La croissance de l'IA accusée de mettre en danger la tenue des objectifs climatiques
Le Shift Project tire la sonnette d'alarme sur l'empreinte environnementale des infrastructures de calcul qui explosent sous l'impulsion de l'IA. Le think tank souligne l'incompatibilité des objectifs en matière de datacenters et de respect des objectifs tricolores de neutralité carbone. Sans compter une multiplication prévisible des conflits d'usages locaux.

© The Shift Project, 2025
Basé sur une analyse des dynamiques du secteur, le nouveau rapport du Shift Projet intitulé "Intelligence artificielle, données, calculs : quelles infrastructures dans un monde décarboné ?" publié le 1er octobre 2025, fait état de chiffres particulièrement alarmistes. La consommation électrique des centres de données au niveau mondial a ainsi explosé passant de 165 TWh (2014) à 420 TWh (2024), hors cryptomonnaies. Elle pourrait atteindre jusqu'à 1.500 TWh/an d'ici à 2030 soit x2,8 en 7 ans. Une envolée essentiellement imputable à l'IA qui passerait de 15% des consommations en 2025, à au moins 35% en 2030. Sur ce dernier point, le rapport estime que le secteur est pris dans une boucle de rétroaction entre l'"effet d'usage" et l'"effet d'offre", justifiant des investissements exponentiels en infrastructures.
Incompatibilité avec la stratégie bas carbone tricolore
À l'échelle européenne, la consommation électrique pourrait faire x2 d'ici 2030 et x4 d'ici 2035, alors même qu'elle "n'a pas été prise en compte" dans les planifications de réseaux.
Pour la France, le think tank estime que la consommation électrique des centres de données pourrait d'atteindre 7,5% de la consommation nationale en 2035 contre 2% aujourd'hui (45 TWh).
Le rapport alerte sur ces projections non compatibles avec la stratégie nationale bas carbone (SNBC). Si les tendances actuelles se maintiennent, les émissions territoriales des centres de données français atteindraient 1,5 MtCO2e en 2030, soit une augmentation de 67% par rapport à 2020. Cet objectif est à l'opposé de la réduction de 30% nécessaire pour la filière. Et pour se conformer à l'objectif carbone 2030, la consommation électrique des centres de données devrait être limitée à 9,3 TWh (quasi-stabilité), alors que le scénario tendanciel conduit à un doublement des besoins, atteignant 18,9 à 23,3 TWh à cette même échéance.
Conflits d'usage locaux
En se basant sur les projets de centres de données validés à la suite du sommet de l'IA, le rapport anticipe des tensions locales et des conflits d'usages dès 2035. En clair, les territoires pourraient avoir à arbitrer entre électrification du chauffage ou de la mobilité et les datacenters. En outre, les besoins en refroidissement des centres de données font de la gestion de l'eau "un enjeu critique" qui s'accentue avec l'intensification des sécheresses.
Besoin urgent de planification
Face à cette "trajectoire insoutenable", le Shift Project appelle à un pilotage public ferme et à une réorientation des choix technologiques. Il recommande de "construire une trajectoire plafond des ressources (électricité, surfaces, eau) pour le numérique d'ici 2035 et 2050" dans la SNBC, et de rendre les déploiements de centres de données "conditionnés à la compatibilité" avec ce plafond. Ce pilotage passe cependant par la création d'indicateurs fiables, le Shift Project déplorant des données parcellaires et peu fiables. Il préconise – à l'inverse de ce que promeut le gouvernement - la réalisation systématique d'études d'impact environnemental et de concertations citoyennes pour l'implantation des grandes infrastructures, et préconise d'introduire dans l'AI Act européen un objectif de performance environnementale.
La recommandation la plus polémique porte sur la nécessité de "plafonner la quantité d'utilisation d'IA génératives à usage général" dans les organisations. Il invite à lutter contre "l'effet rebond" et préconise de privilégier les IA spécialisées, plus légères et "souvent plus efficaces" que les grands modèles, et d'intégrer l'écoconception pour garantir, avant tout déploiement, un "impact énergie-carbone net positif". Dernier point, il suggère que la formation à l'IA ne se fasse pas au détriment de la formation à la transition écologique.