Jérôme Durain : "Le rôle des régions en matière de santé est devenu incontournable"

Déploiement des formations sanitaires et sociales, attractivité des filières, contribution aux soins de premier recours : les régions agissent pour la santé des Français. A l'approche du congrès de Régions de France, Jérôme Durain, élu début septembre à la présidence de la région Bourgogne-Franche-Comté, demande à l'État d'"honorer ses engagements" sur le financement des formations et de "respecter les compétences des régions".

Localtis - En succédant à Marie-Guite Dufay à la tête de la région, vous héritez également de la présidence de la commission "Santé, formations sanitaires et sociales" au sein de Régions de France. Pour faire face aux défis actuels sur l’accès aux soins, quels sont les leviers dont disposent les régions ?

Jérôme Durain - Je me réjouis de poursuivre la dynamique enclenchée par Marie-Guite Dufay, à la tête de cette instance depuis plusieurs années. Les défis sont immenses à l’heure où nos concitoyens peinent à avoir un accès aux professionnels de santé. Notre système de santé doit faire face aux transitions démographiques, environnementales et numériques en cours et à venir, et l’offre de soins doit s’adapter au vieillissement de la population. Les leviers des régions sont multiples : ce sont d’abord elles qui forment les professionnels paramédicaux et du travail social depuis maintenant 20 ans. Elles interviennent au titre de l’aménagement du territoire, pour renforcer l’offre de soins de premier recours, en finançant les maisons de santé pluriprofessionnelles et les centres de santé ; elles soutiennent également la recherche et l’innovation en santé. Et au-delà, les régions innovent et expérimentent, de manière volontariste, pour répondre aux attentes de nos concitoyens. Plusieurs régions ont initié l’ouverture de leurs propres centres de santé et le salariat de médecins, par la création de GIP (1). D’autres régions ont créé des mutuelles régionales pour proposer une complémentaire santé accessible. Je défends l’idée que l’État nous fasse pleinement confiance pour développer ces innovations et expérimentations. Le rôle des régions en matière de santé est devenu incontournable. En 2025, elles consacrent 573 millions d’euros à cet effet. Je rappelle aussi que les régions sont aujourd’hui résolument engagées dans une logique d’une seule santé, convaincues que leurs différentes politiques publiques doivent être tournées vers l’amélioration de l’état de santé. Enfin je suis profondément convaincu du rôle central de la prévention dans nos politiques publiques et c’est l'un des sujets que je souhaite développer au sein de notre instance. 

En matière d’observation des besoins de formation, où en sont les régions ? Observe-t-on une diversité de pratiques pour déterminer au plus juste le nombre de places nécessaires par filière ? 

Lors de l’élaboration des Schémas régionaux des formations sanitaires et sociales (SRFSS) des régions et de la révision de la carte des formations, un travail important est mené pour évaluer les besoins, consistant en l’élaboration d’un diagnostic objectivé et une concertation élargie avec les acteurs de terrain. Si les méthodes employées sont similaires, bien évidemment les spécificités des différents territoires sont méticuleusement prises en compte.

En juin dernier, les régions ont appelé l’État à respecter ses engagements sur le financement en 2025 de la formation des aides-soignants. Malgré le contexte que nous connaissons, y a-t-il eu des avancées sur ce sujet et plus globalement dans le dialogue avec l’État ?

En 2022, Jean Castex, alors Premier ministre, et Carole Delga, au nom de Régions de France, ont signé un protocole État-régions en faveur des formations sanitaires et sociales qui avait pour objectif de bâtir un cadre pérenne de programmation et de financement de l’offre de formation. Ce protocole prévoyait pour l’année 2025 et les suivantes un financement de 273,1 millions pour les filières infirmier, aide-soignant et AES (2). Cette année, le Premier ministre François Bayrou a informé les régions début janvier, soit après l’ouverture de Parcoursup, que ce montant serait réduit à 215 millions d’euros (soit -21%), pour la filière infirmière uniquement, jusqu’en 2027. Nous avons regretté cette diminution, notamment pour les aides-soignants dont nous manquons cruellement aujourd’hui.

