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Finances locales - Emprunts toxiques : une petite issue de secours

Les députés ont voté la création d'un "fonds de soutien" de 50 millions d'euros en faveur des collectivités mises en danger par les emprunts toxiques. Présentée par le gouvernement, la mesure sera financée à parts égales par l'Etat et les collectivités. Sur ce dossier des emprunts toxiques, la Fédération des villes moyennes appelle les collectivités à ne pas laisser passer le délai de cinq ans au-delà duquel elles ne peuvent plus agir en justice.

Le ministre de l'Economie avait annoncé le 8 novembre, à Dijon, la mise en place d'un "mécanisme spécifique d'aide" au profit des collectivités qui "connaissent de très graves difficultés financières" suite à la souscription de prêts "toxiques". Pierre Moscovici n'a pas attendu longtemps pour transformer cette annonce en mesure concrète. Le 3 décembre, dans le cadre de l'examen du collectif budgétaire de fin d'année, les députés ont, sur proposition du ministre délégué chargé du budget, voté la création d'un "fonds de soutien" de 50 millions d'euros aux collectivités concernées par les emprunts les plus dangereux.
Les députés ont découvert l'amendement gouvernemental deux heures avant le vote. Jean-Pierre Gorges, député-maire de Chartres (UMP), a évoqué le lendemain, lors d'une conférence de presse de la Fédération des villes moyennes (voir encadré ci-dessous), un amendement "tombé du ciel". "Personne n'était au courant", a-t-il déclaré.
Le fonds ne s'adressera pas à toutes les collectivités tombées dans le piège des emprunts toxiques (le gouvernement de François Fillon avait estimé le nombre de ces collectivités à environ 1.500). Il cible celles qui n'arrivent pas à financer seules, même par des efforts tant en recettes qu'en dépenses, les surcoûts liés à l'explosion des taux d'intérêt de leur dette.
Les collectivités intéressées devront déposer une demande auprès du préfet avant le 30 septembre 2013. Si la chambre régionale des comptes donne un avis favorable, la collectivité signera une convention avec l'Etat avant le 31 décembre 2013. Cette convention devra "notamment comporter le montant de la subvention et son échelonnement ainsi que le plan pluriannuel de retour à l'équilibre auquel s'engage la collectivité ou le groupement".
Une petite partie de ce fonds (5 millions d'euros) permettra d'allouer éventuellement aux collectivités et aux groupements de moins de 10.000 habitants une aide pour recourir à une expertise qui sera la bienvenue pour négocier avec les banques une sortie de la zone dangereuse.

Mettre à contribution les banques

Le fonds, qui sera géré par l'Agence de services et de paiement, sera financé pour moitié par l'Etat. 25 millions d'euros qui proviendront en fait... des banques. C'est en effet, explique le gouvernement, le doublement du taux de la taxe sur les transactions financières et de la taxe de risque systémique sur les banques décidé dans la loi de finances rectificative du 16 août 2012 qui va alimenter le fonds.
Les 25 millions d'euros restants seront payés par l'ensemble des collectivités territoriales - qu'elles aient ou non souscrit un emprunt toxique - via un "prélèvement exceptionnel en 2012" sur le produit des amendes de la police de la circulation.
Le fonds n'a pas vocation à être pérenne. Sinon, cela reviendrait à "exonérer de toute responsabilité certains établissements bancaires, alors même que de toute évidence ils ont fait défaut en matière de conseil auprès de leurs clients", a déclaré Jérôme Cahuzac. Le ministre a laissé entendre que l'année prochaine, lorsqu'un "bilan" aura été établi, il serait fait éventuellement appel à "la responsabilité" des banquiers.
Charles de Courson, député centriste et vice-président du Comité des finances locales, a estimé "choquant que l'on fasse appel à la solidarité nationale pour aider des collectivités locales qui ont 'fumé la moquette'". "Vous encouragez l'irresponsabilité de la gestion publique locale", s'est insurgé le député. Le rapporteur général du budget, Christian Eckert, s'est quant à lui interrogé sur le montant de 50 millions d'euros, probablement faible au regard des "besoins" exprimés par les collectivités touchées par les emprunts toxiques.
Jean-Pierre Gorges a, de son côté, dénoncé un "amendement pris dans la précipitation", "peut-être sous la pression de certains élus qui ont peur de ne pas parvenir à l'équilibre budgétaire de leur collectivité". Lors de la conférence de presse organisée par les maires de villes moyennes, il a dénoncé une mesure "dangereuse" incitant les collectivités à reconnaître une "erreur" de leur part. Celui qui fut le rapporteur de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les emprunts structurés a aussi révélé que, "depuis quelques semaines", il a "remis en circulation" la proposition de loi qu'il avait déposée en février dernier avec Claude Bartolone, alors président de cette commission. Ce texte prévoit d'accompagner un "cantonnement" des emprunts structurés souscrits par les collectivités, en fonction de leur nature (lire notre article du 23 février 2012).

Thomas Beurey / Projets publics

Actions en justice : la fenêtre est étroite, préviennent les villes moyennes
Christian Pierret, président de la Fédération des villes moyennes (FVM), s'est félicité ce 4 décembre du vote par l'Assemblée nationale de la création du fonds de 50 millions d'euros destiné à venir en aide aux collectivités fragilisées par les emprunts toxiques.
Lors d'une conférence de presse prévue depuis plusieurs jours, le maire de Saint-Dié a par ailleurs attiré l'attention sur le délai de cinq ans pendant lequel les collectivités ont la possibilité d'agir en justice. La fédération encourage les élus à engager des négociations avec les banques sur les emprunts toxiques. Mais "si on prend trop de temps, on arrive au terme des cinq ans", a signalé Christian Pierret. C'est pourquoi, en présence de plusieurs maires, il a appelé les communes à arrêter le chronomètre. La solution consiste à formuler des recours contentieux à titre conservatoire. "On souhaite négocier, mais pour cela il ne faut pas être en position de faiblesse", a souligné Christian Pierret. Certaines villes ont déjà agi en justice, comme Angoulême dont le maire Philippe Lavaud (PS) était présent. Toutes tailles et catégories confondues, environ 70 collectivités ont déjà saisi la justice pour un ou des emprunts structurés, d'après l'association Acteurs publics contre les emprunts toxiques.
Au-delà, la FVM (qui regroupe les villes de 20.000 à 100.000 habitants et leurs intercommunalités) réclame "une structure de défaisance" recueillant les produits toxiques et faisant jouer "la solidarité nationale".
Sur un panel de 96 villes moyennes ou communautés interrogées par la FVM, 34 collectivités ont des emprunts structurés, mais estiment avoir le contrôle de la situation. 30 collectivités ont des difficultés réelles liées à la présence dans leur dette de produits nocifs.
De nombreux prêts structurés souscrits en 2007 ou 2008 arrivent au terme de la période bonifiée et deviennent potentiellement dangereux, ont indiqué les élus locaux.