La ville de 2050, entre contraintes législatives et innovations territoriales
La ville de 2050, telle qu'imaginée lors d’un après-midi d’échanges organisé par Icade mardi 9 septembre à Paris, sera le fruit d'une alchimie complexe entre des cadres législatifs contraignants mais nécessaires, une conscience aiguë des défis climatiques, des innovations territoriales audacieuses et une volonté farouche des élus de s'adapter aux réalités locales.

© Elena Jeudy-Ballini/ Olivier Sichel, François de Mazières, Amel Gacquerre, Quentin Brière, Stephane Troussel, Emmanuelle Cosse, François Decoster et Christophe Lasnier
Dans un contexte de profondes mutations climatiques et sociales, Icade a réuni des acteurs clés de l'urbanisme et du logement mardi 9 septembre à Paris pour débattre de la ville de 2050. Au cœur des échanges, les défis posés par la décarbonation, la densification urbaine, et la recherche de solutions innovantes pour bâtir un avenir durable. Des élus aux institutions financières, chacun a apporté sa pierre à l'édifice d'une réflexion complexe.
D’emblée, Olivier Sichel, directeur général de la Caisse des Dépôts, a positionné la décarbonation et la transition climatique comme un "enjeu crucial pour les villes d'ici 2050". Il a salué l'avance du logement social en matière de rénovation thermique, citant l'exemple audacieux de la rénovation par l'intérieur de "petites maisons de mineurs, en brique rouge" classées Unesco dans le bassin minier. Optimiste, il anticipe un retour à plus de 100.000 logements sociaux construits annuellement, soutenu par l’environnement financier "très favorable" de la Caisse des Dépôts.
Mais l'effort ne s'arrête pas au logement. La rénovation des écoles, qui représentent "la moitié des bâtiments publics en France", est également une priorité pour la Caisse des Dépôts, qui finance la rénovation de 10.000 établissements. Ces projets sont souvent "complexes", allant de l'isolation à la désimperméabilisation des cours de récréation, des pompes à chaleur aux panneaux solaires.
Le cadre législatif : une épée à double tranchant
La sénatrice UDI du Pas-de-Calais Amel Gacquerre a d'emblée souligné l'importance des choix législatifs dans la construction de la ville de demain, insistant sur la "responsabilité de poser un cadre législatif qui permet d'accompagner ces nouveaux récits issus de l'histoire des territoires". Elle a mis en lumière la loi Climat et Résilience de 2021, et en particulier le principe de "zéro artificialisation nette" (ZAN), comme un "changement de paradigme" et une "opportunité réelle de penser la ville autrement, à partir de l'existant".
Cependant, cette ambition se heurte à des réalités de terrain. Si la loi est en grande partie comprise par les élus, elle nécessite un accompagnement dans certaines parties du territoire, notamment dans les zones moins équipées. François de Mazières, maire (DVD) de Versailles (Yvelines), a déploré la "contradiction des lois", qui pèse lourdement sur le secteur de la construction. Il a illustré son propos avec le projet du plateau urbain de Satory à Versailles, où des terrains “qui devaient au départ être amenés gratuitement par l’État”, se sont transformés en un fardeau financier colossal, avec "109 millions d’euros à prendre en charge pour l'opération", en raison de compensations environnementales et de transferts d'infrastructures. “Il y a aujourd’hui un nombre de contradictions que nous, petits acteurs du bout de la chaîne, avons du mal à vivre”, a regretté le maire de Versailles.
Amel Gacquerre a également attribué cette "inflation législative et réglementaire" à "l'instabilité politique dans laquelle nous sommes", qui empêche de "poser sur la table une vision partagée et d'aller sur des grands projets de loi". Elle a pointé du doigt la multiplication des dérogations aux normes, suggérant que "c'est peut-être la norme qu'il faut interroger”, plutôt que d'accumuler des exceptions.
Réinventer l'urbanisme : des entrées de ville au jumelage foncier
Pour penser la ville de 2050, des pistes innovantes émergent. Christophe Lasnier, directeur général adjoint de la Scet, a mis en avant le potentiel de création de logements issu de la transformation des entrées de villes, identifiant "3.800 sites et 80.000 hectares de fonciers". Une opportunité qui pourrait générer 1,6 million de logements et permettre la renaturation de quelque 10.000 hectares (voir notre article de juin sur le baromètre Icade / Scet consacré à cet enjeu). "Évidemment, Rome ne s'est pas faite en un jour. Mais on a là un potentiel assez massif dans ces grands espaces qu'on fréquente tous plus ou moins dans notre vie quotidienne." Cette perspective répondrait en outre à une attente forte des Français, selon le directeur général adjoint de la Scet qui y voit "l'une des priorités importantes des futurs mandats locaux".
Emmanuelle Cosse, présidente de l’Union sociale pour l’habitat (USH), a abondé dans ce sens, reconnaissant que "les fonciers ont été gâchés de manière incongrue et à une vitesse folle". Elle a souligné la complexité de transformer ces zones : "Cela va coûter énormément d'argent pour en faire quelque chose. Ce ne sont pas que des mètres carrés : transformer ces zones suppose aussi de travailler sur les réseaux, les voiries, et sur l’avenir des services publics."
Les territoires aux réalités économiques et foncières spécifiques nécessitent des approches créatives. Quentin Brière, maire de Saint-Dizier, ville moyenne éloignée des aires d'influence des grandes métropoles et très désindustrialisée, a partagé une nouvelle fois son idée de "jumelage foncier" (lire notre article). Confronté à un marché immobilier tellement détendu qu'il est quasiment impossible de pouvoir attirer des promoteurs, la ville comptabilise déjà 43% de logements sociaux. Pour créer "une mixité par le haut", Saint-Dizier s'est associée à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) avec Grand Paris Aménagement. Un promoteur, Pichet, a ainsi accepté de construire 50 logements neufs non sociaux à Saint-Dizier en échange de droits à construire pour 80 logements à Aubervilliers. "À Saint-Dizier, avec 50 logements neufs non sociaux, on change la face de la ville !", a souligné le maire de la commune.
À Saint-Omer (Pas-de-Calais), c'est la valorisation du patrimoine existant qui est au cœur de la stratégie. François Decoster, son maire (Renaissance), a mis en œuvre un "plan de sauvegarde et de mise en valeur" (PSMV), fruit de "2.800 visites de parcelles pendant 6 ans". Sa ville doit accueillir les besoins en logement liés aux grands projets industriels du Dunkerquois. ZAN oblige, l'enjeu est de retrouver les capacités de rénover le tissu urbain ancien, ce qui, de l’aveu de l’édile, nécessite un "dialogue un peu musclé" avec les investisseurs pour adapter les offres aux demandes de la population, notamment les jeunes retraités en quête de logements adaptés.