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Décentralisation - La réforme des collectivités entre les mains des députés

C'est au tour de la commission des lois de l'Assemblée de se pencher sur le projet de loi de réforme des collectivités. L'audition des ministres concernés a permis d'en savoir plus sur les points qui devraient être amendés... et de confirmer que la principale pierre d'achoppement reste le mode d'élection du conseiller territorial.

Le projet de loi de réforme des collectivités territoriales sera examiné en séance plénière à l'Assemblée nationale à partir du 25 mai - pour, espère le gouvernement, une adoption définitive à l'été. Les débats dureront 50 heures et s'étaleront probablement sur deux semaines. D'ici là, c'est la commission des lois qui est à pied d'oeuvre. Celle-ci doit examiner le texte ce mercredi 12 mai et a d'ores et déjà auditionné, le 4 mai, trois membres du gouvernement : Brice Hortefeux, Alain Marleix et Michel Mercier. Salle comble. Même chose dès le lendemain pour l'audition d'Edouard Balladur dont la commission présidée par Jean-Luc Warsmann souhaitait connaître la "réaction" à ce projet de loi en partie inspiré par son fameux rapport de mars 2009.
Pas de véritables annonces dans les propos des ministres. Quelques précisions toutefois, de petites ouvertures et des réactions par rapport aux modifications apportées lors du passage du texte au Sénat. Une confirmation, aussi : le casse-tête du mode de scrutin pour l'élection des conseillers territoriaux est loin d'être résolu, depuis que le gouvernement a accepté de revoir le "système mixte" qu'il avait initialement proposé (à savoir "l'élection de 80% des conseillers territoriaux au scrutin majoritaire à un tour et celle des 20% restants selon une répartition proportionnelle au plus fort reste des voix non utilisées"). En notant que le Premier ministre a lancé, le 27 avril, un "processus de consultation" des partis politiques sur la question - une question "à trancher au plus vite", a insisté Brice Hortefeux. Le 4 mai, le gouvernement n'avait reçu de la part des partis "que trois réponses sur les dix courriers envoyés", indiquait Alain Marleix. En sachant que dès le lendemain, le bureau politique de l'UMP se réunissait et tranchait en faveur d'un "scrutin majoritaire à deux tours secs", c'est-à-dire excluant les triangulaires. Ceci après avoir examiné trois options : "la proposition initiale d'un scrutin à un tour avec une dose de proportionnelle", "un scrutin majoritaire à deux tours mais avec des seuils modifiés", et "un scrutin majoritaire à deux tours secs", selon les termes de Frédéric Lefebvre.

 

Le scrutin de tous les mécontentements...

A l'Assemblée nationale pourtant, y compris du côté de la majorité, on n'a guère le sentiment d'une unanimité quant au mode de scrutin préférable ou acceptable. Ainsi, Dominique Perben, rapporteur du projet de réforme des collectivités, se dit "favorable à un scrutin uninominal majoritaire à deux tours" mais estime qu'au second tour, "supprimer les triangulaires n'est pas forcément la bonne solution". Quant à Edouard Balladur, il reste fidèle à la ligne qui avait été esquissée dans le rapport de son comité, à savoir celle d'un scrutin de liste proportionnel à deux tours assorti d'une prime majoritaire, "dans un cadre départemental ou infra-départemental" mais plus large que le canton. Il sait toutefois déjà qu'"il n'y aura pas de majorité pour voter la suppression du cadre cantonal". Si le scénario du scrutin majoritaire à deux tours devait l'emporter, Edouard Balladur se dit en tout cas "favorable à un seuil d'accès au deuxième tour". On a par exemple également entendu François Bayrou, en tant que député des Pyrénées-Atlantiques, se prononcer pour "un scrutin mixte avec part de proportionnelle compensatrice". "Si l'on a un scrutin uninominal à deux tours, je dis non", a-t-il poursuivi, alors même qu'il n'hésite pas à se poser en "défenseur du conseiller territorial" pour "sortir de l'ignorance mutuelle dans laquelle se trouvent la région et le département".
A gauche en tout cas, le mode de scrutin semble désormais cristalliser le mécontentement. Certes, l'idée même du conseiller territorial continue d'être rejetée en bloc - plusieurs députés PS l'ont largement rappelé les 4 et 5 mai, Bernard Derosier en tête, de Michel Vauzelle à Elisabth Guigou en passant par Alain Rousset. Mais tout se passe comme si les parlementaires d'opposition avaient cessé de se battre sur ce front jugé perdu d'avance. "La seule chose qui va rester de ce texte, c'est le conseiller territorial", a d'ailleurs lancé Alain Rousset, estimant entre autres que le volet intercommunalité du projet de loi "n'est pas audacieux" ("l'émiettement communal actuel sera maintenu car vous ne ferez pas plier le Sénat", a-t-il relevé à l'attention des ministres) et que la suppression de la clause générale de compétences des régions et des départements "ne passera pas". "Le gouvernement aurait pu plus facilement convaincre si on en était resté à votre proposition de mode de scrutin", a de son côté déclaré Daniel Vaillant le lendemain à l'adresse d'Edouard Balladur.

