PFAS : l’Anses prône une stratégie graduelle de surveillance pérenne, exploratoire et localisée
Parmi les milliers de composés PFAS ou "polluants éternels", peu d'entre eux sont recherchés et documentés, exception faite des quelques substances intégrées dans les dispositifs de contrôle réglementaires. C’est en substance la conclusion tirée du premier bilan dressé par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) sur la contamination par les PFAS en France. Le constat est fait d’une grande hétérogénéité des données suivant les compartiments et les molécules. Ainsi sur l’air, les sols, les poussières et l’exposition professionnelle, dépourvus de surveillance obligatoire, les données sont parcellaires voire inexistantes. Une nouvelle stratégie de surveillance différenciée est donc proposée pour prioriser les actions et combler les lacunes.

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Saisie il y a près de trois ans par ses cinq ministères de tutelle de l’époque sur la problématique des PFAS ou "polluants éternels", l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a dévoilé ce 22 octobre le résultat de ses travaux sous la forme d’un avis assorti de deux rapports. Extrêmement persistants, les PFAS se retrouvent dans tous les compartiments de l’environnement, exposant les populations à travers l’air, les aliments et l’eau potable, ou encore l’utilisation de différents produits et objets du quotidien. Et, compte tenu du très grand nombre de substances (plusieurs milliers), le défi majeur est de prioriser les actions pour prévenir ou limiter les risques sanitaires et environnementaux et formuler des recommandations sur les évolutions à apporter aux dispositifs de surveillance.
C’est la tâche à laquelle s’est attelée l’Anses par ses travaux de catégorisation (rapport partie 2) après avoir établi un état des lieux (rapport partie 1) des niveaux de contamination dans les différents sous-compartiments (eaux, sédiments, biotes, aliments, air/poussières intérieures et extérieures, et sols) et données de biosurveillance. En s’appuyant sur ce bilan ainsi que sur le niveau d’informations disponibles sur la toxicité de ces substances, l’avis propose des approches de surveillance différenciées selon les sous-compartiments et pour différents groupes de substances. Le travail de l’Anses se veut donc complémentaire de la prévention à la source mobilisée au niveau européen (restriction Reach) et au niveau national par le plan interministériel et en application de la loi PFAS qui restreint progressivement certains usages dès 2026.
Près de 2 millions de données mobilisées…
L’Agence a mené un travail considérable d’agrégation sur près de 2 millions de données collectées, celles issues de la littérature scientifique et celles compilées dans des bases de données (publiques ou fournies par des organismes privés), principalement en France, ou, faute de données disponibles pour certains compartiments, en Europe (notamment pour l’air, les sols, les poussières) voire au-delà pour les produits de consommation, le marché étant mondial. Pour autant, elles concernent uniquement 142 PFAS recherchés au moins une fois dans un des sous-compartiments étudiés. "Cela peut paraître peu au regard du nombre de substances que compte cette 'famille', mais en même temps montre qu'il y a un gros travail qui est engagé de surveillance, de contrôle ou de recherches", relève Céline Druet, directrice adjointe de l’évaluation des risques. Pour la catégorisation des substances à considérer dans la stratégie de surveillance, qui repose à la fois sur ce bilan et sur des informations complémentaires (propriétés physico-chimiques, sources) et la toxicité, le nombre est porté à 247 PFAS pris en compte, permettant par exemple, d’intégrer le TFA (acide trifluoroacétique), issu notamment de la dégradation de pesticides, et à ce stade non réglementé.
