Harcèlement scolaire : la justice face à la réalité de l'école

Deux ans après la loi créant le délit de harcèlement scolaire, les ministères de l'Éducation nationale et de la Justice publient des statistiques inédites. Elles font état de moindres sanctions dans le cadre scolaire mais d'une explosion des dépôts de plainte. 

Alors que se tient jeudi 6 novembre 2025 la Journée nationale de lutte contre le harcèlement à l'école, le ministère de la Justice publie une étude intitulée "Le harcèlement scolaire, de l'école à la justice". Élaborée à partir de sources émanant des services statistiques des ministères de l'Éducation nationale et de la Justice, elle apporte un double éclairage inédit, tant sur les élèves auteurs de harcèlement scolaire que sur le traitement judiciaire de ces affaires.

Premier enseignement de l'étude : alors que parmi les 36.000 élèves ayant répondu fin 2024 au questionnaire d'autoévaluation, 3% des écoliers et lycéens et 5% des collégiens se déclaraient en situation de harcèlement, moins d'un incident grave signalé pour mille élèves en 2023-2024 dans le cadre de l'enquête Système d'information et de vigilance sur la sécurité scolaire (Sivis) menée auprès des chefs d'établissements et directeurs d'écoles relève du harcèlement.

Les filles surreprésentées 

Autre enseignement de l'enquête Sivis : rapportés au nombre d'élèves, les faits de harcèlement sont plus fréquents dans les collèges et les lycées que dans les écoles. Surtout, elle traduit l'étendue d'un phénomène dont l'analyse démontre que ses auteurs se "recrutent" au-delà des habituels fauteurs de troubles à l'école. En effet, alors que les garçons âgés de 13 à 15 ans sont à l'origine de 43% de l'ensemble des incidents signalés, ils n'ont commis que 38% des actes de harcèlement. Cela signifie que les moins de 13 ans et les plus de 15 ans sont plus impliqués dans des actes de harcèlement que dans les autres actes signalés. Idem pour les filles. Si les garçons sont nettement majoritaires parmi les auteurs d'actes de harcèlement (61% des actes signalés), les filles sont surreprésentées dans ces mêmes actes, puisqu'elles en commettent 26%, alors qu'elles ne sont à l'origine que de 17% de l'ensemble des faits signalés. Par ailleurs, sur le volet judiciaire, les filles représentent 32% des mis en cause devant la justice chez les moins de 13 ans mais 40% chez les 16 ans et plus.

Moins de sanctions de l'institution scolaire

Le traitement disciplinaire réservé aux actes de harcèlement diffère aussi de celui des autres incidents. Ainsi, les incidents commis dans le cadre d'un harcèlement conduisent ou peuvent conduire moins fréquemment à un conseil de discipline ou à une commission éducative (38% contre 45% pour les autres incidents). Il en va de même pour les sanctions : une exclusion de l'élève, temporaire ou définitive, est décidée ou envisagée dans 53% des cas de harcèlement, contre 67% pour les autres types d'incidents graves. Les procédures lancées et les sanctions appliquées aux faits de harcèlement dans le cadre scolaire se révèlent donc moins fréquentes que pour l'ensemble des incidents graves. Et cela alors que "plusieurs centaines d'enfants ont été changés d'école 'd'office' parce qu'ils faisaient peser une menace sur la sécurité de leurs camarades", selon Édouard Geffray, interrogé le 5 novembre sur RTL.

Des plaintes en hausse de 1.151%

Côté judiciaire, la loi du 2 mars 2022, créant le délit de harcèlement scolaire, a conduit à une forte progression des plaintes. Depuis mars 2022, plus de 10.000 affaires de harcèlement scolaire ont été enregistrées par les parquets : 530 en 2022, 3.500 en 2023 puis 6.100 en 2024, soit +1.151% en deux ans. "Cette progression, commentent les auteurs de l'étude, s'apparente plus à la fois à une prise de conscience accrue et à une judiciarisation plus importante des faits de harcèlement scolaire qu'à une réelle augmentation du phénomène sur la période."

En outre, parmi les 10.468 personnes mises en cause devant la justice entre mars 2022 et décembre 2024, seules 48,5% ont été effectivement poursuivies – dans 75% des cas de non-poursuite, l'infraction était en effet "insuffisamment caractérisée". Dans l'immense majorité des cas (88,2%), les poursuites ont débouché sur des "procédures alternatives réussies" (rappels à la loi, stages de sensibilisation, médiation, etc.), tandis que 11,8% se concluaient par des poursuites, devant une juridiction pour mineurs dans près de neuf cas sur dix. Enfin, sur 570 personnes poursuivies pour au moins une infraction de harcèlement scolaire, 370 mis en cause ont été jugés en première instance et 240 condamnés. Face à ces chiffres, le ministre de l'Éducation nationale Édouard Geffray a estimé que l'on était sur un "phénomène massif" qu'il n'y avait "pas besoin de durcir le cadre pénal" car "nous avons maintenant un arsenal qui permet à la fois de prévenir et détecter mais aussi de sanctionner".

 

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