Le protoxyde d'azote, ce fléau qui désespère les communes

Le phénomène de l'usage détourné du protoxyde d'azote ne cesse de prendre de l'ampleur. Au-delà des risques sanitaires induits, il constitue un véritable fléau pour les collectivités. La liste des communes ayant pris un arrêté municipal interdisant sa consommation sur l'espace public ne cesse de s'allonger. Certaines, comme la ville de Cannes, en viennent même à interdire sa vente aux particuliers, tout en étant conscientes que sans renfort législatif, l'espoir d'inverser la tendance reste mince. Las, le Parlement se mobilise en ordre dispersé.

"Une problématique majeure de santé publique dans la région." C'est ainsi que l'agence régionale de santé Hauts-de-France qualifiait l'an passé l'usage détourné du protoxyde d'azote, communément appelé "gaz hilarant" ou "proto", "en recrudescence chez des collégiens, lycéens et étudiants" de la région. Le phénomène n'épargne toutefois aucune région française. Et s'il n'a rien de nouveau – des communes mènent la lutte depuis la fin des années 2010 - lire notre article du 12 septembre 2019 –, il ne cesse de prendre de l'ampleur. La métropole européenne de Lille (MEL) indiquait ainsi fin juin traiter désormais "30 tonnes de bonbonnes [de protoxyde d'azote] chaque année, contre à peine 1 à 2 tonnes en 2020".

Les campagnes de sensibilisation lancées tous azimuts – comme celle de l'ARS Hauts-de-France : "Le proto, c'est trop risqué d'en rire", ou de collectivités, comme celle de la ville de Tours lancée cet été – (voir illustration ci-dessus) n'en peuvent mais. Pas plus que la loi de 2021 qui interdit sa vente aux mineurs (lire notre article du 2 juin 2021) et limite, par arrêté publié à l'été 2023, les quantités pouvant être achetées par des particuliers depuis le 1erjanvier 2024. Non applicable aux sites étrangers, elle ne parvient pas à enrayer le phénomène ; sans compter l'organisation de filières parallèles (lire notre article du 11 février 2022). "Malgré la mise en place d'une loi en 2021 […], les campagnes de communication menées par la ville et le CCAS, les actions de prévention menées par la police municipale et le service de prévention jeunesse, le conseil de la jeunesse loossoise, les débats et conférences dans les écoles et collèges, la consommation demeure en hausse constante", constatait la ville de Loos, le 23 juillet dernier.

Des arrêtés municipaux interdisant la détention ou l'utilisation sur l'espace public…

Loin de se résigner, les collectivités continuent de multiplier les mesures (lire notre article du 22 janvier). Car, outre les risques sanitaires qu'il représente, le "proto" constitue un véritable fléau pour les installations de traitement des déchets (lire notre article du 19 mai). Un exemple, là encore fourni par la MEL : en 2024, les cartouches ont conduit à "plus de 20 arrêts au centre de valorisation énergétique, entraînant plus d'un million d'euros de pertes". Au niveau national, "le nombre d'explosions recensées au premier semestre 2025 dépasse déjà celui constaté sur l'ensemble de l'année 2024, confirmant l'aggravation continue de cette problématique", alerte le syndicat national du traitement et de la valorisation des déchets urbains et assimilés (SVDU) dans un communiqué du 11 septembre. En 2024, "environ 210.000 tonnes de déchets n’ont pas pu être valorisées énergétiquement en raison d’arrêts techniques imprévus", entraînant un surcoût pour la filière estimé entre 15 et 20 millions d'euros, sans parler des risques pour les personnels et autres dommages entraînés par les explosions. 