 

Quand le Sénat "complique le système"

Le secrétaire d'Etat Alain Marleix est pour sa part longuement revenu sur la question connexe et tout aussi complexe du nombre de conseillers territoriaux pour chaque département. Ou comment répartir les "effectifs" de ces quelque 3.000 futurs élus alors même qu'actuellement, "la représentation de chaque département au sein des conseils régionaux est très variable", que "le nombre de conseillers généraux est très différent d'un département à l'autre, même à population proche" et qu'"au sein même des départements, les disparités démographiques sont considérables" entre cantons (l'écart "atteint 1 à 45 dans l'Hérault", a relevé Alain Marleix). Si tout cela sera fixé "une fois déterminé avec certitude le mode de scrutin", le secrétaire d'Etat a indiqué que ce "tableau des effectifs sera communiqué d'ici la fin du mois aux sénateurs" puis aux députés. Une chose a d'ores et déjà été décidée : le nombre d'élus sera "au moins égal à 15 pour chaque département" (le plus petit département étant le Territoire de Belfort) et sera déterminé en fonction de la population, de l'étendue géographique, du nombre actuel de cantons et du nombre de communes. "La délimitation des nouveaux cantons sera effectuée à partir de la carte actuelle", a également précisé Alain Marleix.
Au-delà du conseiller territorial et de son mode d'élection, les auditions menées par la commission des lois a permis d'apercevoir sur quels points la majorité de l'Assemblée devrait, avec le soutien du gouvernement, modifier le texte voté par le Sénat en première lecture. Et de savoir quels autres points font encore largement débat, tels que celui sur le seuil démographique permettant d'accéder au statut de métropole, actuellement fixé à 450.000 habitants : "Vous déciderez", a lancé Brice Hortefeux aux députés.
S'agissant, toujours, des métropoles, Dominique Perben semble regretter que le Sénat ait tant réduit leurs compétences obligatoires pour les basculer dans "la partie conventionnelle". "Il ne faudrait pas que ma métropole ne soit plus qu'un simple label", prévient le rapporteur. Brice Horfefeux acquiesce. Et regrette que le Sénat soit "revenu en arrière sur l'intégration fiscale" au sein de ces mêmes métropoles. Edouard Balladur, dont le comité avait prévu "le transfert d'une bonne partie du pouvoir fiscal" de la commune à la métropole, devant le peu d'enthousiasme du Sénat", préconise quant à lui désormais "de ne recourir ni à l'obligation ni à l'interdiction, mais de faire confiance à l'évolution naturelle des choses" et de répondre "à la diversité des situations".

 

L'article 35 en suspens

Même posture concernant les communes nouvelles : le Sénat a eu "des craintes exagérées" et a "beaucoup trop compliqué le système", jusqu'à "le rendre complètement inapplicable", considère Brice Hortefeux, suivi par Dominique Perben, selon lequel "le Sénat a tellement verrouillé les choses qu'on est sûr que pas une seule commune nouvelle ne verra le jour"… Le ministre de l'Intérieur souhaite en tout cas que "l'Assemblée nationale retrouve un système beaucoup plus simple", y compris d'ailleurs s'agissant des possibilités de regroupements entre départements ou entre régions.
Autre disposition que les députés devraient retravailler : l'article 35 consacré à la répartition des compétences des régions et des départements, ainsi que les règles d'encadrement des cofinancements entre les collectivités territoriales. Sachant que la question des compétences sera en principe détaillée dans un autre texte (texte devant intervenir dans les douze mois suivant la promulgation de la loi de réforme des collectivités), cet article se contente d'énoncer quelques grands principes. Mais pour Dominique Perben, si la version sénatoriale est "assez sympathique", il "faudrait rédiger un article 35 plus normatif", permettant "d'attendre une loi sur les compétences - que l'on n'est pas certain de voir un jour - avec plus de sérénité". "Nous sommes prêts à travailler ensemble sur cet article. Nous ne sommes pas satisfaits de la version sortie du Sénat", a confirmé Michel Mercier, qui s'est pour sa part arrêté sur le volet "financements croisés" : "Il est inexact de prétendre que nous allons demander aux communes de financer au moins 50% des opérations qui les concernent. Nous comptons en rester à l'état du droit résultant d’un décret de 1999, qui impose aux communes maîtres d’ouvrage d’apporter 20% du financement des opérations. Pour les communes de moins de 2.000 habitants, nous n'envisageons pas d’autre règle que celle-là."
Bien d'autres questions restent à trancher, telle que la date limite d'achèvement de la carte intercommunale (Dominique Perben compte proposer juillet 2013 au lieu de décembre 2013, échéance jugée trop proche des municipales) ou l'épineuse répartition des rôles entre préfet et CDCI. Cinquante heures de débat en séance plénière ne risquent pas d'être de trop.

 

Claire Mallet