Ingénierie : un rapport sénatorial appelle à parachever la transformation du Cerema
Adopté par la commission des finances du Sénat le 8 juillet, le rapport de la mission de contrôle budgétaire sur la transformation du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) confiée à Vincent Capo-Canellas appelle l’État à donner une "orientation stratégique claire et financièrement soutenable" à son opérateur qui dispose d’une expertise de référence en matière d’adaptation au changement climatique. En parallèle, l’établissement devra "poursuivre des efforts de productivité", souligne le rapport.

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En tant que rapporteur spécial du programme 159 "Expertise, information géographique et météorologie" de la mission "Écologie, développement et mobilité durables", le sénateur Vincent Capo-Canellas (UC-Seine-Saint-Denis), a mené un contrôle budgétaire sur la transformation du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), qui a aussi fait l’objet récemment, avec l’ANCT et l’Ademe, d’un rapport interinspections (lire notre article). Adopté par la commission des finances du Sénat le 8 juillet 2025, son rapport insiste d’abord sur la nécessité de "préserver l'expertise du Cerema à l'heure où l'adaptation au changement climatique révolutionne l'aménagement du territoire".
Expertise technique de haut niveau
"Le Cerema est le bras armé de l'État s'agissant de l'expertise technique en matière d'aménagement du territoire et d'infrastructures", rappelle le rapporteur qui voit dans la mutualisation de cette capacité d'expertise au sein d'un opérateur de l'État unique "un facteur d'efficience des moyens publics, au contraire de son éventuelle dispersion au sein de différentes administrations". "Le Cerema s'est aussi rendu indispensable par sa capacité à projeter rapidement une expertise technique de haut niveau après une crise, notamment une catastrophe naturelle, poursuit-il. Maintes fois éprouvée, cette capacité sera de plus en plus mobilisée en raison du changement climatique."
Ce soutien technique est aussi jugé nécessaire pour les collectivités, "alors que l'État a de moins en moins les moyens de [les] soutenir financièrement", poursuit le sénateur. "L'appui expert du Cerema est devenu indispensable pour nombre d'entre elles, notamment dans la phase amont de la définition d'un projet d'aménagement ou au moment d'aborder une thématique transversale complexe telle qu'une stratégie d'adaptation au changement climatique, un sujet qui révolutionne les enjeux d'aménagement du territoire et renforce la légitimité de l'opérateur, devenu une référence en la matière", souligne-t-il.
Une réforme en profondeur engagée depuis 2018
Le rapport de Vincent Capo-Canellas analyse ensuite la restructuration profonde engagée par le Cerema depuis 2018 pour atteindre l'objectif, que lui avait fixé le Gouvernement, de parvenir à réduire de 20% ses effectifs et sa subvention pour charges de service public (SCSP). "Cette réforme a notamment consisté en des réorganisations de ses implantations territoriales, un regroupement de ses laboratoires, des polarisations d'activités ainsi qu'une optimisation de l'organisation de ses fonctions supports", détaille-t-il. À l'issue de cette réforme, le Cerema a réduit le nombre de ses secteurs d'intervention de 66 à 21 renonçant à intervenir dans plusieurs domaines. Ce programme de restructuration s'est traduit par la suppression de 350 postes et la transformation substantielle de 800 autres. Dans le même temps, du fait des gains de productivité générés, la capacité de production de l'établissement aurait augmenté de 10%, rapporte le sénateur.
En parallèle, pour concentrer ses moyens en baisse sur les actions pour lesquelles sa plus-value est la plus substantielle, le Cerema a poursuivi une clarification de son positionnement stratégique, ajoute le rapport. "Il recentre son activité sur des prestations de conseil et d'expertise pointues plutôt que sur des interventions techniques plus opérationnelles qui relèvent davantage, lorsqu'elles existent, des agences techniques départementales, constate-t-il. Pour cette raison, en matière d'accompagnement des collectivités, le 'coeur de cible' du Cerema est constitué des régions, des départements et des groupements de communes de 50.000 habitants et plus qui disposent de services techniques suffisamment étoffés pour valoriser les expertises pointues de l'opérateur. Il s'attache en outre à développer une offre plus étoffée en direction des petites communes adhérentes."
Virage affirmé vers les collectivités
Ce virage du Cerema vers les collectivités est encouragé par ses tutelles, y compris pour des raisons budgétaires, dans le but de développer les ressources propres de l'opérateur, note le rapporteur. Ainsi, les ressources propres que le Cerema perçoit de la part des collectivités ont plus que doublé entre 2018 et 2024, passant de 9 à 21 millions d'euros par an. Alors qu'en 2018, 347 collectivités avaient contractualisé avec l'établissement, elles étaient 515 en 2024 pour un total de 2.314 prestations délivrées, indique le rapport.
