "France Mobile" pour une meilleure interface entre collectivités et opérateurs

Du côté du gouvernement, Axelle Lemaire a annoncé le 11 octobre une série de mesures destinées à faciliter la remontée aux opérateurs des lacunes des couvertures mobiles signalées aux élus sur le terrain. France Mobile serait une "plateforme de collecte et de traitement des problèmes de couverture dans les zones rurales". Pour ce faire, les commissions régionales d'aménagement numérique du territoire (Crant), réunies autour du préfet de région et compétentes pour l'internet fixe, pourront désormais centraliser les plaintes des collectivités concernant la couverture mobile. Une instance-chapeau au niveau national, le comité de concertation France Mobile, pourra assurer le suivi des questions adressées aux opérateurs via les Crant. France Mobile se matérialiserait aussi par une plateforme en ligne, où chaque collectivité pourrait s'identifier et répertorier précisément les défaillances de couverture signalées par les administrés. L'intérêt de cet outil serait de permettre également le suivi des retours des opérateurs. Cette cartographie des lacunes permettra aussi de prioriser les investissements que l'Etat consentira dans ce qu'il appelle le "guichet des 1.300 sites", l'enveloppe dédiée aux pylônes mutualisés pour les territoires les plus reculés.
En instituant ce dispositif, le gouvernement relativise de facto le statut de zone blanche et les critères présidant à son attribution. France Mobile prend en effet en compte tous les dysfonctionnements, y compris ceux des zones "grises", ou même officiellement couvertes. C'est une avancée conséquente pour les élus locaux qui, par l'intermédiaire de leurs associations et d'initiatives locales osées (voir notre article sur l'appli Gigalis des Pays de la Loire), avaient élevé le ton face au "thermomètre cassé" des zones blanches. La démarche du gouvernement avait été évoquée par Axelle Lemaire lors de la conférence annuelle du plan France THD (voir notre article du 4 juillet 2016 ci-contre), et impulsée lors du comité interministériel à la ruralité de Privas, en mai dernier ; reste à voir si ces mesures plus concrètes contribueront à restaurer la confiance désormais très altérée entre acteurs locaux et opérateurs.