Lanceurs d'alerte : les collectivités face à de nouvelles obligations

Deux lois publiées le 22 mars renforcent la protection des lanceurs d'alerte et aménagent les dispositifs de signalement éthique. Les collectivités ayant l'obligation de mettre en place une procédure interne pour recueillir d'éventuels signalements vont devoir se conformer à de nouvelles règles.

Les plus grandes collectivités et intercommunalités sont appelées à se familiariser avec un nouveau dispositif d'alerte éthique, qui entrera en vigueur dans quelques mois. C'est le résultat de la publication, le 22 mars, de deux lois, l'une ordinaire et l'autre organique, sur la protection des lanceurs d'alerte. Ces deux lois initiées par le député (MoDem) Sylvain Waserman, avaient été votées peu avant la fin de la session parlementaire. Elles ont pour objectif de transposer une directive européenne du 23 octobre 2019 sur "la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union". Un texte qui concerne uniquement les milieux professionnels et un certain nombre de secteurs d’activité spécifiques. Mais les parlementaires français ont décidé d'une transposition beaucoup plus large.

Cette réforme conduit à faire évoluer les dispositifs inscrits dans la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi "Sapin 2". Celle-ci prévoyait que "le signalement d'une alerte est porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l'employeur ou d'un référent désigné par celui-ci". Et qu'"en l'absence de diligences (…) dans un délai raisonnable", il est "adressé à l'autorité judiciaire, à l'autorité administrative ou aux ordres professionnels". En "dernier ressort" et après un délai minimum de trois mois, le signalement peut être rendu public. Ces principes se traduisent par l'obligation pour les plus grandes collectivités et intercommunalités de mettre sur pied "des procédures appropriées de recueil des signalements". Définies concrètement par un décret du 19 avril 2017, celles-ci sont entrées en vigueur le 1er janvier 2018.

Accuser réception après sept jours au plus

Mais l'obligation faite aux lanceurs d'alerte de privilégier les canaux internes pose des difficultés. Elle est "propice à la poursuite des faits dénoncés, à la disparition d’informations importantes et à la mise en place de représailles contre le lanceur d’alerte", explique Sylvain Waserman dans le rapport qu'il a établi pour la discussion parlementaire. La loi ordinaire revient donc sur cette incohérence, en laissant la possibilité au lanceur d’alerte de passer par la voie de son choix. Elle dispose ainsi que les lanceurs d'alerte "peuvent" effectuer un signalement "par la voie interne", "notamment" lorsqu'ils "estiment qu'il est possible de remédier efficacement à la violation par cette voie" et qu'ils "ne s'exposent pas à un risque de représailles". Mais elle poursuit : "Tout lanceur d'alerte (…) peut également adresser un signalement externe, soit après avoir effectué un signalement interne (…), soit directement".

Pour faciliter les signalements par la voie interne, les personnes morales de droit public employant au moins 50 agents seront "tenues d'établir une procédure interne de recueil et de traitement des signalements, après consultation des instances de dialogue social". Toutefois, les communes de moins de 10.000 habitants, les établissements publics qui leur sont rattachés et les intercommunalités qui ne comprennent aucune commune dépassant une population de 10.000 habitants sont exemptés de cette obligation. La procédure devra respecter un certain nombre d'exigences, qui seront déterminées par un décret en Conseil d'Etat. Suivant la directive européenne, le texte devrait imposer la remise d’un accusé de réception sept jours au plus tard après le signalement et un retour d’information au plus tard trois mois (ou six mois pour les affaires les plus complexes) après cet accusé de réception. Des exigences en termes de confidentialité et d’impartialité devraient aussi s'y trouver.

Défenseur des droits

La loi ouvre des possibilités de mutualisation pour certaines des entités concernées, à la condition qu'elles respectent certains points, qui figureront dans le décret d'application. C'est lorsqu'ils ont moins de 250 agents que les communes et les établissements publics pourront "mettre en commun leurs procédures de recueil et de traitement des signalements". En outre, lorsqu'ils sont membres d'un centre de gestion de la fonction publique territoriale, les communes et leurs établissements publics pourront confier à celui-ci le recueil et le traitement des signalements internes, et ce "quel que soit le nombre de leurs agents".

S'il préfère ne pas s'en remettre à la procédure mise en place par la structure dont il dépend, le lanceur d'alerte pourra effectuer son signalement "en externe". Cela revient à saisir une autorité administrative, ou une autorité indépendante, ou un ordre professionnel, ou une personne chargée d'une mission de service public, ou encore l'autorité judiciaire. La liste précise des entités susceptibles de recevoir les alertes externes sera définie par un décret en Conseil d'État. L'intéressé pourra aussi saisir le Défenseur des droits, qui aura pour mission de l'orienter vers la ou les autorités ad hoc. D'ailleurs, la loi organique qui a été publiée le 22 mars, renforce le rôle de cette institution à l'égard des lanceurs d'alerte. Elle devra désormais les "informer", les "conseiller" et "défendre" leurs droits et libertés. Ces nouvelles missions seront assurées par un nouvel adjoint au Défenseur des droits "chargé de l’accompagnement des lanceurs d’alerte".

Protection contre les représailles

Par ailleurs, la loi renforce la protection des lanceurs d'alerte contre les représailles, les menaces et les tentatives de représailles, et étend cette protection aux personnes qui les aident. À ce sujet, elle dresse une liste de mesures prohibées, toutes issues de la directive européenne : suspension, mise à pied, licenciement, rétrogradation ou refus de promotion, transfert de fonctions, changement de lieu de travail, réduction de salaire, évaluation de performance négative, discrimination, mise sur liste noire...

Le code général de la fonction publique est modifié en conséquence. Il dispose qu'un agent public ayant effectué un signalement ou une divulgation publique ne peut faire l'objet d'une mesure concernant notamment "le recrutement, la titularisation, la radiation des cadres, la rémunération, la formation, l'appréciation de la valeur professionnelle, la discipline, le reclassement, la promotion, l'affectation, les horaires de travail ou la mutation".

La loi définit le lanceur d'alerte comme "une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l'intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d'une violation d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, du droit de l'Union européenne, de la loi ou du règlement."

Ces dispositions entreront en vigueur le 1er septembre prochain. L'application de plusieurs d'entre elles, notamment le dispositif d'alerte interne, est en outre conditionnée à la publication d'un décret.

Références : loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte ; loi organique n° 2022-400 du 21 mars 2022 visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d'alerte.

 

La corruption, premier des délits dénoncés

Les faits susceptibles de faire l’objet d’une alerte sont multiples.

Dans un guide paru en 2017, le Défenseur des droits cite, dans le domaine économique, "les infractions de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics ou encore de favoritisme". Dans le domaine de la santé, de l’environnement, de la sécurité sanitaire, l'institution mentionne "les agissements susceptibles de faire courir un risque majeur ou un préjudice grave pour la population".

C'est "en révélant des faits" et "en respectant impérativement la procédure de signalement" telle que définie par les textes, que le bénéfice du régime protecteur de lanceur d’alerte est applicable, souligne le Défenseur des droits.

78% des alertes ayant fait l'objet d'un accompagnement en 2020 et 2021 par la Maison des lanceurs d'alerte – une association de soutien fondée par une vingtaine d'organisations, dont Transparency France - relevaient du cadre du travail. Parmi ces alertes, 37% concernaient le secteur public et 41% le secteur privé. La corruption (38%) arrivait en tête des faits dénoncés, devant les risques sanitaires et environnementaux (15%), la maltraitance et les violences institutionnelles (14%), les discriminations, le harcèlement et les infractions en matière de santé et sécurité au travail (14%).

 

 

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