C'est aussi un défi pour les services de propreté urbaine. La liste des communes ayant interdit par arrêté municipal la détention, l'utilisation, la cession, la revente ou encore l'abandon de cartouches de protoxyde d'azote sur l'espace public de leur territoire ne cesse donc de s’allonger. Ainsi, dernièrement, des villes de Vigneux-sur-Seine, de Nanterre, de Livry-Gargan, de Tours, d'Agen, de Barr, de Loos ou encore de Nice, le 12 août dernier. Sans grand succès. "Malgré cette interdiction, les agents de nettoiement et la police municipale constatent une présence massive de cartouches et de bouteilles dans l'espace public, source de pollution, de dégradations et de risques pour la sécurité", déplorait la ville de Nice dans un communiqué, le 31 août dernier.

… à ceux interdisant toute vente aux particuliers

D'où la volonté de certains élus – comme le maire de Cannes, David Lisnard – de franchir une étape supplémentaire. Après avoir interdit la vente aux mineurs "dès 2020", celui qui est également président de l'Association des maires de France a ainsi décidé, par arrêté municipal du 25 juillet, de restreindre la vente de protoxyde d'azote sur le territoire cannois aux seuls professionnels et ce, de 8h00 à 20h00. "Le protoxyde d'azote, détourné comme gaz hilarant, est devenu un véritable fléau sanitaire, sécuritaire, environnemental et économique. Pourtant, les pouvoirs publics ferment les yeux […]. Face à ce désastre, l'Exécutif temporise […]. Depuis des mois, j'alerte le gouvernement. En vain […]. À Cannes, nous agissons", justifiait-il, le 14 août dernier, dans une tribune publiée par Ouest France. Tout en soulignant que "nous [les maires] ne pouvons et ne devons pas tout faire à la place de l'État […]. Il faut que la police nationale reçoive instruction d'interpeller, de verbaliser les consommateurs et de contrôler les ventes […]. Notre législation n'est pas adaptée. Les sanctions doivent être renforcées", plaide-t-il. 

Un sentiment partagé par son homologue de Nice, qui a fait part, fin août, de sa volonté d'interdire lui-aussi, à compter du 1er octobre prochain, la vente de protoxyde d'azote "à toute personne majeure, sauf [si elles] peuvent démontrer qu'[elles] sont des professionnels du commerce" sur le territoire de sa commune. "Mais seule une loi permettra d'endiguer durablement ce fléau, avec des sanctions plus fortes et claires", martèle Christian Estrosi. 

En juin dernier, les élus de la MEL avaient déjà de leur côté adopté un vœu demandant des mesures à l'échelle nationale – un soutien financier ou encore le lancement d'une filière de responsabilité élargie du producteur – et européenne, comme la mise en place d'une réglementation rendant obligatoire l'ajout de soupapes de sécurité sur les bonbonnes pour limiter les risques d'explosion. Une dernière demande d'ailleurs relayée par David Lisnard dans sa tribune : "Il est temps que l'Europe s'en préoccupe avec autant de zèle que pour nous imposer des bouchons attachés ou autres normes ridicules", tance-t-il.

Un Parlement en ordre dispersé

En France, les parlementaires ne sont pourtant pas en reste. Mais ils se mobilisent en ordre dispersé. En janvier dernier, les députés ont adopté, en première lecture, une proposition de loi visant à interdire toute vente aux particuliers à compter du 1er janvier prochain (lire notre article du 30 janvier). Le Sénat ne s'en est toujours pas saisi. De son côté, la chambre haute a adopté, le 6 mars dernier, en première lecture, son propre texte, qui vise à renforcer la lutte contre les usages détournés du protoxyde d'azote, mais non à interdire le produit lui-même. Une proposition qui reste à son tour sans suite à l'Assemblée... Il en va d'ailleurs de même d'une autre proposition de loi adoptée le même jour par le Sénat, qui vise, elle, à renforcer la prévention des risques d'accidents liés aux batteries au lithium et aux cartouches de protoxyde d'azote dans les installations de traitement de déchets (lire notre article du 11 mars). Avec l'instabilité politique actuelle, les collectivités risquent fort, ici comme ailleurs, de devoir composer comme le charretier embourbé de la fable : Aide-toi, le Ciel t'aidera.  

 

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