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Le Réseau des élus contre les discriminations appelle les collectivités à ne pas fermer les yeux

Réunis en réseau depuis 2016, des élus s'attèlent à mettre en place dans leur collectivité des politiques transversales de lutte contre les discriminations. Conseillère municipale à Rennes et vice-présidente de la métropole, Geneviève Letourneux a présenté la démarche à Localtis, alors que l'enjeu des discriminations a été mis en avant le 22 mai dernier lors de l'événement de mobilisation à l'Elysée pour les quartiers prioritaires de la politique de la ville.   

Une cinquantaine d'élus, représentant 31 collectivités (1), appellent à "mettre à l’agenda politique la question de la prévention et de la lutte contre les discriminations". Signataires d'une charte rédigée en 2017, ils forment un "réseau des élus locaux mobilisés contre les discriminations" qui a vu le jour en 2016. "C'est une question minorée qui est rarement portée par un premier adjoint", explique Geneviève Letourneux, conseillère municipale déléguée aux droits des femmes et à l'égalité de la ville de Rennes. Le réseau dont elle fait partie appelle à sortir de la "posture de déni". "Il est facile de s'en tenir à une position déclarative", poursuit-elle. "On est tous a priori contre les discriminations, mais si on ne fait rien, on les entretient."

"Il y a une dimension d'affichage : la collectivité ne ferme pas les yeux"

Les collectivités sont d'abord directement concernées par cet enjeu en tant qu'employeurs. "Le concours, les grilles indiciaires, tout ça ne garantit pas la non-discrimination", selon l'élue municipale, également vice-présidente de Rennes Métropole en charge de la cohésion sociale et de la politique de la ville. La ville et la métropole de Rennes se sont ainsi dotées d'un "plan d'actions employeurs" et ont mis en place dans ce cadre une cellule d'alerte animée par deux assistantes sociales. "Il y a une dimension d'affichage : la collectivité ne ferme pas les yeux. Et au-delà, chaque situation est traitée", précise Geneviève Letourneux. Pour cette dernière, "il ne suffit pas de sensibiliser, il faut aussi s'équiper pour apporter des réponses".
C'est l'idée du "circuit" qui permet à la collectivité d'agir à différentes étapes, en prévention, mais aussi à travers des modalités concrètes de recueil de la parole et d'accompagnement des personnes. Il s'agit de mettre fin le plus rapidement possible à des situations de harcèlement et de discrimination, de trouver si possible des réponses internes à la collectivité. La stratégie rennaise prévoit également des actions de formation, ainsi que des processus destinés à garantir l'absence de discrimination dans le recrutement et l'avancement.

Dix collectivités labellisées "Diversité" ou "Egalité professionnelle"

Aujourd'hui, les labels Diversité et Egalité professionnelle entre les femmes et les hommes sont destinés à garantir l'absence de discriminations dans les processus de ressources humaines. En octobre 2017, selon un bilan publié sur le portail de la Fonction publique, dix collectivités avaient obtenu l'un ou l'autre de ces labels (2).
En cours de labellisation, la ville de Bordeaux – avec la métropole et le centre communal d'action sociale – a aussi adopté une clause diversité pour que "ce devoir d'exemplarité" s'applique également "aux entreprises qui candidatent aux marchés publics", a présenté Marik Fetouh, adjoint au maire de Bordeaux, le 22 mai à l'Elysée, lors de l'événement dédié aux quartiers prioritaires de la politique de la ville (voir notre encadré ci-dessous, ainsi que notre article du 22 mai).
Si les labels et les clauses renvoient à des démarches volontaires, les collectivités ont aussi des obligations légales en matière de lutte contre les discriminations. Depuis la loi de 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, les collectivités et intercommunalités de plus de 20.000 habitants sont tenues de présenter chaque année un rapport sur l'état de la situation et les politiques conduites en la matière. Un guide ministériel est disponible pour aider les collectivités à se saisir de cette obligation, alors que le démarrage aurait été plutôt lent.

