Le haut-commissariat à la Stratégie et au Plan prône un renforcement tous azimuts de la politique santé-environnement

Le haut-commissariat à la Stratégie et au Plan a remis, ce 29 octobre, une somme colossale de cinq rapports consacrés à l’évaluation des politiques de santé environnementale. Il s’agit de "l’étude de politiques publiques la plus complète et la plus à jour sur cette question de société", a relevé le haut-commissaire, Clément Beaune. Nombreuses, variées mais souvent disparates, selon les quatre facteurs environnementaux objet ici d’un focus - pesticides, PFAS, particules fines (dans l’air) et bruit -, les politiques santé-environnement souffrent entre autres d’une fragmentation entre les échelles européenne, nationale et locale. Il s’agit pourtant d’un enjeu crucial, qui fera l’objet d’exigences croissantes, comme l’ont montré les vifs débats autour de la loi Duplomb ou l’émergence de la question des polluants éternels (PFAS). Plusieurs pistes de recommandations sont formulées pour "agir mieux", certaines intéressant directement les collectivités territoriales, dont l’accompagnement y compris financier doit être accru sur la planification régionale, la dépollution de l’eau potable, la résorption des points noirs du bruit ou la lutte contre la pollution de l’air.

Que sait-on des effets des expositions environnementales sur la santé des populations ? Les politiques mises en œuvre sont-elles à la hauteur des enjeux ? Et quelles pourraient être les pistes pour les améliorer ? Pour y répondre, le haut-commissariat à la Stratégie et au Plan (HCSP) a examiné quatre pollutions majeures : les pesticides, les PFAS (ou polluants éternels), les particules fines (dans l’air) et le bruit ("parent pauvre des actions publiques"). 

Les quatre rapports thématiques qui y sont consacrés formulent de grands axes de réforme autour de la gouvernance, de la connaissance, de la décision, et de la réduction des risques. S’y ajoute un cinquième rapport contenant à lui seul une vingtaine de recommandations transversales "pour agir mieux". "La somme de ces rapports est je crois aujourd’hui la plus à jour et la plus détaillée sur ces questions de santé environnementale des politiques publiques dans notre pays", s’est félicité le haut-commissaire, Clément Beaune, lors de la présentation avec l’équipe projet de cette étude qui provient d’une demande de l’Assemblée nationale, via le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC). "Quand les politiques publiques sont constantes, déterminées bien articulées entre l’État et les collectivités territoriales, on arrive à des résultats. C'est quand même la bonne nouvelle, l’efficacité est possible, face à ces polluants !"

L’exemple le plus marquant concerne selon lui la qualité de l’air : les émissions de particules fines ont diminué de 56% entre 2000 et 2023 en France ; et entre 2005 et 2022, le nombre de décès attribuables à ces particules a diminué de 53%. "C’est le fruit de politiques volontaristes, principalement menées au niveau local ; le débat récent sur les ZFE [zones à faibles émissions] apparaît ainsi d’autant plus absurde que les politiques de restriction de la circulation existent déjà, sont largement répandues dans nos municipalités, et produisent des résultats puissants", remarque-t-il.

Des politiques nombreuses mais insuffisantes face aux enjeux

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un quart de la mortalité prématurée mondiale est imputable à des facteurs environnementaux. En France, ces derniers causeraient autant de décès que le tabac et vingt fois plus que les accidents de la route. Les sources de pollution multiples (eau, sols, air, jusqu’aux organismes vivants) provoquent cancers, maladies métaboliques, troubles cardiovasculaires ou du sommeil. Et l’ensemble de ces nuisances se combinent pour produire des "effets cocktail" encore mal connus. 

Malgré les progrès de la connaissance, il y a une difficulté à établir un rapport de causalité immédiat entre les expositions et l’apparition des pathologies, et l’appropriation des travaux de la science est "ralenti par des processus de fabrique de la décision encore assez rigides", ce qui retarde l’adoption de réglementation, observe Mathilde Viennot, cheffe de projet. Les évaluations existantes confirment néanmoins un coût social élevé des atteintes à l’environnement pour la pollution de l’air, le bruit et les PFAS. 

