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Social / Citoyens - Le projet de loi Asile et Immigration à la recherche d'un équilibre

Gérard Collomb a présenté ce 21 février en conseil des ministres le projet de loi "pour une immigration maîtrisée et un droit d'asile effectif". L'intitulé du texte reflète la recherche d'un équilibre, dans un contexte qui s'est nettement tendu ces dernières semaines, y compris au sein de la majorité. Localtis reviendra en détail, dans une prochaine édition, sur le contenu de ce projet de loi, dont plusieurs dispositions intéressent directement ou indirectement les collectivités territoriales.

Demande d'asile : priorité à la réduction des délais

Après avoir rappelé le chiffre symbolique des 100.000 demandes d'asile atteint en 2017 (voir notre article ci-dessous du 8 janvier 2018), le ministre de l'Intérieur a répété les trois objectifs principaux du projet de loi : réduire les délais d'instruction de la demande d'asile, renforcer la lutte contre l'immigration irrégulière et améliorer l'accueil des étrangers admis au séjour pour leurs compétences et leurs talents.
Sur les délais de traitement de la demande d'asile, le chef de l'Etat a déjà fixé un objectif de six mois, dont deux mois pour la partie relevant de l'Ofpra. Les délais seront donc réduits "à chaque phase de l'instruction et du contentieux", tandis que le séjour de certaines catégories de personnes bénéficiant d'une protection sera "sécurisé". Une carte pluriannuelle de quatre ans (au lieu d'un an actuellement) serait ainsi attribuée aux bénéficiaires d'une protection subsidiaire ou aux apatrides. Au terme de ce délai, ils se verraient accorder de plein droit la carte de résident. Enfin, les mineurs reconnus réfugiés (moins de 700 par an) pourront faire venir non seulement leurs parents, mais aussi désormais leur fratrie.

Un "arsenal juridique innovant" pour contenir l'immigration irrégulière

Sur la lutte contre l'immigration irrégulière, le projet de loi dote les préfectures et les forces de l'ordre "d'un arsenal juridique innovant en vue d'améliorer l'efficacité de la lutte". Celui-ci comprend notamment une augmentation de la durée de la rétention administrative (de 45 à 90 jours) et de la durée de la retenue administrative pour vérification du droit au séjour (de 16 à 24 heures), la création d'un délit de franchissement non autorisé des frontières, des sanctions en cas de refus de prise d'empreintes digitales ou encore un durcissement des sanctions pour l'utilisation de faux papiers.
Enfin, les obligations de quitter le territoire français (OQTF), prévues par la législation, pourraient se doubler d'interdictions de retour sur le territoire français (IRTF). Celles-ci étaient déjà envisagées dans une circulaire du ministère de l'Intérieur de novembre dernier, mais elles recevraient ainsi une portée législative.

Une "politique d'accueil généreuse" pour l'immigration choisie

Selon la communication en conseil des ministres, "la plus grande efficacité dans le traitement de la demande d'asile et la fermeté dans la lutte contre l'immigration irrégulière rendent possible une politique d'accueil généreuse et ouverte pour ceux qui ont vocation à être admis au séjour et à contribuer au développement de la France". Cette "politique d'accueil généreuse" se traduit notamment par une simplification des procédures "dès le pays d'origine pour certains publics", correspondant aux étrangers admis au séjour pour leurs compétences et leurs talents. Le passeport "Talent" est ainsi étendu aux salariés d'entreprises innovantes, "ainsi qu'à toute personne susceptible de participer au rayonnement de la France".
Le projet de loi entend favoriser la mobilité des étudiants et chercheurs entre leur pays d'origine et la France, mais aussi dans le cadre de programmes de mobilité intra-européens (ce qui sort un peu du domaine de l'immigration compte tenu du statut particulier des ressortissants de l'UE). Enfin, le projet de loi facilite la recherche d'emploi pour ceux qui ont terminé leurs études en France et justifient d'un niveau suffisant.