"Afin de surmonter des blocages qui contraignaient le virage du Cerema vers les collectivités, le législateur a entendu lui donner un nouveau statut de quasi-régie conjointe faisant de lui un établissement partagé entre l'État et les collectivités, rappelle le document. Une réforme de la gouvernance du Cerema s'en est suivie, accordant une place beaucoup plus significative aux collectivités." La quasi-régie conjointe procure ainsi aux collectivités adhérentes un accès facilité aux services du Cerema puisqu'elles peuvent y recourir sans mise en concurrence. En mai 2025, 1.013 collectivités avaient ainsi adhéré à la quasi-régie et le Cerema vise 1.500 adhérents à l'horizon 2027.
"La dynamique des adhésions témoigne de la bonne réputation du Cerema auprès des collectivités, note le sénateur. L'enjeu pour l'opérateur sera désormais de parvenir à entretenir cette relation de confiance et de ne pas décevoir les attentes placées en lui. Il s'agira pour lui de fidéliser ses adhérents en répondant à leurs besoins avec le niveau de qualité attendu". "Or, dans un contexte de contrainte significative exercée sur ses moyens, notamment humains, cela représentera un vrai défi", prévient-il.
Au sein de l’État, le nouveau statut du Cerema suscite pourtant certaines réserves, observe le sénateur. Les critiques portent notamment sur la perte d'influence des représentants de l'État dans la gouvernance alors même que le budget de l'État demeure le principal financeur du Cerema. "Constatant que le poids des ressources propres issues des collectivités restera limité dans le budget total de l'établissement, certains estiment notamment que 'le jeu n'en valait pas la chandelle'. Par ailleurs, plusieurs directions d'administration centrale partenaires du Cerema notent, non sans parfois un certain regret, la diminution des activités de l'opérateur pour leur compte", rapporte Vincent Capo-Canellas qui juge nécessaire de réaliser une évaluation approfondie du nouveau statut du Cerema, à l'horizon 2027, après quatre années de mise en oeuvre.
Un modèle financier à about de souffle
C'est sur le plan financier que le sénateur est le plus alarmiste. Il estime que le Cerema est aujourd'hui "engagé dans une impasse". Depuis sa création, l’opérateur s'est vu imposer une forte diminution de sa subvention pour charges de service public (SCSP). Le montant de sa dotation a ainsi diminué de 37 millions d'euros, soit 17%. Dans le même temps, ses effectifs ont été réduits de 18%, souligne le rapport. "Au fil des schémas d'emplois négatifs successifs qu'il a connu, le Cerema a supprimé 668 équivalents temps plein (ETP) depuis sa création. Il serait vraisemblablement difficile d'aller plus loin dans cette voie sans une nouvelle restructuration significative ou une remise en cause du nouveau modèle de l'opérateur", estime le rapporteur.
Dans le même temps, afin de concrétiser sa stratégie visant à recentrer son rôle sur le conseil et l'expertise de haut niveau, le Cerema a conduit une politique de "repyramidage" de ses effectifs au bénéfice des ingénieurs de catégorie A. Les postes occupés par des agents de catégorie B et C ont ainsi été les plus concernés par les suppressions d'effectifs.
La lecture de l'équilibre budgétaire du Cerema a été compliquée ces dernières années par les flux financiers, décalés dans le temps, en recettes comme en dépenses, liés à la participation de l'établissement à certains grands programmes nationaux. Ces phénomènes expliquent les fluctuations très significatives du déficit budgétaire annuel du Cerema observées entre 2022 et 2025, souligne le rapport. "Après retraitement des opérations en recettes comme en dépenses qui relèvent de ces dispositifs fléchés, il apparaît que le solde budgétaire structurel du Cerema s'est nettement dégradé depuis 2022 en raison, d'une part, de la baisse de sa SCSP et, d'autre part, du dynamisme de ses charges de personnel et de ses autres dépenses de fonctionnement", relève le rapporteur. L'établissement connaît ainsi aujourd’hui un déficit structurel d’une vingtaine de millions d’euros par an.
"Depuis la création du Cerema, ses tutelles l'ont fortement incité à développer ses ressources propres pour compenser la réduction continue de sa SCSP et, plus récemment, pour absorber la hausse de ses charges de personnel", poursuit le rapporteur. Le montant de ces ressources propres a globalement doublé depuis 2018, passant de 30 à 60 millions d'euros par an mais pour cette année, le Cerema anticipe leur stabilisation. "Les principaux gisements en la matière n'ont-ils pas déjà été exploités ?, interroge Vincent Capo-Canellas. Si cette observation se confirmait, elle remettrait en cause le modèle selon lequel le Cerema se trouve sommé d'accroître ses ressources propres dans le but principal de compenser la baisse continue de sa dotation et d'absorber les charges supplémentaires qui lui sont parfois imposées de l'extérieur. ‘Les arbres ne montent pas au ciel’ et il est possible que ce modèle, qui a permis à l'État de réaliser des économies, ait fini par atteindre ses limites".
