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Urbanisme - Le relèvement des droits à construire sous le feu des critiques

La proposition du président de la République d'accroître de 30% le coefficient d'occupation des sols (COS) pour augmenter le nombre de logements disponibles a suscité un large éventail de réactions négatives depuis lundi. Y compris du côté de l'Association des maires de France. Les associations de défense de l'environnement ou du patrimoine sont également vent debout.

"Notre crainte, c'est que la portée de la mesure, ce soit finalement d'aider les particuliers qui veulent agrandir leur maison." Or, "si votre voisin construit une véranda, ce n'est pas ça qui va améliorer l'offre de logement…". C'est en ces termes que le président de l'Association des maires de France (AMF) évoque l'annonce d'une augmentation de 30% des droits à construire. Jacques Pélissard, qui s'exprimait ce 1er février lors d'une rencontre avec la presse (voir aussi notre article de ce jour ci-contre), joint donc sa voix à celle des autres sceptiques. "Sur le fond, nous sommes favorables aux mesures qui apportent de la souplesse, de la liberté. Mais le problème, c'est qu'une telle majoration de 30% ne peut s'imposer de façon unilatérale et impersonnelle", explique Jacques Pélissard, qui met notamment en avant la nécessité de distinguer les territoires sous tension des autres. Or, "qui connaît ces tensions, si ce n'est le maire ?", s'interroge-t-il : "Il vaut mieux laisser les communes décider, ce sont les bons juges."
Des questions, il y en a beaucoup d'autres du côté de l'AMF. Si le chef de l'Etat a précisé que les maires pourraient, par délibération, exclure de la mesure telle ou telle partie de leur territoire, comment cette faculté s'exercera-t-elle concrètement ? La mesure se cumulera-t-elle avec les possibilités de majoration du COS existant déjà pour le logement social (50%), les constructions répondant à certains critères de performance énergétique (30%) et certaines zones des PLU (20%) ? (Auquel cas on atteindrait des taux de majoration impressionnants…) Quelle articulation avec la loi Littoral, la loi Montagne ou les zones des plans d'exposition au bruit ? Cela s'appliquera-t-il aux bureaux ? Cela conduira-t-il vraiment à une baisse des prix du foncier, sachant que le niveau de ces prix est bien le grand problème de certaines agglomérations ? A toutes ces questions, Jacques Pélissard ajoute un certain nombre de remarques tout aussi concrètes. Dont le fait que, s'il s'agit d'agrandir les maisons individuelles, est récemment intervenu le décret facilitant les extensions jusqu'à 40 m2. Ou le fait que la mesure risque de "provoquer des conflits de voisinage, et donc de contentieux préjudiciable à la construction".
Les représentants de l'AMF, aux côtés d'autres associations, devaient rencontrer ce 1er février en fin de journée les ministres Nathalie Kosciusko-Morizet et Benoist Apparu pour évoquer le sujet - et espéraient bien obtenir à cette occasion un certain nombre de prévisions. Tout en sachant que la disposition passera par un projet de loi, prévu en Conseil des ministres le 8 février et à l'Assemblée le 21. Or un texte de loi "peut être amendé", glisse Jacques Pélissard, en notant au passage que "le calendrier parlementaire est un peu court"… Une façon d'imaginer que la loi n'aura pas le temps d'être promulguée ?

Diversité des territoires

D'autres élus se montrent critiques. Selon Pierre Jarlier, sénateur du Cantal et rapporteur de plusieurs textes de loi relatifs à l'urbanisme et au logement, la mesure annoncée par Nicolas Sarkozy est "approximative et inadaptée à la diversité des territoires" car "elle ne peut être décidée arbitrairement sur tout le territoire d'une commune sans tenir compte des objectifs de mixité sociale et de diversité des fonctions urbaines définis dans les documents d'urbanisme en particulier dans les secteurs déjà très densifiés comme les centres-villes ou les quartiers sensibles".
"L'efficacité d'une telle mesure doit relever d'abord d'une réelle concertation avec les collectivités déjà très engagées dans les politiques de planification urbaine, précise le sénateur. Par ailleurs, l'augmentation du coefficient d'occupation des sols dans les documents d'urbanisme ne peut s'intégrer que dans le cadre d'un projet urbain global et d'une concertation préalable avec la population, notamment pour éviter les risques de contentieux." Pour Pierre Jarlier, cette mesure est également inadaptée à la diversité des territoires car elle ne tient pas compte des précautions nécessaires à prendre pour préserver la qualité du bâti existant ou des paysages, notamment en zone de montagne et sur le littoral. En outre, conclut-il, "si cette augmentation de la surface constructible peut conduire à une augmentation de la capacité de production de logements dans certains secteurs, il est peu probable qu'elle induise une augmentation significative du nombre de logements sociaux. Or, c'est ce type d'habitat qui manque le plus dans notre pays aujourd'hui. La mise en place de la garantie des risques locatifs aurait été préférable et plus efficace pour faciliter la mise en location d'au moins 500.000 logements".
Pour Antonio Duarte, architecte-urbaniste et président de l'association Grand Paris, la proposition du président de la République "apparaît clairement comme un effet d'annonce qui n'aura aucun impact positif sur les prix de l'immobilier en 2012. Elle risque même de créer une bulle artificielle des prix fonciers par anticipation qui serait contre-productive et risque d'être purement et simplement annulée par la grande majorité des conseils municipaux". Selon lui, "seule une construction massive encouragée par l'Etat permettra de réguler le marché et de stabiliser durablement les prix" et "une offre accrue de logements sociaux à loyers modérés s'impose également pour répondre a la crise du logement".