… et des zones encore vierges
"Pour certains compartiments, ce qui nous a frappés, c'est qu'il y a peu, voire pas de données, notamment pour les compartiments 'air-sols-poussières' ou pour l'exposition professionnelle", remonte Céline Druet. Avec un premier constat : l'hétérogénéité des données disponibles entre les compartiments et entre les molécules. Cela est en partie lié au degré d’avancement des exigences réglementaires, qui représentent un important levier pour déclencher des campagnes de surveillance. Sans surprise, les molécules les plus fréquemment analysées, tous compartiments confondus, étant celles ciblées par la Directive 2020/2184 "eau potable" (EDCH-eaux destinées à la consommation humaine) - 20 PFAS y sont listés et intègreront la surveillance obligatoire à partir du 1er janvier 2026 - et le règlement (UE) 2023/915 fixant pour quatre PFAS des teneurs maximales dans certaines denrées alimentaires (œufs, produits carnés et produits de la pêche). Ainsi, les sous-compartiments "eaux" (milieux et EDCH) ont fait l’objet de plus de suivis. La compilation des données met notamment en évidence huit PFAS quantifiés dans plus de 20% des analyses d’eau distribuée (PFPeA, PFHxA, PFBA, PFOA, PFOS, PFHxS, PFHpA et PFBS).
Pour l’alimentation, "il y a des données mais moins". À l’inverse, les données pour le compartiment "air, poussières et sols" sont rares, en partie du fait de l’absence de programme de surveillance réglementaire à ce jour et du besoin de préconisation sur les méthodes de mesure à déployer. En particulier, aucune donnée dans l’air intérieur en France n’a été identifiée.
Concernant la biosurveillance de la population générale, là encore peu de données sont disponibles. L’Anses s’est appuyée sur les résultats des études Esteban, menées par Santé publique France, et Elfe, pilotée par l’Institut national d’études démographiques et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Et globalement, "les moyennes des teneurs en PFAS mesurées dans le sang de la population française sont du même ordre de grandeur que celles mesurées au niveau européen, à la fois pour les enfants et les adultes".
Concernant le nombre de données disponibles par molécule, une forte disparité est aussi observée selon les groupes de substances. Concernant le traitement de l’eau destinée à la consommation humaine, par exemple les PFAS à chaîne courte et ultra-courte (PFAS-UC), qui sont les plus difficiles à éliminer en raison de leur forte polarité et de leur petite taille ainsi que les PFAS autres que les 20 réglementés "sont peu ou pas considérés dans ces études". Par ailleurs, quelle que soit la technique proposée, les procédés de traitement génèrent des déchets, concentrés en PFAS, pour lesquels il n’existe à ce jour que peu de travaux quant à leur destruction.
Une stratégie graduelle et itérative
Pour proposer une extension de la surveillance adaptée à la situation, l’Anses a développé une méthode de catégorisation des PFAS. Avec l’objectif de créer un outil "qui ne soit pas figé à un instant T, mais plutôt évolutif au gré de l’acquisition de nouvelles connaissances", pour in fine identifier les PFAS à inclure dans des stratégies différenciées selon les milieux/les compartiments, explique Nawel Bemrah, coordonnatrice du groupe de travail PFAS. La méthode de l’Anses résulte du croisement des niveaux d'informations disponibles sur la présence de PFAS dans les différents compartiments (score occurrence) et sur la toxicité des substances elles-mêmes (score toxicité).
Trois types de surveillance sont proposés. Une surveillance pérenne pour les substances les plus préoccupantes et récurrentes. Cette surveillance pourra s’appuyer, quand ils existent, sur les réseaux de surveillance déjà opérationnels à l’échelle nationale, et concerne les molécules pour lesquelles le score d’occurrence est suffisamment étayé pour confirmer la pertinence du suivi régulier dans le sous-compartiment concerné. Une surveillance exploratoire avec l’objectif d’acquérir des "données complémentaires" pour des PFAS mis en évidence dans un ou plusieurs sous-compartiments mais de manière moins probante, par insuffisance de données. Avec l’idée de confirmer l’intérêt de les intégrer dans un dispositif pérenne ou au contraire de les sortir de la surveillance. Et enfin, la surveillance localisée des sources d’émissions consistant à investiguer en lien avec les acteurs locaux dans le cas de situations particulières, qu’elles soient liées à des contaminations historiques ou à l’existence de sites d’émissions ou d’accumulation des substances.
