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Les élus "démunis face à la pression de mouvances religieuses radicales", constate le Sénat

Des écoles hors contrats aux associations, en passant par les clubs sportifs : l'islam politique progresse en France, alerte le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur la radicalisation islamiste. Il avance 44 propositions pour y faire face, avec notamment un soutien accru aux maires. "La République a laissé ses élus seuls", s'insurge la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio.

"Cette petite toile d’araignée se tisse." La sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio (LR, Val-d’Oise), a alerté sur la progression de l'islam politique en France en présentant, jeudi 9 juillet, le rapport de la commission d’enquête "sur les réponses apportées par les autorités publiques au développement de la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre". L’occasion pour l’élue du Val-d’Oise, rapporteure de la commission d’enquête, de dresser un premier bilan des élections municipales dont la crise du Covid a remisé au second plan les enjeux communautaristes qui s’étaient faits jours cet hiver. Goussainville a désormais pour maire "quelqu’un qui interroge les services de renseignement", a-t-elle relayé. À Garges-lès-Gonesse, ville de 60.000 habitants, "il s’en est fallu de 127 voix pour que la commune ne tombe dans l’escarcelle de quelqu’un qui a créé le CCIF (Collectif contre l'islamophobie en France, ndlr)". À Strasbourg, le "hidjab a fait son entrée au conseil municipal". "Si ce n’est pas de l’entrisme, c’est quoi ?" Enfin, à Lyon, ce n’est pas un hasard, selon elle, si, au lendemain des élections, des revendications ont été formulées "sur les tenues dans les salles de sport". "Cela a commencé avec ces élections", mais "on aura de grandes surprises dans six ans" si rien n'est fait, a-t-elle averti. Le problème ne vient pas des listes communautaristes - faciles à contrer d’après elle - mais de "l’entrisme". "On ne vient pas pour défendre un projet pour la ville, mais au nom d’une communauté."

Fruit de près de 70 auditions menées depuis novembre (voir nos articles ci-dessous), ce rapport cherche à comprendre les ressorts de la radicalisation islamiste, définie comme "la volonté de faire prévaloir sur le territoire une norme prétendue religieuse sur les lois de la République". Les élections ne sont que l’aboutissement d’un processus qui, loin de l’image de "l’islam des caves", avance à visage découvert et passe par les salles de prières, les associations, les écoles hors contrat, les clubs sportifs… Jusqu’à la constitution d’"écosystèmes", terme qu’elle emprunte à Bernard Rougier (Les territoires conquis de l’islamisme, PUF, 2020), auditionné par la commission en décembre. Plusieurs organisations sont à la manœuvre : le Tabligh, les salafistes, les Frères musulmans… Le rapport cible aussi le CCIF – qui pratiquerait la "stratégie de la victimisation" – ou les Musulmans de France (ex-UOIF).

Toutes les régions touchées, hormis l'ouest

"Aujourd'hui en France, en dehors de l'ouest, toutes les régions sont touchées par ce phénomène." "Si nous ne posons pas aujourd’hui la réalité de ce que nous subissons, nous ne pourrons pas faire machine arrière. Dans quelques années, nous aurons des morceaux de la République qui fonctionneront avec leur propre code", prédit encore la sénatrice, appelant à "agir vite". Elle étrille au passage la politique de la ville : "On ne s’est pas posé une question essentielle : la politique de peuplement. On a concentré des populations qui cumulent des difficultés."

La sénatrice constate une prise de conscience (même tardive), au plus haut – avec la mise en garde du président de la République contre le "séparatisme islamiste" le 18 février à Mulhouse – mais dont les effets tardent à se concrétiser. Comme l’a rappelé la sénatrice, des instructions avaient été données aux préfets dès le mois de novembre 2019, appelant à intensifier les contrôles, avec le concours des maires, juste après la nomination de Frédéric Rose à la tête du Comité interministériel à la prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR). Cette politique est coordonnée par le CIPDR et a vu la création de cellules départementales de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire (Clir). Or ces instructions "n’ont pas été franchement mises en œuvre", déplore Jacqueline Eustache-Brinio. L’échange assez vif qu’elle a eu sur le sujet avec le nouveau ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin au Sénat, mercredi – ce dernier appelant à ne pas tomber dans la caricature –, la laisse sceptique. "Ce n’est pas sûr qu’on ait gagné au change", a-t-elle lâché.

Regrettant l’absence de cap clair, la commission avance 44 propositions, reposant largement sur les collectivités locales. Les élus sont "souvent démunis face à la pression de mouvances religieuses radicales", constate le rapport, qui n’élude cependant pas les "ambiguïtés" de certains, le "clientélisme" ou les "politiques d’accommodement"... Seulement "la République a laissé ses élus seuls", s'insurge l'ancienne élue de Saint-Gratien (Val d'Oise). Le rapport préconise de "renforcer le dialogue entre les services déconcentrés de l’État et les élus", notamment en améliorant l’association des maires aux Clir, mais aussi de "garantir un accompagnement renforcé", avec un "plan de formation des élus", sous le pilotage du CIPDR et avec l’assistance du CNFPT. Le rapport en profite pour demander un état des lieux précis de l’action des Clir. "Les élus doivent avoir une formation sur ces sujets, de manière à comprendre comment cet entrisme s’installe", plaide la sénatrice.

"Contrôles inopinés"

Le rapport attache beaucoup d’importance aux associations et propose des "contrôles inopinés", assortis d’une procédure de suspension de leurs activités, sur le modèle de ce qui se fait pour les clubs de supporters en matière d’hooliganisme. Autre mesure : donner la possibilité au maire ou au préfet de demander le remboursement des subventions en cas de non-respect de la "charte des engagements réciproques" de 2014, en inscrivant dans cette charte de manière explicite "le respect des valeurs de la République et de la laïcité". "Donner ce pouvoir au préfet – y compris contre la volonté de l’exécutif local – permettrait de soulager certains élus locaux soumis à une forte pression", argue le rapport.

Sceptique sur le rôle de l'État dans l'organisation de l’islam de France, le rapport prône une actualisation de la police des cultes, le rétablissement de la Miviludes, l’interdiction administrative de territoire à l’encontre des idéologues des Frères musulmans, le renforcement du renseignement territorial – qui a failli dans la récente affaire de Dijon finalement résolue par l’intervention de deux imams. Il demande un contrôle accru des écoles hors contrats et de l'instruction à domicile. À rebours complet de l’ancienne ministre des Sports, le rapport voit le sport comme un "vecteur de radicalisation" et préconise d’intégrer dans les statuts des fédérations sportives la référence à l’article 50 de la Charte olympique interdisant la propagande politique, religieuse ou raciale. Pour Jacqueline Eustache-Brinio, "la laïcité ne doit pas être adjectivée, elle n’est ni ouverte, ni accommodante".