Aucun chiffrage n’existe pour les pesticides en France. En réponse, les politiques de santé environnementales sont "nombreuses, variées mais souvent disparates". Elles restent en outre "fragmentées entre échelles européenne, nationale et locale", parfois contradictoires, peu évaluées, et souvent curatives (dépollution). Et le principe pollueur-payeur est "peu appliqué". 

Les stratégies nationales comme le Plan national santé-environnement (PNSE) n’assurent pas la cohérence d’ensemble, tandis que de nombreux plans sectoriels manquent de moyens et de suivi. En résumé, "peu de coordination institutionnelle, des tensions avec les objectifs économiques, une faible connaissance du sujet, que ce soit chez les professionnels de santé ou chez les décideurs publics, renforcée par un manque de moyens dédiés à l’accompagnement". 

Recommandations transversales. Au total une vingtaine, qui s’articulent en cinq axes : 

  • se doter d'une stratégie nationale en santé environnementale mieux articulée avec les déclinaisons territoriales, avec un pilotage de long terme (qui pourrait être confié au Secrétariat général à la planification écologique) et des moyens adaptés pour les plans régionaux (PRSE) et pour les collectivités locales qui sont en première ligne pour réduire les inégalités territoriales de de santé ; 

  • renforcer la stratégie de recherche et y allouer des moyens suffisants garantis dans le temps, en partie par une fiscalité accrue sur les activités polluantes ;

  • renforcer le rôle de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) "pour traduire des signaux faibles en politique publique" (sensibiliser les parlementaires aux notions de prévention et de précaution, commander des expertises collectives) ;

  • renforcer les études préalables et les études d’impact, notamment en donnant à l’Anses les moyens de réexaminer rapidement les substances en cas de nouvelles données scientifiques (procédures d’autorisation de mise sur le marché) et en développant un volet relatif à la santé environnementale dans les projets de loi et les projets d’infrastructures pour intégrer le "fardeau sanitaire" dans la prise de décision.

  • mettre en débat et rendre transparentes les décisions publiques (de l’Anses par exemple) et proposer l’organisation d’une convention citoyenne sur les politiques de santé environnementale sur l’acceptabilité sociale du risque. 

 

Sur les pesticides

L’utilisation des pesticides reste importante en France (d’ailleurs en tête avec un quart des ventes de pesticides de l’Union européenne) avec des effets notoires sur la santé humaine, notamment des travailleurs agricoles et populations riveraines. "À partir des années 1970, les pouvoirs publics ont commencé à surveiller la présence de pesticides et produits de dégradation appelés métabolites dans l'environnement ainsi que dans les aliments solides et dans l'eau potable. On s'est alors rendu compte de la pollution large et généralisée par ces composés en particulier des rivières et des nappes", appuie Hélène Arambourou, adjointe au directeur département environnement.

En 2023, près d’un quart de la population française a reçu au moins une fois dans l’année une eau qui avait dépassé les limites de qualité en pesticides. Sur la période 2020-2022, plus de la moitié des stations de mesure en rivière mettent en évidence un risque pour les écosystèmes lié à la présence de pesticides compromettant l’atteinte de l’objectif de bon état chimique et écologique fixé par la directive-cadre sur l’eau. Et les résultats du plan Ecophyto mis en place en 2008 avec l’objectif de réduire de 50% les usages sur dix ans se sont révélés relativement limités.

Recommandations (qui pour certaines recoupent les préconisations transversales) : 

  • ainsi le HCSP propose pour améliorer le dispositif d'autorisation de mise sur le marché que la France porte au niveau des instances européennes et de l'OCDE une refonte des lignes directrices de façon à pouvoir intégrer les résultats les plus récents de la recherche ainsi que les effets d’une exposition à des mélanges. 

