Polices municipales : le projet de loi "Beauvau" prêt, mais toujours fragile
Bruno Retailleau et François-Noël Buffet ont présenté à Sartrouville, ce 2 septembre, les grandes lignes du futur projet de loi issu du Beauvau des polices municipales. Un texte – dont les ambitions semblent avoir été quelque peu revues à la baisse – qu'ils espèrent voir "voté définitivement avant les prochaines municipales". Une gageure, alors que ce dossier risque de subir une fois encore les affres d'un nouveau changement de gouvernement.

© @fnb_officiel/ Bruno retailleau et François-Noël Buffet à Sartrouville le 02 septembre
Annoncé il y a plus d'un an, le Beauvau des polices municipales vient de franchir un nouveau col, avec la présentation, ce 2 septembre, à Sartrouville, par le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, des grandes lignes du projet de loi – mais pas encore du texte lui-même – qui en est issu. Un dossier que son ministre délégué, François-Noël Buffet, à la baguette et également du déplacement, aura mené tambour battant. Le projet devrait être examiné par le Conseil d’État le 17 septembre, avec l'espoir d'une présentation en conseil des ministres à la fin du mois. Pour autant, l'arrivée au Journal officiel reste fort lointaine, et le parcours plus que tortueux, alors que le texte risque d'être une nouvelle fois freiné – au mieux – par un probable nouveau changement de gouvernement. En témoigne la prudence de Bruno Retailleau, qui indique espérer voir le texte "soumis au Parlement dans les prochaines semaines, dans les prochains mois", tout en souhaitant qu'il soit "voté définitivement avant les prochaines élections municipales", fixées en mars prochain (lire notre article du 2 septembre).
Des prérogatives judiciaires élargies
Sur le fond, le texte parvient peu ou prou à suivre une ligne de crête séparant le versant des partisans de "l'OPJisation" des polices municipales et le versant des contempteurs de cette évolution (lire notre article du 17 mai 2024), laissant la perspective d'un tel vote ouverte, en dépit de certaines oppositions (voir notre article du 7 juillet). D'autant plus que les ambitions initiales semblent avoir été revues à la baisse par rapport aux précédentes annonces (lire notre article du 22 mai) – et même aux dernières propositions de l'AMF (lire notre article du 27 juin) –, que ce soit sur les aspects "prérogatives" et "capacités d'agir", et plus encore sur l'aspect "reconnaissance".
En l'état, le projet prévoit de confier aux policiers municipaux des prérogatives judiciaires élargies – "l'enjeu majeur", estime le président de la commission consultative des polices municipales, Christian Estrosi, qui doit sans doute faire contre mauvaise fortune, bon coeur. Ils pourraient constater neuf délits "qui ne nécessitent pas d'enquête" : "vente à la sauvette ; vol inférieur à 300 euros ; conduite malgré une invalidation de permis ; occupation illicite de hall d'immeuble ; vente d'alcool aux mineurs ; entrave à la circulation ; usage de stupéfiants ; inscription, signe ou dessin ayant entraîné un dommage léger ; outrage sexiste". Ils pourraient également relever l'identité des auteurs des délits constatés, sans pour autant pouvoir accéder aux fichiers judiciaires et aux actes d'enquête. Ils pourraient encore procéder à la destruction d'objets, à la mise en fourrière, à la vérification d'alcoolémie ou encore accéder à la vidéoprotection (on imagine que sont ici visés les gardes champêtres, les policiers municipaux disposant déjà de cette faculté – lire notre article du 30 août 2022).
Des outils supplémentaires, davantage de contrôles
Le texte prévoit par ailleurs un accès plus large aux nouvelles technologies. Précédemment expérimenté, le port des caméras piétons serait enfin pérennisé pour les gardes champêtres. L'usage des lecteurs automatisés de plaques d'immatriculation (Lapi) serait étendu aux infractions routières et environnementales. L'expérimentation de l'usage des drones serait une nouvelle fois remise sur le métier, avec "une évaluation rigoureuse au niveau local et national sur 5 ans". Le texte prévoit encore une "harmonisation du régime d'armement" (autorisation préfectorale, encadrement réglementaire, formation obligatoire) et inscrirait, comme annoncé (lire notre article du 3 juillet), dans le marbre la possibilité de financements régionaux, via les contrats de plan État-régions.
