Frères musulmans et islamisme politique : les collectivités, là encore, "en première ligne"
Le déclassifié et désormais très médiatique rapport sur les Frères musulmans et l'islamisme politique en France dresse, comme d'autres précédemment, le constat d'une "islamisation par le bas" du territoire. Ses auteurs soulignent que les élus locaux sont "en première ligne" dans ce combat… quand ils ne la franchissent pas. Ils se font graves sur les risques que fait peser cet "islamisme municipal" sur la cohésion nationale et alertent à court terme sur la menace "de territoires confisqués".

© Capture vidéo Sénat/ Bruno Retailleau au Sénat le 21 mai
Si l'on a coutume de dire que le poisson pourrit par la tête, c'est "par le bas" que l'islamisme "fait peser le risque d'une atteinte au tissu associatif et aux institutions républicaines – collectivités territoriales au premier chef – et plus largement à la cohésion nationale", prévient le rapport "Frères musulmans et islamisme politique en France" qui vient d'être présenté et discuté, ce 21 mai, en Conseil de défense. Ses auteurs estiment en effet que si "aucun document récent ne démontre la volonté de musulmans de France d'établir un État islamique en France ou d'y faire appliquer la charî'a, les éléments recueillis accréditent cependant l'existence d'une menace pour la cohésion nationale présentée par la montée de l'islamisme municipal, dans lequel la mouvance frériste a une responsabilité historique et actuelle". Une mouvance s'inscrivant ainsi dans les pas des premiers Frères musulmans qui, il y a un siècle, en Égypte, recherchaient "l'avènement d'un système de gouvernement islamiste, qui résultera[it] de l'islamisation pacifique d'une majorité de la population".
Expansion via de "grands écosystèmes locaux", affectant différemment le territoire
"La diffusion de l'islamisme résulte aujourd'hui principalement d'un activisme militant ancré au plan municipal", martèlent les auteurs, avec le relais de différents acteurs : "associations, influenceurs, à l'occasion élus". Elle se fait notamment via "de grands écosystèmes locaux […], permettant d'encadrer la vie du musulman de sa naissance à sa mort", et "généralement constitués autour d'une mosquée". Le rapport relève qu'ils ont pris "racine dans des quartiers à majorité musulmane généralement paupérisés, le plus souvent territoires prioritaires de la politique de la ville", en "répondant à des besoins de la population". Géographiquement, ils apparaissent "plus denses" en région Rhône-Alpes (avec "un activisme associatif tous azimuts"), dans le Nord ("un écosytème abouti"), le Grand Est, en Île-de-France et dans les Bouches-du-Rhône, les agglomérations de Lille, Lyon et Marseille accueillant "les plus anciens et les plus importants d'entre eux".
Les acteurs associatifs prioritairement visés, puis les élus…
Les acteurs associatifs sont ainsi "les premiers investis par les menées islamistes", singulièrement les "activités de jeunesse, priorité de la mouvance" : via les écoles coraniques (815 recensées début 2014, dont "plus d'un tiers évoluent dans un courant fondamentaliste de l'islam, dont 114 rattachées à la mouvance frériste") et les associations sportives – football, basket et sports de combat étant particulièrement ciblés. Suivent les municipalités, avec lesquelles les responsables des écosystèmes locaux précités, "souvent des militants aguerris, entrent en interaction, le plus souvent dans le cadre d'une relation clientéliste, pour faire progresser leurs positions". Le rapport souligne que les élus locaux sont ainsi "en première ligne face à [c]es acteurs associatifs et autres influenceurs". Lesquels rencontrent alors un terrain plus ou moins favorable, le rapport dépeignant "une gradation allant de la posture laïque à l'entrisme des services municipaux, en passant par une gestion électoraliste de la communauté musulmane". Dans le détail, le rapport prend par exemple de la ville phocéenne, "où s'est développé, à partir des années 1990, un 'islam municipal', à l'initiative d'élus locaux", ou encore la ville de Colombes (92), où "le directeur du cabinet du maire est également le secrétaire général de l'association culturelle gestionnaire de la salle de prière rigoriste". Parmi d'autres (lire notre article du 10 février 2020 ou l'entretien avec Michel Gandilhon du 13 mai 2024).