  • la deuxième proposition porte également sur la prévention à la source en soutenant l’agroécologie et l’agriculture biologique, et en particulier par le levier financier de la PAC (réorientation des aides du premier pilier vers des pratiques sobres sans entrants chimiques). Pour assurer les débouchés, l’obligation d’utiliser des produits provenant de l’agriculture biologique dans la restauration collective devra aussi être appliquée et renforcée.

  • sur le volet exposition, le HCSP estime indispensable de prioriser les efforts sur la protection de la ressource en eau potable, dont la pollution par les pesticides entraîne un coût élevé pour les collectivités et in fine pour les usagers. Il recommande d’interdire les pesticides dans les aires d’alimentation de captage et de développer concomitamment les paiements pour services environnementaux à destination des agriculteurs. Leur financement pourrait être assuré là encore en mobilisant la PAC ou par une augmentation des redevances pour pollutions diffuses. 

  •  il serait également opportun de développer des études d’imprégnation pour suivre l’exposition aux pesticides de la population, et en particulier des riverains, et des études épidémiologiques pour suivre les effets d’une exposition. Sans négliger les premières victimes des pesticides à savoir les agriculteurs, pour lesquels le HCSP propose des actions spécifiques, notamment pour réduire le phénomène de sous-déclaration des maladies professionnelles. 

 

Sur les PFAS 

Sur les milliers de molécules extrêmement persistantes dans l’environnement, que compte la famille des PFAS, un nombre restreint de composés fait l’objet d’une surveillance réglementaire. Et le dernier avis que l’Anses leur dédie s’en fait l’écho (lire notre article). Un pas a été franchi avec la loi PFAS de 2025 visant à interdire progressivement leur usage dans certains produits du quotidien et tendre vers la suppression des rejets de PFAS en 2030. 

Recommandations (qui recoupent celle de l’Anses) :

  • la première a pour objectif de réduire les émissions à la source. Le HCSP propose que la France soutienne au niveau européen une restriction ambitieuse. Actuellement est en cours d’instruction, la demande de cinq États membres auprès de l’Agence européenne des produits chimiques (Echa) d’interdiction de tous les PFAS. Récemment, l’Echa a proposé de réduire sa portée en excluant certains secteurs d’activité.

  • au niveau curatif, il s’agit d’accompagner les acteurs locaux dans la dépollution de l’eau, et d’augmenter la taxe pollueur-payeur et d’étendre l’assiette des redevables, aujourd’hui limitée aux ICPE soumises à autorisation. Pour la partie sols, il est proposé de soutenir le fonds Friches de façon à dépolluer les sites les plus contaminés

  • concernant spécifiquement l’exposition par la voie alimentaire, le HCSP propose que la France soutienne une refonte des teneurs maximales autorisées dans les aliments (qui ne concerne aujourd’hui au niveau européen que quatre PFAS dans les denrées animales), de façon à couvrir aussi les composés présents dans les emballages alimentaires et les denrées végétales.

  •  enfin, tout comme pour les pesticides, le rapport recommande de soutenir les études d'imprégnation et épidémiologiques et en particulier dans les territoires identifiés comme très contaminés par les PFAS

 

Sur le bruit

L’ampleur de l'exposition au bruit des transports est la plus connue et documentée. Au niveau européen, on estime à environ 112 millions - d'après l'Agence européenne de l'environnement (AEE) - les habitants qui vivent à des niveaux de bruit dommageable pour la santé à cause des transports. En France, entre 24 et 45 millions (données Ademe) avec un périmètre d’exposition plus large. Et selon l’AEE, 13.000 décès prématurés en France par an pourraient être liés à l'exposition au bruit. 