Le texte prévoit par ailleurs d'améliorer les "garanties sur la déontologie", avec un "contrôle renforcé du préfet et du parquet", la possibilité de suspendre ou de retirer certaines compétences en cas de manquement ou encore via l'attribution d'un n° RIO obligatoire pour chaque agent.
Pouce levé…
Partisan d'une extension la plus large possible des compétences des polices municipales, Christian Estrosi s'est "félicité de cette annonce", soulignant qu'il n'avait "cessé d'appeler de [s]es vœux à cette réforme indispensable". Mais de regretter d'ores et déjà que "l'instabilité politique que traverse notre pays en retarde encore l'adoption, alors qu'il s'agit d'une loi essentielle pour garantir la tranquillité publique et la sécurité du quotidien dans nos communes". Au contraire hostile à "l'OPJIsation", Nicolas Nordman, adjoint à la maire de Paris chargé de la prévention, de la sécurité et de la police municipale, développe une position assez proche du maire niçois : "Je crains que les propositions faites par les deux ministres à la veille d’une probable fin du gouvernement Bayrou ne soit qu’un nième effet d’annonce. Je le regrette car il y a dans le travail porté depuis des mois par les différents gouvernements, les associations d’élus, les organisations syndicales de PM des avancées très utiles pour renforcer les capacités d’action des policiers municipaux, comme par exemple la possibilité de saisie des produits vendus à la sauvette que je demande depuis longtemps. Je me félicite aussi que le gouvernement ne soit pas tombé dans le piège de la judiciarisation qui aurait renforcé la confusion entre polices municipales et police nationale", déclare-t-il ainsi à Localtis. Même tonalité positive chez la maire de Dijon, Nathalie Koenders : "L’évolution et le renforcement des compétences des polices municipales est une nécessité. Je me réjouis que plusieurs propositions que j’avais formulées, dans le rapport rédigé pour France urbaine sur l’attractivité du métier de policier municipal [lire notre entretien du 27 mars 2023] et lors du Beauvau des polices municipales, soient reprises dans le projet de loi annoncé par le gouvernement", déclare-t-elle sur X.
… ou baissé
Le ton est en revanche bien différent chez le maire de Charleville-Mézières, Boris Ravignon, réagissant sur le même réseau : "Impossible aux PM de consulter le fichier des personnes recherchées, de dresser une amende forfaitaire pour consommation de drogue, d’utiliser un drone pour stopper un rodéo urbain, etc. Comme si les #policiersmunicipaux n’appartenaient pas aux forces de l’ordre. On dirait que nous avons tous été bien baladés avec le #Beauvau des #PolicesMunicipales". La déception semble également l'emporter chez Fabien Golfier, secrétaire national de la FA-FPT police municipale : "Tout ça pour ça", réagit-il auprès de Localtis. S'il se félicite que "les annonces correspondent à notre cahier revendicatif, notamment le recul sur la qualité d'OPJ remplacé par une approche par blocs de compétences", il estime en revanche que "la non prise en compte du volet social, et notamment des retraites, n'est pas acceptable. Celui-ci faisait partie des thématiques abordées lors des Beauvau et c'est la seule thématique qui n'est pas traitée. Les policiers municipaux apprécieront une fois de plus la langue de bois des politiques", dénonce-t-il vertement. Comme les autres, il regrette en outre "qu'une fois encore le calendrier politique ne vienne pourrir la situation. Le projet risque de partir dans les cartons de déménagement qui seront faits la semaine prochaine au ministère et les policiers municipaux resteront encore une fois au bord de la route, à la veille d'élections municipales qui s'annoncent tournées vers la sécurité. C'est encore un très mauvais signal envoyé en direction de ces acteurs essentiels à la sécurité de nos villes". Également interrogé par Localtis, Ludovic Durand, secrétaire général de FO Police municipale, est sur une ligne proche : "Si certaines annonces peuvent aller dans le sens des besoins sur le terrain, nous restons très méfiants sur le contenu du projet de loi, notamment sur les prérogatives OPJ". Et si le syndicaliste relève que "le ministre a évoqué qu'un travail sur le volet social était envisagé", il n'y voit "encore une fois que des effets d'annonces, sans propositions concrètes et ambitieuses".