Impact environnemental de l'IA : le Conseil national du numérique aide à se questionner
L'empreinte environnementale de l'IA fait partie des questions les plus fréquentes dans les cafés IA animés par le Conseil national du numérique depuis un an. Un constat qui a conduit le CNNum à concevoir un nouveau module pédagogique sur ce sujet complexe, qui souffre d'abord d'un manque de données fiables. Le gouvernement a par ailleurs annoncé vouloir pérenniser les cafés IA.

© linkedin Clara Chappaz/ Gilles Babinet et Clara Chappaz
Si, depuis 2020, on dispose d'indicateurs sur l'impact environnemental du numérique grâce aux travaux de l'Arcep et de l'Ademe, l'impact de l'IA n'y est traité qu'indirectement via le développement des datacenters. Pour faire le point sur un sujet qui émerge régulièrement dans les "cafés IA", le Conseil national du numérique (CNNum) vient de publier une note avec l'appui d'une dizaine d'institutions. Un document destiné à nourrir les échanges citoyens en fournissant des chiffres, une grille d'analyse critique et un état des initiatives en matière de régulation de l'IA.
Un manque de données fiables
Côté chiffres, la note déplore un "manque de données fiables", les grandes entreprises du numérique se révélant peu transparentes sur ce sujet. Les statistiques ont en outre du mal à suivre le rythme effréné des innovations que connait le secteur. On estime ainsi que l'entraînement du modèle GPT-3 a consommé 1,3 GWh, généré 552 tonnes de CO₂ et consommé plus de 5 millions de litres d'eau potable. On ne dispose cependant d'aucun chiffre global ou sur les modèles les plus récents. Seule certitude : les besoins sont énormes et exponentiels. Microsoft et Google, grands acteurs de l'IA, ont ainsi annoncé en 2024 une augmentation de leurs émissions de CO2 qui rendent inenvisageable la neutralité carbone qu'ils avaient promise pour 2030. Selon l'Agence internationale de l'énergie, l'IA pourrait absorber un volume d'électricité comparable à celui consommé par le Japon sur une année, dès 2030.
Les usages de l'IA générative pointés du doigt
Autre constat du CNNum : l'explosion des usages de l'IA générative pourrait rapidement chambouler la répartition actuelle de l'impact environnemental du numérique. Pour mémoire, les datacenters et les équipements (fabrication, distribution, recyclage…) représentent aujourd'hui l'essentiel des émissions carbone du numérique selon l'Arcep. Or, une seule requête sur GPT-4 génère 170 grammes de CO2 et la génération d'une image consommerait en moyenne 60 fois plus d'énergie qu'une requête textuelle. Des chiffres à multiplier par des centaines de millions d'utilisateurs et des milliards de requêtes… qui font dire au CNNum que "l'IA peut très difficilement bénéficier à tous" en l'état actuel de sa facture environnementale.
Regard critique sur les chiffres
La note invite ensuite à un regard critique sur des chiffres présentant beaucoup d'angles morts. Il est ainsi de plus en plus difficile d'isoler les usages de l'IA, d'autant que l'IA s'intègre désormais aux logiciels existants. Si les défenseurs de l'IA générative vantent des gains de productivité, leur mesure reste approximative et on ne sait pas ce qui est fait du temps gagné.
Par ailleurs, beaucoup d'évaluations chiffrées sont fondées sur le mix énergétique américain, or il est beaucoup plus carboné qu'en France, ce qui fausse les extrapolations. L'échelle locale s'avère aussi nécessaire à prendre en compte. Si le chiffre de 1,5% pour la consommation énergétique des datacenters peut par exemple paraitre faible à l'échelle mondiale, la concentration des datacenters dans une seule région peut être problématique. À Marseille, en Irlande ou aux Pays-Bas, la multiplication des datacenters a déjà généré des tensions sur l'usage de l'eau, de l'électricité ou du foncier. L'effet rebond doit aussi être pris en compte. Si les gains énergétiques constatés dans les datacenters de dernière génération sont avérés, ils doivent être relativisés par la multiplication des datacenters de plus d'1 GW, consommant l'équivalent de la production d'une centrale nucléaire. Quant aux usages vertueux de l'IA, sans les mésestimer, la note souligne que les plus couramment cités – gestion de l'énergie, de l'eau, des transports, prévisions climatiques… – ne relèvent pas de l'IA générative.
L'IA grande absente des textes actuels
Le CNNum liste enfin les initiatives pour réguler l'empreinte carbone du numérique, avec pour principal constat que l'IA est aujourd'hui la grande absente des textes actuels (loi REEN, loi antigaspi ou encore IA Act européen). De fait, les initiatives relèvent davantage du droit souple avec la création d'un code de conduite pour l'efficacité énergétique des centres de données (2022), le référentiel général pour l'IA frugale (2024) ou encore la coalition pour l'IA durable lancée en février 2025 lors du sommet mondial de l'IA. Sont aussi mentionnés les investissements publics dans le domaine de l'IA responsable, dont les démonstrateurs territoriaux (DIAT) et les AMI dédiés à la création de modèles d'IA génératives spécialisés, entrainés sur des données francophones. Les auteurs de la note soulignent en définitive la grande responsabilité des utilisateurs –grand public comme professionnels – invités à se questionner sur la réalité de leur besoin d'IA.
› Sensibiliser 2 millions de Français à l'IAClara Chappaz ministre déléguée chargée de l’intelligence artificielle et du numérique a demandé à Gilles Babinet de "consolider et pérenniser le dispositif des Café IA" porté par le CNNum. L'initiative "répond à une demande sociale croissante d’échange, de compréhension et d'appropriation des enjeux liés à l'IA" souligne le communiqué du 2 juin 2025. L'initiative, lancée il y a un an, a déjà mobilisé près de 10.000 participants, notamment grâce à la mobilisation des collectivités et des conseillers numériques France services. Ceux-ci peuvent désormais se former à l'animation de cafés IA dans le cadre d’un programme coordonné par l'Agence nationale de la cohésion des territoires avec la Mednum, la Banque des Territoires et Les Assembleurs. |