Contrairement à l’engagement du Premier ministre Bayrou, ce montant ne figure pas dans le PLF 2026. Les présidents de région sont clairs : si l’État se désengage, il devra assumer la responsabilité de la fermeture de plusieurs milliers de places de formation infirmière, alors même que l’ONDPS (3) estime à horizon 2030 le besoin à 106.000 infirmiers et 86.000 aides-soignants supplémentaires ! Je rappelle que le PLF 2026 va entraîner une baisse de ressources budgétaires des régions de près d’1 milliard d’euros. Rien que sur cette année 2025, la non-compensation du Ségur social par l’État et la mesure imposée de la hausse de 4% de la CNRACL (4) représentent 30 millions d’euros de dépenses pour les régions, non concertées et non compensées. Former plus et former mieux, tout en atrophiant nos budgets, ce n’est plus possible. Le financement de ce protocole n’est pas un luxe : nous parlons de plusieurs milliers de futurs professionnels, dès demain. Quant au dialogue avec l’État, il ne peut pas continuer comme cela. Comme l’année dernière, nous devons prochainement renseigner le nombre de places sur Parcoursup sans avoir aucune visibilité sur ces financements. Derrière ce mutisme, ce sont des directeurs et enseignants qui ne peuvent pas avoir de visibilité sur la rentrée prochaine et des étudiants qui s’apprêtent à faire leurs vœux. C’est pourquoi nous avons demandé au nouveau gouvernement que ce sujet soit abordé au plus vite entre l’État et les régions.

Dans un contexte de crise du recrutement, certaines filières ne parviennent pas à faire le plein. Est-ce que cela conduit certaines régions à prendre des initiatives en lien avec les centres de formation, mais également dans le cadre de l’orientation et de l’emploi, pour rendre ces métiers plus attractifs ? 

Les régions, au croisement de leurs compétences formations sanitaires et sociales et orientation information métiers, s’engagent à renforcer la visibilité de ces filières. Elles déploient à cet effet un panel d’actions : forums, salons, portes ouvertes, communication mais également des ambassadeurs métiers et des bus de l’orientation pour aller au plus près des jeunes sur tous les territoires. 

Les régions ne cessent d’innover pour rendre ces formations de proximité attractives et accessibles. La région Bourgogne-Franche-Comté se verra d'ailleurs remettre dans quelques jours le prix Territoria par la ministre Françoise Gatel pour ses actions de promotion de la formation d’aide-soignant destinées aux lycéens de baccalauréat professionnel SPAT et ASSP ! Je suis convaincu que cette crise d’attractivité des filières appelle une réponse collective et coordonnée, qui peut être portée en bonne intelligence par les acteurs sur les territoires dans le respect des compétences de chacun.

Concernant les métiers du travail social, la récente réforme des diplômes est-elle selon vous de nature à changer la donne ?

Changer la donne c’est ambitieux. Je pense que nous pourrons considérer avoir changé la donne le jour où des professionnels seront certes bien formés mais également mieux rémunérés, avec de meilleures organisations de travail et davantage de reconnaissance. Concernant cette réforme, nous considérons que c’est un signal positif. Régions de France a toujours indiqué être favorable à une meilleure lisibilité de ces formations, pour renforcer leur attractivité. En revanche, nous maintenons deux points de vigilance : le premier, que cette réforme ne soit pas une excuse pour faire des économies sur un secteur déjà gravement impacté par la non-compensation par l’État de la prime Ségur social ; le deuxième, que les établissements soient bien accompagnés pour appliquer cette révision des diplômes. 

Y a-t-il une priorité que vous souhaitez porter dans le cadre de la commission Santé de Régions de France ?   

Ma priorité est claire : que l’État honore ses engagements et respecte les compétences des régions, afin que nous puissions pleinement développer ces formations, permettre aux jeunes d’étudier et réussir dans les meilleures conditions et améliorer l’accès aux soins sur nos territoires. 

  1. Groupements d'intérêt public

  2. Accompagnant éducatif et social

  3. Observatoire national de la démographie des professions de santé

  4. Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales

 

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