… et bientôt les communes elles-mêmes ?
"Sans recourir, à ce stade, à la constitution de listes communautaires, [les islamistes] exercent une pression croissante, parfois violente, auprès des exécutifs locaux à la faveur d'une stratégie de rapprochement engagée dès les années 1990", instaurant "un rapport de force électoral", observent les auteurs, en soulignant que "si l'investissement en politique de la mouvance au plan national apparaît limité […], les membres investissent fortement l'échelon local". Ils estiment d'ailleurs que "l'augmentation importante de l'influence municipale gagnée ces dernières années par les islamistes laisse présager, quand ce n'est pas déjà le cas, le passage d'une gestion électorale de la communauté, au moyen duquel certains élus locaux consolidaient leur base électorale contre avantages, à des alliances plus étroites, pouvant notamment comprendre l'incorporation d'islamistes à des positions importantes sur les listes électorales ou dans les cabinets d'élus". Un pas déjà franchi lors des dernières élections municipales, ce qui avait d'ailleurs conduit l'actuel ministre de l'Intérieur, alors sénateur, à déposer à l'époque deux propositions de loi visant à interdire les listes communautaristes d'une part, à garantir la prééminence des lois de la République d'autre part (lire notre entretien du 10 février 2020). Non sans envisager l'étape suivante : "Certains spécialistes consultés considèrent que d'ici une dizaine d'années, certaines municipalités seront à la main d'islamistes à l'image de la Belgique, où au moins cinq communes de l'agglomération bruxelloise […] présentent les caractéristiques de territoires confisqués, où le contrôle social des islamistes sur la population apparaît presque complet". Une alerte qu'avait déjà lancée, parmi d'autres, la commission d'enquête sénatoriale sur la radicalisation islamiste en 2020 (lire notre article du 9 juillet 2020).
Quelles solutions ?
Pour entraver l'essor du phénomène, les auteurs du rapport invitent singulièrement à "susciter une prise de conscience des effets de l'islamisme en France". Ce qui passe notamment selon eux par "mieux définir la menace", rejetant notamment la notion de "séparatisme" promue par le président Macron (lire notre article du 2 octobre 2020 et celui du 18 décembre 2020), "qui ne rend pas suffisamment compte du caractère subversif et subtil du projet porté par les Frères musulmans, qui vise à œuvrer au long cours en vue d'obtenir progressivement des modifications des règles locales ou nationales s'appliquant à la population, au premier chef le régime juridique de la laïcité et l'égalité entre les hommes et les femmes".
Il leur apparait également "essentiel de renforcer la formation générale des décideurs publics sur les enjeux de laïcité, la connaissance des cultes et de l'Islam en particulier, ainsi que sur les ressorts et les manifestations du séparatisme (sic)", en jugeant au passage que "la responsabilité de la formation en matière d'islam d'une part et de radicalisation, d'autre part, est trop dispersée dans l'appareil d'État".
Par ailleurs, ils soulignent la nécessité de "lutter contre le sentiment de rejet qui irrigue les familles de confession musulmane", ce qui "requiert l'envoi de signaux forts, attestant de la considération à leur endroit et d'une prise en compte de leurs aspirations". Parmi elles, le rapport met en exergue la révision de la réglementation funéraire – "Il est très mal compris que le regroupement confessionnel des sépultures soit soumis à des aléas territoriaux et au bon vouloir des maires" –, l'apprentissage de l'arabe – en préconisant dans ce domaine "d'achever de se défaire […] des risques d'ingérence étrangère", dans la continuité du discours présidentiel de Mulhouse (lire notre article du 19 février 2020) – ou encore "la reconnaissance par la France d'un État palestinien aux côtés d'Israël dans des frontières sûres et reconnues".
Ils évoquent enfin, "dans la continuité de ce qui a été entrepris en matière de lutte contre le séparatisme depuis 2020" – loi au bilan mitigé, selon un rapport récent (lire notre article du 17 janvier) – à "une action de terrain résolue et de longue haleine".