Forte hausse des charges de personnel
Le budget du Cerema est aussi très contraint par le poids et le dynamisme de sa masse salariale qui représente presque 80% du total de ses dépenses, souligne le rapport. Malgré une baisse sensible des effectifs de l'établissement, ses charges de personnel ont enregistré entre 2019 et 2025 une hausse de 35 millions d'euros (+18 %) pour atteindre 232 millions d'euros. "Cette évolution résulte principalement de deux phénomènes, indique-t-il. Le premier, essentiellement exogène, correspond aux mesures ayant pour conséquence d'augmenter le traitement indiciaire ou les indemnités versés aux agents rémunérés par l'opérateur. D'après le Cerema, depuis 2019, les charges exogènes non compensées de ce type auraient conduit à majorer structurellement sa masse salariale de près de 19 millions d'euros par an, dégradant d'autant ses équilibres financiers. Le deuxième phénomène explicatif est quant à lui endogène et résulte de la politique de repyramidage des effectifs du Cerema. Ce phénomène a un coût pour l'établissement qui, depuis 2019, est estimé entre 2 et 2,5 millions d'euros par an, en lien avec l'augmentation du coût moyen par agent qui aura progressé de 19% entre 2019 et 2025".
Si la forte contrainte budgétaire imposée par la loi de finances pour 2025 a obligé l'établissement à appliquer un plan de retour à l'équilibre prévoyant 16,5 millions d'euros d'économies, dont 11 millions d'euros sur les dépenses de fonctionnement et les charges de personnel, la pérennisation de ces économies ne suffiront pas à rééquilibrer sa situation financière, estime le rapporteur.
Recours à la "cavalerie budgétaire"
"Compte-tenu de son déséquilibre budgétaire structurel, le Cerema n'a eu d'autre choix que de mobiliser sa trésorerie fléchée pour assurer ses dépenses courantes, notamment celle qu'il est tenu de redistribuer aux collectivités dans le cadre du programme ‘ponts’, observe-t-il. Le conseil d'administration de l'établissement avait lui-même revendiqué la nécessité de recourir à cette forme de ‘cavalerie budgétaire’".
"Le paradoxe est que tout en regrettant cette situation, l'État a pu dans le même temps justifier la baisse significative de la SCSP du Cerema, notamment en 2025, par le fait que celui-ci disposait d'une trésorerie abondante. Il s'agit là d'un cas d'école symptomatique des injonctions contradictoires devant lesquelles le Cerema a pu être placé par l'État au cours de ces dernières années. Il est tout de même étonnant que l'État ait pu recourir sciemment à un système aussi 'baroque' et aussi éloigné des règles élémentaires de bonne gestion des deniers publics", grince le sénateur qui juge aussi "extrêmement préoccupantes" les plus récentes trajectoires financières prévisionnelles. "Elles prévoient, dans une hypothèse de stabilisation de la SCSP du Cerema, un creusement de son déficit et un niveau de trésorerie négatif en 2027, indique-t-il. Le Cerema est engagé dans une impasse financière manifeste, et ce, à très court terme. Une analyse plus fine révèle même que la trésorerie non fléchée de l'établissement, la seule dont il dispose réellement, deviendra négative dès 2026."
Besoin d'orientation stratégique claire
Alors que le Cerema se trouve à un "point de bascule existentiel", d'ici 2027, "l'État doit impérativement lui donner une orientation stratégique claire et financièrement soutenable", insiste le sénateur. "L'impératif de visibilité doit se substituer à l'incertitude permanente d'un pilotage budgétaire ‘à vue’, sans cap ni boussole, qui finirait par menacer la pérennité même de l'opérateur", soutient-il.
Pour que l'État "réaffirme pleinement son rôle de décideur stratégique", il appelle ainsi à renforcer la tutelle sur l’opérateur, dont l’exercice se trouve aujourd’hui "beaucoup trop effacé" et compliqué par son "positionnement ambigu" entre le ministère chargé de la transition écologique et le ministère chargé de l'aménagement du territoire. Le premier des choix stratégiques sera ensuite de définir précisément les missions de service public "socles" du Cerema, c'est-à-dire ses activités dont le coût de production a vocation à être financé par sa SCSP, préconise le sénateur, car la délimitation de leur périmètre résulte aujourd’hui de "procédures de conventionnements bilatérales négociées entre la direction du Cerema et les différentes administrations centrales, sans coordination ni cadre harmonisé".
