Investissements climat des collectivités : les municipales doivent enclencher un changement d’échelle au risque d’un décrochage

Les investissements climat des collectivités territoriales ont augmenté de 42% depuis 2017, mais cette dynamique risque de marquer le pas, selon les dernières analyses publiées, ce 14 novembre, par l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE), qui invite à un "changement d’échelle" à l’occasion du prochain mandat municipal. Pour atteindre les objectifs de la planification écologique, l’étude chiffre l'effort supplémentaire à 19 milliards d’euros par an à horizon 2030, soit un peu plus du double de ce que les collectivités investissent actuellement dans la décarbonation des bâtiments, des transports et de l’énergie. Pour les aider dans cette démarche, I4CE a co-construit une méthode avec des collectivités pilotes  "les PPI alignées climat".

Le nouveau panorama des investissements des collectivités territoriales en faveur du climat dévoilé par l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE), ce 14 novembre, à la veille du Congrès des maires, confirme une nette progression depuis 2017 (+42% en valeur et +18% en volume) pour atteindre près de 8 milliards d’euros en 2023. Cette dynamique nuancée par "un effet de prix important" en raison d’une inflation globale élevée risque toutefois de "marquer le pas en 2024" faisant du prochain mandat municipal un tournant décisif pour atteindre les objectifs climat que la France s’est fixés à l’horizon 2030. 

Les dernières données font ressortir  "un risque de décrochage" des investissements dédiés à la décarbonation dans les budgets locaux porteurs jusqu'ici des deux tiers de l’investissement public civil. Les investissements pour l’année 2023 ont augmenté de seulement 5%  (moins que l’augmentation de 12% observée entre 2021 et 2022). Et la majeure partie de cette augmentation est due à une hausse du coût des matériaux et de l'énergie, et non à une augmentation de travaux réalisés ou d’équipements acquis. 

En 2023, les collectivités ont continué d’augmenter leur effort d’investissement dans l’efficacité énergétique de l’éclairage public, l’acquisition de véhicules bas-carbone et les infrastructures de transports collectifs. En revanche, les investissements dans la rénovation énergétique des bâtiments ont stagné et ceux dans les infrastructures cyclables ont diminué de 10 %. Or, "ce ralentissement est susceptible de perdurer et de s’étendre à d’autres secteurs", selon I4CE. Pour 2024, les données provisoires montrent ainsi une stagnation voire une légère diminution des investissements notamment pour la rénovation énergétique des bâtiments, les aménagements cyclables et l’acquisition de véhicules électriques. Pas vraiment surprenant au regard du recul déjà observé à l’échelle nationale des investissements climat réalisés par les ménages, les entreprises et les pouvoirs publics (lire notre article du 10 juillet 2025). 

Ce ralentissement s'explique par une conjoncture défavorable, avec des taux élevés dans le secteur du bâtiment, ainsi que par un recul des dépenses publiques de l'Etat en faveur de la transition bas-carbone. Mais cet essoufflement apparaît à contre-courant du dynamisme de l’investissement local observé ces deux dernières années toutes politiques confondues, marqué par une progression de 7% en 2023 et en 2024. 

Des besoins estimés à 19 milliards d'euros par an d'ici à 2030

Pour que la France atteigne ses objectifs climat, la marche à franchir est conséquente. D’après les estimations fournies l’année dernière par l’I4CE, les collectivités devront investir 19 milliards d’euros par an en moyenne jusqu’à 2030, "soit un peu plus du double de ce qu’elles investissent actuellement dans la décarbonation des bâtiments, des transports et de l’énergie". Autrement dit, "il va falloir accélérer et accélérer fortement", appuie Aurore Colin, chercheuse Collectivités locales. 

François Thomazeau, directeur de programme Collectivités locales et Adaptation au changement climatique, relève deux ingrédients dans la montée en puissance des collectivités sur les investissements climat. "Le premier ingrédient, cela a été des signaux convergents envoyés par l'Union européenne avec le ‘Green Deal ‘ [pacte vert], par l'État avec la planification écologique et par les électeurs au moment des élections municipales de 2020 pour faire de ce sujet un sujet important". Et le deuxième ingrédient, "c'est un contexte économique qui a été favorable pour les collectivités, notamment le contexte post-Covid, qui a permis une relance de l'investissement local, et cet investissement a été tourné assez largement vers des sujets de transition écologique". 

Or, ces deux ingrédients "qu'il faudrait réussir à conserver dans la durée, sont aujourd'hui menacés", souligne-t-il, pointant "des vents contraires sur le plan budgétaire ou sur le plan des signaux qui sont envoyés". La pérennisation de la contribution des collectivités au redressement des finances publiques et le recul des dispositifs nationaux de soutien à la transition, comme la diminution du Fonds vert, accentuent d’autant les interrogations sur la capacité des collectivités à accélérer leur effort à la hauteur des besoins identifiés. 

Est-ce qu’il y aura un effet "backlash environnemental" lors des élections municipales ? Les nouvelles équipes municipales en place en avril 2026 continueront-elles à porter le climat comme une priorité ? "Nous ([l’I4CE] avons développé de l'outillage pour leur permettre de le faire et on voit bien qu'il y a un appétit de beaucoup d'élus locaux de le faire", note François Thomazeau. 

Un changement de méthode à opérer

Pour faire ce passage à l’échelle, l’I4CE fait valoir des outils et des méthodes du côté de l’Etat et du côté des collectivités. Le rôle premier de l’Etat est d’apporter de "la visibilité et de la stabilité pour l'investissement local". Par exemple via de nouvelles formes de contractualisation, fondées sur des programmations locales d’investissement "alignées climat", dans le cadre du renouvellement des contrats de réussite de la transition écologique (CRTE) qui devrait avoir lieu après les élections de 2026. "En proie à une forte instabilité, il est impossible de dire si l’Etat sera en capacité d’avancer sur ce sujet à court terme. En témoigne la tentative avortée d’annexer au budget de l’Etat une trajectoire pluriannuelle des dotations", remarque le billet d'analyse. 

La balle est donc dans le camp des collectivités qui disposent de différents leviers. Le premier levier à activer est de "prioriser" les investissements dans les budgets locaux. Dans un contexte budgétaire contraint et face à un mur d’investissement, "il va falloir probablement reporter, renoncer à certains projets, prioriser d'autres projets par rapport à leur impact positif sur l’environnement, et le début de mandat est une bonne occasion pour réaliser cette priorisation", explique Aurore Colin. Pour ce faire, les collectivités peuvent s’appuyer sur les "annexes vertes" permettant de coter l'impact environnemental des dépenses exécutées. 

Le second levier aux mains des collectivités consiste à mieux identifier les besoins pour les intégrer dans la programmation d’investissements. Pour les aider dans cette démarche, I4CE a coconstruit une méthode avec des collectivités pilotes, pour réaliser "un plan pluriannuel d’investissement (PPI) aligné climat".  Son objectif s’assurer que la stratégie climat et les actions de décarbonation et d’adaptation de la collectivité sont finançables et financées. Cela demande d’estimer les besoins climat et de les intégrer au PPI du prochain mandat.

Enfin, "il faut aller chercher les financements où ils sont". "Certaines collectivités, pas toutes évidemment, ont encore des marges de manoeuvre sur certains leviers financiers". Augmentation de la fiscalité locale, prélèvement sur la trésorerie, recours à l’emprunt, augmentation de la contribution des usagers des services publics, nouvelle coopération publique-privée… les collectivités doivent mobiliser l’ensemble de ces leviers pour réussir la transition.

 

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