Ne pas cantonner la lutte contre les discriminations aux quartiers prioritaires

Pour Geneviève Letourneux et ses collègues du réseau, si la structuration d'une politique destinée à combattre les inégalités entre les hommes et les femmes commence à produire des effets, il manque en France une "dynamique nationale" sur la question des discriminations, une "politique nationale qui aurait la vertu de légitimer le sujet" et d'encourager les actions en la matière.
En outre, on aborde le sujet au niveau national essentiellement dans le cadre de la politique de la ville. "On se concentre sur des territoires où la probabilité de discrimination est plus importante, mais il est nécessaire de faire un travail beaucoup plus général sur ce qui génère des discriminations", insiste l'élue rennaise.
Dans sa charte, le réseau des élus met l'accent sur la dimension systémique des discriminations, et sur le fait qu'elles sont "intersectionnelles" – une notion "née du combat de femmes qui étaient discriminées, parce qu’elles étaient femmes, noires, pauvres". Il importe donc pour ces élus d'intégrer l'objectif de non-discrimination "dans l'ensemble des politiques publiques". La ville de Villeurbanne a ainsi réalisé un "testing sur l'accès au crédit bancaire" ayant permis de mettre en évidence "des conditions très différenciées en fonction des caractéristiques intrinsèques de la personne", relate Geneviève Letourneux.
Parmi les avancées particulièrement attendues : la mise en place d'un observatoire des discriminations. Il importe de "nommer", de "mesurer" et de "légitimer" ces faits, peut-on lire dans la charte. L'Etat et les collectivités y sont invités à construire ces politiques avec les personnes qui subissent les discriminations.
Après avoir sollicité les candidats à l'élection présidentielle en 2017, le Réseau des élus contre les discriminations s'est rapproché du Défenseur des droits et d'associations d'élus telles que France urbaine et l'Assemblée des communautés de France (ADCF). Il entend poursuivre ces rencontres avec les élus et leurs associations, notamment dans la perspective des élections municipales de 2020.


(1) Les villes de Rennes, Rezé, Villeurbanne, Bordeaux, Pessac, Villeneuve-Saint-Georges, Dijon, Strasbourg, Seyssins, Saint-Etienne, Metz, Paris (ville de Paris, Paris 3eme, Paris 12eme, Paris 19eme), Saint-Denis, Nanterre, Cergy, Vitry-le-François, La Seyne-sur-Mer, Saint-Herblain, Champigny-sur-Marne, Grenoble, Lorient, Jeumont, Poitiers, Nantes, Choisy-le-Roi, Bègles, la communauté d'agglomération du Grand Périgueux, les métropoles de Rennes et Nantes, les régions Ile-de-France et Normandie. Le Réseau des élus contre les discriminations est joignable à l'adresse suivante : elu.esmobcontrediscri@gmail.com . 
(2) Les Villes de Lyon et Nantes, Nantes Métropole et le département de Seine-Saint-Denis sont labellisés Diversité. Le département des Côtes d'Armor, les régions Bretagne et Picardie, Rennes Métropole et les villes de Rennes et Suresnes sont labellisés Egalité professionnelle. (Source : portail de la Fonction publique). 
 

Marik Fetouh, adjoint au maire de Bordeaux : une politique transversale de lutte contre les discriminations "ne nécessite pas un budget considérable mais une forte mobilisation"

A Bordeaux, la mise en place d'un observatoire a permis de mesurer les "discriminations ressenties" d'habitants rencontrant des "difficultés majeures" dans l'accès à l'emploi, au logement et aux services publics, a relaté Marik Fetouh, adjoint au maire de Bordeaux en charge de l'égalité et de la citoyenneté, le 22 mai lors de l'"Evènement de mobilisation en faveur des quartiers prioritaires de la politique de la ville" à l'Elysée.
Quelque 800 personnes réunies lors d'Etats généraux de l'égalité et de la laïcité ont ensuite coconstruit un plan de lutte contre les discriminations ; ce plan a été adopté par le conseil municipal en juin 2017. "Tout l'enjeu de ce plan, c'est d'inscrire la lutte contre les discriminations dans chaque politique publique de la ville, dans chacune de ces actions, de l'accueil en mairie à l'attribution des logements. Il ne s'agit surtout pas de faire une politique à part qui aurait un impact forcément limité (…) Cela ne nécessite pas un budget considérable mais une forte mobilisation", a précisé Marik Fetouh.
Parmi les 69 actions inscrites dans ce plan, "18 actions ont été réalisées, 33 sont en cours", a-t-il poursuivi. Les agents de la police municipale ont ainsi été formés, avec, selon l'élu, des effets "immédiats" sur le ressenti des habitants. Autre exemple d'action : autrefois réservés aux enfants des agents, les emplois saisonniers municipaux ont désormais vocation à être attribués – au moins pour 70% d'entre eux – via les missions locales.
L'élu bordelais identifie deux conditions de réussite à ce combat contre les discrimination : "le travail en réseau" – il a cité notamment le Réseau des élus contre les discriminations – et "la parole et l'engagement politique".