Construire partout "plus haut ou plus large"...

Les ONG écologistes comme France nature environnement (FNE), partie prenante du Grenelle de l'environnement, la juge quant à elle "déraisonnable". Elle y voit en effet une façon d'encourager l'étalement urbain, nuisible à la biodiversité comme à l'agriculture. Plutôt que de construire toujours plus de logements, on pourrait générer des emplois en réhabilitant les logements anciens aux piètres performances énergétiques, argue-t-elle. Pour Alain Thomas de l'association Bretagne vivante, particulièrement sensible à la question des "capacités de l'agriculture" avec des surfaces toujours plus réduites, l'annonce de Nicolas Sarkozy "rejoint une longue liste de renoncements du gouvernement aux principes mis en avant lors du Grenelle". A l'inverse, les agriculteurs de la FNSEA se sont félicités dans un communiqué de "la redensification des villes", qui "peut permettre probablement de réduire l'artificialisation des sols et de protéger finalement le foncier agricole".
Certains défenseurs du patrimoine se disent pour leur part consternés. "C'est une combinaison de jacobinisme où l'on édicte la même règle pour tous et de libéralisme où l'on ouvre les vannes en pensant créer un électrochoc pour la construction", a considéré Alexandre Gady, président de la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique en France (SPPEF), interrogé le 30 janvier par l'AFP. On risque "un tsunami sur la protection du patrimoine", a-t-il estimé. Pour Didier Rykner, fondateur et directeur du site La Tribune de l'art, l'annonce de Nicolas Sarkozy est "une attaque sans précédent contre le patrimoine depuis les années 1960 et 1970 lorsqu'on détruisait des quartiers entiers au nom du progrès". "Si cette mesure passe, on pourra construire plus haut ou plus large, partout en France, sans souci de l'esthétique et de l'urbanisme", a déclaré à l'AFP cet historien de l'art. Olivier de Rohan, président de l'association Sauvegarde de l'art français, estime que le relèvement de 30% des droits à construire peut être "très bien dans certains endroits, et très mauvais dans d'autres". "Ce sera aux Français d'être vigilants et de peser auprès de leur municipalité" s"ils ne sont pas d'accord, a-t-il ajouté. Christian Pattyn, président de la Ligue urbaine et rurale et ancien directeur du Patrimoine au ministère de la Culture, estime que "la mesure n'est pas en soi mauvaise. Elle le sera si elle appliquée de façon brutale et sans discernement".

"40 000.logements par an"

Lors de la séance de questions d'actualité au gouvernement le 31 janvier à l'Assemblée nationale, Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'Ecologie et du Logement, a apporté quelques précisions sur la mise en oeuvre de la mesure décidée par le chef de l'Etat. "Plus 30% de constructibilité dans les 17.000 communes dotées d'un plan d'occupation des sols et d'un plan local d'urbanisme : cela ne concerne donc pas les petites communes rurales, sauf délibération contraire de la commune. [...] 30% de constructibilité supplémentaire, cela veut dire 30% de gabarit, de hauteur, d'emprise au sol et de coefficient d'occupation des sols en plus. C'est, concrètement, pour un pavillon, la possibilité de s'agrandir et, pour un terrain sur lequel il était prévu cent logements, la possibilité d'en construire cent trente", a-t-elle poursuivi. "Cette mesure, c'est plus de logements moins chers, mais aussi plus d'emplois : un logement construit, cela représente entre 1,2 et 1,5 emploi non délocalisable." Elle a aussi tenté de dissiper les inquiétudes des défenseurs du Grenelle : "C'est un fantasme d'imaginer que cette constructibilité supplémentaire équivaut à de nouvelles tours. Cela ne signifie pas non plus davantage d'étalement urbain. Au contraire, nous construirons là où c'est déjà constructible, sans naturellement aller à l'encontre ni de la loi Littoral ni de la loi Montagne ni d'aucune règle de protection des zones naturelles." "Nous en attendons 40.000.logements par an", a-t-elle conclu.