Les stratégies de surveillance proposées sont déclinées pour les différents compartiments, charge aux pouvoirs publics et aux acteurs économiques de se saisir de ces recommandations. Parmi celles-ci, l’Agence prône une extension de la liste de 20 PFAS qui seront contrôlés en France dans l'eau du robinet à partir du 1er janvier 2026, avec l'ajout de cinq PFAS supplémentaires, dont le TFA. Pour l’alimentation, le spectre de quatre PFAS surveillés à l’échelle européenne (PFOS, PFOA, PFHxS, PFNA) dans les poissons, viandes et œufs pourrait être étendu à plus d'une vingtaine de PFAS (et au TFA à titre exploratoire) et d'autres types d'aliments contrôlés comme les céréales, les fruits et légumes, le miel, le sucre et les aliments pour enfants.
Des sources à investiguer davantage
"Il y a dans le travail qui a été fait une identification d'un certain nombre de trous assez conséquents", soulève Mathieu Schuler, directeur général délégué du pôle Sciences pour l’expertise. La recherche de nouvelles données, en particulier pour les compartiments en comportant très peu comme l’air (intérieur et extérieur), sols et poussières, est donc encouragée par l’Agence. L’acquisition de données d’exposition professionnelle est également recommandée, en s’appuyant notamment sur les travaux de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) dont les résultats sont attendus d'ici peu. Parmi les sources de PFAS encore mal caractérisées et devant être investiguées, l’Anses a aussi identifié les MCDA/MCDE (matériaux au contact des denrées alimentaires, matériaux au contact de l’eau), les matériaux de construction, les boues et les produits de consommation.
Peu d’études permettent par ailleurs de quantifier leur contribution aux transferts de PFAS vers les milieux environnants ou vers l’eau potable. L’Agence recommande tout particulièrement d’évaluer le potentiel de "relargage" de ces substances à partir de ces produits et matériaux. Un travail doit en outre être mené sur la nomenclature des substances, l’harmonisation des méthodes de mesure et pour faire en sorte que les données soient "interopérables, exploitables et réutilisables". Une mise à jour régulière de la base constituée et de la catégorisation des PFAS associée est soutenue par l’Anses. "(Ce que nous escomptons) c'est que nos recommandations soient utilisées, mises en œuvre pour collecter des données nouvelles, en particulier là où il y a des trous dans la raquette, dans les milieux investigués, en espérant qu'elle soit plus adhérente au terrain", reconnaît Mathieu Schuler. Pour ce faire, l’Agence plaide pour que cette mise à jour soit réalisée dans le cadre d’une organisation gérée à l’échelle nationale dans une instance dédiée en lien avec le plan interministériel.
Pour avancer dans l’étude de la toxicité des PFAS, dont les mécanismes sont variés, l’Anses appelle également à prioriser les recherches visant à identifier les substances qui résultent de la dégradation de nombreux autres PFAS et celles présentant une forte accumulation et/ou persistance dans les organismes vivants. Enfin, "il ne faut pas se concentrer sur cette seule famille au motif qu’elle est sous les lampadaires", avertit Mathieu Schuler. D’où l'intérêt d'élaborer "une approche globale de la surveillance des contaminants chimiques".
"Cet important travail de compilation de données et les recommandations de l’Agence confirment nos inquiétudes sur l’omniprésence des PFAS et nos demandes de renforcement de la surveillance dans les différents milieux", s’est félicitée l’association Générations futures, très investie sur le sujet. Elle salue notamment l'intégration du TFA dans l'ensemble des dispositifs de surveillance, mais déplore que les PFAS polymères "n’aient pas été pris en compte dans ce travail tout comme les pesticides, les biocides et les médicaments appartenant à la famille des PFAS". Un autre regret concerne les boues issues des stations d’épuration, les rapports de l’Anses "n’apportent aucune information" alors que celles-ci peuvent être à l’origine de fortes contaminations dans l’eau distribuée", appuie-t-elle.