La directive-cadre de 2002 impose de cartographier l’exposition au bruit et d’élaborer des plans de prévention du bruit dans l’environnement (PPBE) pour les grandes agglomérations et les infrastructures de transport. "Cet outillage est aujourd'hui insuffisant et ne permet pas de réduire significativement l'exposition de la population aux nuisances sonores à la fois à cause d'un manque d’objectifs au niveau national, d'une absence de contrainte de résultats au niveau local et d'un accompagnement qui est insuffisant à la fois pour les collectivités et les riverains les plus exposés", relève Alice Robinet, cheffe de projet. L’objectif européen de réduction de 30% de la population exposée au bruit d’ici 2030 ne devrait donc pas être atteint

Recommandations. Pour doter la France d’une véritable stratégie de lutte contre les nuisances sonores, le HCSP propose :

  • de fixer des objectifs nationaux chiffrés, assortis d’obligations de résultats, et renforcer la gouvernance régionale pour accompagner les collectivités, en priorisant la résorption des points noirs du bruit ; et de manière concomitante de déployer des observatoires régionaux du bruit à l'instar de Bruit Paris en Île-de-France pour accompagner techniquement les collectivités dans la mise en œuvre de leur action ;

  • de consolider les outils existants que ce soit en matière de financement de l’isolation acoustique des bâtiments, de taxation des nuisances sonores aériennes, de sanctions des comportements les plus bruyants (déploiement des radars sonores en cours d’homologation) et d’accroître les mesures de restriction de la circulation ;

  • de renforcer les actions de sensibilisation du public sur l’environnement sonore et ses conséquences sanitaires, et mettre en place un indicateur de la qualité sonore à l’image des dispositifs existants pour la qualité de l’air ; 

  • d’adapter les indicateurs de mesure et les seuils d’exposition aux connaissances scientifiques et d'améliorer la prise en compte des effets sanitaires du bruit dans les études d’impact

  • pour ce qui est du bruit en milieu professionnel, de renforcer la prévention, notamment avec l'obligation du suivi audiométrique des salariés exposés. 

 

Sur les particules fines dans l’air

Il s’agit d’un facteur bien documenté, qui bénéficie de politiques publiques anciennes et plutôt efficaces pour ce qui concerne les transports. Toutefois, les concentrations de particules fines restent élevées dans les zones urbaines et le "fardeau sanitaire" associé est toujours conséquent (pathologies respiratoires et vasculaires responsables de 21.000 décès prématurés par an selon l’AEE en 2022). 96% des citadins de l'Union européenne étaient ainsi exposés en 2020 à des niveaux de particules fines qui sont supérieures à la valeur recommandée par l'OMS

Autre constat remonté par la cheffe de projet Aurore Lambert, les particules se déplacent. À Paris, 20% des particules fines sont dues à l'agriculture. "Ces particules qui se déplacent sont aussi issues des incendies de forêt qui sont de plus en plus nombreux en raison du changement climatique". 

Recommandations : 

  • améliorer la connaissance des particules. Le HCSP propose d'intégrer ces particules ultra fines dans la politique de surveillance sans attendre 2030 ; et d’assurer un financement suffisant et pérenne des associations agrées pour la surveillance et la qualité de l'air (AASQA) ;

  • renforcer l’implication des collectivités dans la lutte contre la pollution de l’air. Ces collectivités dans leur ensemble sont "très mobilisées" et ce que le haut-commissariat propose "c'est de leur diffuser un guide de bonnes pratiques issu des travaux d’évaluation des co-bénéfices en santé des actions environnementales, menées sur un plan de lutte contre le changement climatique par exemple mais qui favorisent également les mobilités et lutte contre la sédentarité des populations" ;

  • favoriser la diminution des émissions par les transports. Cela impose de maintenir l'objectif de réduction de la circulation des véhicules à moteur thermique en ville via des ZFE ou des mesures alternatives avec un accompagnement renforcé (leasing social) ; 

  • favoriser la diminution des émissions par le tertiaire résidentiel (source principale). Cela impose de diminuer les besoins en chauffage donc d’amplifier le rythme de rénovation énergétique des logements, de mener des actions sur le combustible (réorienter les soutiens au bois énergie vers les filières de production de matériaux bois à durée de vie longue) - une proposition qui figurait déjà dans une orientation proposée par France stratégie en 2023 - et enfin d'interdire progressivement les cheminées à foyer ouvert en zone urbaine et péri-urbaine. Cette mesure est déjà effective en certains points du territoire et "mériterait d'être étendue". 

 

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