Un climat qui reste tendu

A ce stade, il semble que le projet de loi Asile et Immigration ne reprenne pas de dispositions issues des préconisations du rapport "Pour une politique ambitieuse d'intégration des étrangers arrivant en France", remis, le 19 février, à Edouard Philippe et Gérard Collomb par Aurélien Taché, député (LREM) du Val-d'Oise (voir notre article du 20 novembre 2018). Mais certaines de ces dispositions - qui doivent faire l'objet d'un comité interministériel à l'intégration "dans les prochaines semaines" - pourraient être introduites par amendement si elles relèvent du niveau législatif. Elles pourraient alors servir d'élément de négociation face aux réticences de certains députés de la majorité.
Si Gérard Collomb défend un texte "totalement équilibré" et qui "s'aligne sur le droit européen", cet avis ne semble en effet pas partagé par certaines composantes de la majorité. Dans un communiqué du 20 février, Matthieu Orphelin, député (LREM) du Maine-et-Loire, plaide ainsi la "nécessité d'avoir un vrai débat éclairé sur la durée maximale de rétention", l'allongement du délai de 45 à 90 jours lui semblant "problématique". Lors de l'adoption définitive à l'Assemblée de la proposition de loi "permettant une bonne application du régime d'asile européen" (voir notre article ci-dessous du 16 février 2018), Florence Granjus, députée (LREM) des Yvelines, avait affirmé qu'"il y a un danger de banaliser l'enfermement", tandis qu'Erwann Balanant, député (Modem) du Finistère, jugeait qu'"en allant vite, on va fabriquer du contentieux".
La situation est également tendue du côté des acteurs de la procédure d'asile. En dépit de la confiance affichée par son directeur général, Pascal Brice, devant la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale il y a quelques jours (voir notre article du 20 février 2018), les syndicats de l'Ofpra appellent à une grève face à la perspective d'un passage du délai de trois à deux mois. Les personnels de la Cour nationale du droit d'asile, dont les délais devraient être ramenés d'un mois à quinze jours, sont quant à eux en grève depuis une semaine.

Le Conseil d'Etat rejette le référé contre la circulaire Hébergement
Dans une décision en référé rendue le 20 février 2018, le Conseil d'Etat, saisi par 28 associations, refuse d'annuler la circulaire du ministre de l'Intérieur et du ministre de la Cohésion des territoires du 12 décembre 2017 demandant aux préfets de constituer des équipes mobiles mixtes chargées de se rendre dans l'ensemble des structures d'hébergement d'urgence afin de recueillir des informations sur la situation administrative des personnes qui y sont accueillies et, au besoin, de les réorienter (voir notre article ci-dessous du 21 décembre 2017).
S'agissant d'un référé, le Conseil d'Etat ne se prononce pas sur le fond, mais rejette le recours des associations "pour défaut d'urgence". Dans son communiqué, la haute juridiction rappelle en effet que "l'appréciation portée par le juge des référés sur la condition d'urgence ne préjuge pas de l'appréciation que portera le Conseil d'Etat sur la légalité de la circulaire. Il se prononcera à bref délai sur ce point, dans le cadre du recours en annulation parallèlement formé par les associations requérantes".
En attendant, l'ordonnance du Conseil d'Etat s'appuie sur "les éléments indiqués au cours de l'audience" (par le ministère de l'Intérieur) pour encadrer la mise en œuvre des dispositions de la circulaire. Le texte de la décision indique ainsi qu'il résulte des ces précisons que "ces équipes mobiles sont exclusivement chargées de recueillir, auprès des personnes hébergées qui acceptent de s'entretenir avec elles, les informations que ces personnes souhaitent leur communiquer. En outre, pour l'accomplissement de cette mission, la circulaire ne leur confère, par elle-même, aucun pouvoir de contrainte tant à l'égard des personnes hébergées qu'à l'égard des gestionnaires des centres". Enfin, l'ordonnance rappelle que les dispositions de la circulaire ne peuvent avoir pour effet de dispenser du respect des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
Reste un dernier problème : le projet de loi Asile et Immigration devrait donner une portée législative aux dispositions de la circulaire du 12 décembre 2017. La décision au fond du Conseil d'Etat n'aurait plus dès lors qu'une valeur symbolique, la main passant alors éventuellement au Conseil constitutionnel.

 

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