Karine Gloanec Maurin : "Nous n’avons plus les moyens de porter seuls un projet"

Les communes rurales n’ont plus d’autre choix que de recourir à des financements croisés pour monter leurs projets témoigne, à l'approche du Congrès des maires, Karine Gloanec Maurin, présidente de la communauté de communes des Collines du Perche (Loir-et-Cher) qui regroupe 12 communes pour environ 6.000 habitants. Le manque de moyens oblige à se serrer les coudes et à mutualiser l’ingénierie disponible. 

Localtis - Qu’avez-vous pensé des récentes attaques contre l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ?

Karine Gloanec Maurin - Dans les territoires très ruraux, l’ANCT, c’est avant tout des dispositifs d’accompagnement tels que Villages d’avenir, Petites Villes de demain… Si notre principal handicap est d’avoir peu de moyens, le manque d’ingénierie est aussi un problème. Alors on s’organise, il y a par exemple des mutualisations, notamment avec les communes nouvelles [la création de la commune nouvelle de Couëtron-au-Perche, en 2018, a fait passer de 16 à 12 le nombre de communes dans l’intercommunalité] qui permettent de mutualiser l’ingénierie auprès des maires avec des secrétariats qui se renforcent. Mais vraiment, l’ANCT est notre partenaire. Depuis le début de ce mandat en 2020, nous avons énormément fait appel à elle pour accompagner des tiers lieux, mettre en place des projets touristiques ou professionnels. Pour nos projets de territoires, elle apporte une aide extrêmement précieuse. Alors, cette volonté de nous priver de cet outil et de ces rencontres humaines à différents niveaux nous a beaucoup inquiétés. L’ANCT participe aussi à la mise en place des maisons France services dans les territoires ruraux, pour pallier le déficit de services publics. On est toujours dans cette démarche de s’adapter à une ruralité qui n’est plus celle d’autrefois. 

C’est-à-dire ?

Je suis élue rurale depuis trente ans, or quand j’étais jeune élue, nous avions la possibilité de porter des projets seuls. Aujourd’hui, les plans de financement pour créer un projet font forcément appel à des financements croisés, avec le département, la région, etc. Nous n’avons plus les moyens de porter seuls un projet, d’où ce besoin d’ingénierie. C’est intéressant, parce que cela nous pousse vers des dispositifs qui peuvent être très dynamiques aussi mais, dans le même temps, c’est une autre manière de construire notre territoire. Nous sommes dans une démarche beaucoup plus coopérative, même si tout le monde ne joue pas le jeu ; cela se fait petit à petit.

Comment expliquez-vous ce changement ? 

La raison est très simple : nous avons moins de dotations. En euros constants, on a beaucoup moins qu’auparavant, alors que les coûts de construction sont plus importants. Et nous avons des capacités d’emprunts beaucoup plus faibles. Sans cette capacité de financements croisés qui a été tant décriée avec le "millefeuille territorial", l’investissement serait encore plus faible en territoire rural.

Vous avez été élue présidente de la communauté de communes des Collines du Perche en 2020. Quel bilan tirez-vous de ces cinq ans sur l’accompagnement de projets ? 

Je préside la communauté de communes après un mandat d’immobilité. La communauté de communes avait beaucoup investi à sa création en 1993 (ce qui en fait une des toutes premières), sans anticiper les évolutions budgétaires de l’avenir. Puis plus rien. Alors, en 2020, il a fallu réparer ces années d’immobilité : on a refait un peu de voierie, on s’est engagé dans la restauration de bâtiments et d’un joyau, une commanderie de Templiers, à Couëtron-au-Perche, avec une convention région-département qui porte 80% de l’investissement. Il y a un autre projet qui nous a énormément occupés : au début du mandat, il y a eu des inquiétudes de fermeture de classes dans une des écoles, sachant que la communauté de communes a la compétence scolaire. Nous avons été accompagnés après avoir signé une convention ruralité avec l’Education nationale : la Scet nous a permis de faire une estimation des travaux à réaliser dans nos écoles pour relancer une dynamique et créer un vrai projet d’école intercommunal. Il fallait réfléchir à la manière de s’organiser pour que les enfants n’aient pas à faire trop de kilomètres, tout en regroupant des écoles qui perdaient beaucoup d’élèves. Mais on s’est rendu compte qu’il valait mieux construire une nouvelle école, que cela reviendrait moins cher. Nous avons donc décidé de regrouper quatre écoles sur un nouveau site, tout en conservant les deux écoles les plus excentrées. L’assistant à maîtrise d’ouvrage a estimé ce projet à 6,7 millions d’euros. Depuis 2023, il est prêt à démarrer et nous avons remué ciel et terre pour trouver les financements. Comme j’ai aussi la compétence Europe à la région Centre-Val de Loire, j’avais repéré une ligne budgétaire réservée aux territoires fragiles dans le cadre du Feder. Nous avons ainsi trouvé 2 millions de fonds européens. C’est un message très fort. Nous avons sollicité 1,6 million de DETR sur trois ans - le temps de la construction - auprès de la préfecture. Jusque-là, celle-ci n’a pas été en capacité de nous dire si elle nous suivait, compte tenu du contexte budgétaire, tout en nous disant que le projet était formidable, qu’il était utile pour rendre attractif le territoire, avec un bâtiment moderne et sobre énergétiquement… Sans l’aide de l’Etat, on risque le dégagement d’office pour les deux millions d’euros versés par l’Europe [les fonds européens repartent à l’Europe quand ils ne sont pas affectés dans les temps, ndlr]. Et le projet ne se fera pas. Ce serait vraiment dommage car le terrain sur lequel serait bâtie l’école se trouve à côté de la maison de la petite enfance et de logements inclusifs qui accueillent des personnes retraitées handicapées. Cela ferait un espace pluri-générationnel extrêmement intéressant. Tout est prêt !

Auriez-vous des exemples de coopération mis en place dans votre communauté de commune ?

On pense rarement à l’industrie quand on parle de ruralité. Or, nous avons signé un contrat Territoires d’industrie avec Nogent-le-Rotrou, c’est une mutualisation qui vise à entrer dans une dynamique de réindustrialisation du territoire.

Pour ce qui est de l’ingénierie stricto sensu, nous avons mis en place un dispositif de "secrétaire volante", c’est essentiel pour les petites mairies qui n’ont pas de secrétaire. Elle nous accompagne dans la compétence urbanisme (une nouvelle compétence qui nous a été transférée sans financement et sans ressources humaines), elle s’occupe aussi des syndicats de rivière. Et elle dépanne les mairies sur les gros dossiers à porter. 

Nous avons par ailleurs un poste en préfecture dans le cadre du programme Villages d’avenir. Cette personne accompagne deux communes sur l’accueil touristique en gîte afin de les aider à passer d’une régie municipale à une délégation de service public, ou en tout cas de passer à une dimension plus professionnelle. Elle a aussi accompagné les professionnels du cheval percheron à valoriser cette filière, autant pour l’élevage que pour le cheval de trait.

Par ailleurs, dans le département, j’ai été la première à solliciter un VTA (volontaire territorial en administration) en 2021, ça a été une expérience formidable. C’est cette personne qui a tenu la plume pour tout l’arrondissement de Vendôme dans le cadre du CRTE (contrat pour la réussite de la transition écologique). Nous n’avons pas pu renouveler son contrat, mais elle a obtenu un CDI au pôle d’équilibre territorial et rural (PETR) du Perche, à Nogent-le-Rotrou, où elle accompagne tout ce qui est développement territorial.

 

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