Trois scénarios pour l'établissement
"Au plus tard au cours de l'année 2026, l'État doit décider clairement de ce qu'il entend faire du Cerema, de sa vision stratégique de long terme pour l'établissement, et lui fixer un cadre propre à sécuriser la soutenabilité de son modèle économique", souligne le rapporteur qui évoque trois scénarios alternatifs.
Un premier scénario serait celui du statu quo organisationnel et d'une augmentation de la SCSP de l'établissement pour combler son déficit structurel mais "compte tenu de l'état des comptes publics, cette hypothèse semble improbable à court terme", estime-t-il. Un deuxième scénario serait au contraire celui du statu quo en termes de moyens financiers, c'est à dire le gel durable de la SCSP. "Toutes choses égales par ailleurs, cette situation aboutirait à une impasse financière dès 2027. Aussi, ce scénario supposerait-il une nouvelle réforme structurelle profonde de l'établissement se traduisant par une révision à la baisse, probablement substantielle, de son champ d'intervention, notamment pour le compte des services de l'État. À ce jour, aucune réflexion de la sorte n'a été entreprise par l'État. Or, une telle réforme nécessiterait d'être pensée très en amont et accompagnée d'une solide étude d'impact", prévient-il.
Un troisième scénario, hybride, pourrait induire une légère augmentation de la SCSP en contrepartie de gains de productivité dégagés par une réforme de l'organisation du temps de travail, par un programme ambitieux de diffusion de l'intelligence artificielle ainsi que par un nouveau recentrage des missions du Cerema. "Ce scénario pourrait même être rendu plus soutenable par la recherche de compensations budgétaires à la hausse de la SCSP du Cerema dans un cadre plus large que celui du programme 159 du budget de l'État qui ne dispose plus d'aucune marge en la matière", avance-t-il.
Transparence nécessaire du coût des prestations
Mais "le Cerema doit également faire sa part du chemin, notamment pour gagner la confiance de sa tutelle financière", ajoute le sénateur. Cela passe selon lui par la transparence du coût de ses prestations. "Le modèle économique dual du Cerema, qui s'appuie à la fois sur des activités 'socles' financées par sa SCSP et sur des activités commerciales rémunérées, suppose une comptabilité analytique très fine permettant de séparer les flux financiers de ces deux sphères, explique-t-il. Cette 'muraille de Chine' doit prévenir les 'subventions croisées'. En l'occurrence, l'État souhaite avoir la garantie que la SCSP ne serve pas à financer des activités commerciales, notamment à destination des collectivités".
Pour améliorer la transparence de ses coûts, le Cerema a développé une première forme de comptabilité analytique. "Il lui revient désormais de l'affiner et de la généraliser à toutes ses activités pour mesurer avec la plus grande précision possible le coût complet de ses activités commerciales et pouvoir le comparer avec ses ressources propres", note le sénateur qui estime que l’établissement doit aussi réaliser de nouveaux gains de productivité. "Dans cette perspective, la direction de l'opérateur a engagé des négociations sociales au sujet de deux pistes de réforme de l'organisation du temps de travail, relève-t-il : un projet de révision des règles de compensation des temps de déplacement et la forfaitisation du temps de travail des cadres. Une autre piste prometteuse relève de la diffusion de l'intelligence artificielle qui pourrait à terme représenter une amélioration de performance de 10%."
Ingénierie territoriale publique : pas de fusion d'opérateurs mais des mutualisations de services
Enfin, au-delà du seul Cerema, le rapporteur insiste sur le "besoin de mieux structurer et de rendre plus lisible l'offre d'ingénierie territoriale publique" portée également par l'Ademe et l'ANCT. "Pour pallier l'effacement d'une tutelle qui n'a pas pu, pas su ou pas voulu jouer son rôle d'arbitre, de premières initiatives ont été prises par ces trois opérateurs pour articuler leurs périmètres et coordonner leurs actions, constate-t-il. C'est dans ce cadre qu'ils ont commencé à traiter les cas de redondances identifiés. Cependant, à des fins de lisibilité et de mise en cohérence des politiques publiques de l'État, il est nécessaire d'approfondir ce travail." "Si une fusion de ces trois opérateurs n'apparaît ni réaliste, ni pertinente à court terme, des mutualisations de services, notamment s'agissant de leurs fonctions transverses seraient envisageables et souhaitables pour dégager des gains de productivité", conclut-il.